Nach Paris! (Roman). Dumur Louis

Nach Paris! (Roman) - Dumur Louis


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ces souvenirs me remontaient en foule au cerveau, tandis que l'inquiétude commençait à m'oppresser et que je me retournais dans mon lit sans dormir. Au canon des manœuvres se substituait étrangement dans ma tête le canon de la guerre: la guerre dont je me représentais déjà en images vives le tumulte et l'ardente mêlée! Je sentais peu à peu venir le rêve ou le cauchemar. Je m'endormis enfin au petit jour d'un sommeil éreinté. Quand je me réveillai, très tard, je me trouvai couvert de sueur: j'étais entré le premier à Paris et je venais de rapporter à ma chère Dorothéa, en guise de cadeau de noces, le trésor de la Banque de France. Le chocolat que Johann m'avait servi à l'heure habituelle était froid sur la table et le soleil inondait ma chambre.

      L'après-midi de ce même jour, qui était un dimanche, je ne pus m'empêcher de pédaler jusqu'à Goslar, pendant que ma mère préparait ma cantine.

      Dorothéa me reçut avec de grands témoignages d'affection non sans étonnement, vu ma visite de la veille.

      —Je pars demain, lui dis-je; vous ne me reverrez pas avant quinze jours.

      —Mon Dieu, Wilfrid, où allez-vous?

      —A Magdebourg.

      —Qu'allez-vous faire à Magdebourg?

      —Je suis appelé pour une période d'instruction militaire.

      Ce pouvait être vrai. J'avais, en effet, à accomplir encore, à la suite de ma libération, deux périodes de huit semaines pour être nommé officier de réserve. J'aurais donc pu me contenter de cette explication. Mais me rendant bien compte que ma convocation, dans ce cas, n'aurait pas été libellée de la sorte et qu'il s'agissait certainement d'un appel extraordinaire, je m'écriai tout à coup, saisi d'une émotion trop naturelle et du besoin de mettre de la solennité dans mes adieux:

      —Je mens, Dorothéa, ce n'est pas pour une période d'instruction que je suis appelé: je crois qu'il va y avoir la guerre.

      —La guerre? s'exclama-t-elle bouleversée. La guerre! Herrgott!

      Et s'élançant du côté de la porte, elle se mit à crier:

      —Papa! papa! il va y avoir la guerre!...

      Je l'arrêtai tout effaré, me souvenant du «strictement secret» de l'ordre de mobilisation.

      —Non, non, dis-je, il ne faut pas qu'on le sache... Personne ne doit savoir encore... Je viens secrètement vous faire mes adieux.

      —Herrje! que vais-je devenir?

      Je ne cherchai pas à rassurer Dorothéa. Il me plaisait de la voir pleurer, s'effondrer, jugeant de son amour par ses larmes et ne voulant pas qu'il fût supposable, devant elle, que je ne partisse pas réellement pour la guerre.

      —Je vous rapporterai des bijoux français, fis-je. Car j'espère bien avoir le plaisir de tuer quelques officiers. Ils portent tous, paraît-il, des bracelets, des bagues, des breloques de prix, et l'on en voit, dit-on, ornés de boucles d'oreilles.

      —De boucles d'oreilles!... susurra-t-elle dans ses pleurs.

      —Je vous en enverrai, déclarai-je.

      —Oui, oui, des boucles d'oreilles!... Vous me le promettez?

      Cela me rappela le cri du cœur de Marguerite, dans Faust, lorsqu'elle découvre la cassette apportée par Méphistophélès:

      Wenn nur die Ohrring' meine wæren! 1

      —Je vous le promets. Je vous enverrai aussi des cartes postales datées de tous les lieux de nos victoires.

      —Mais, dit-elle, si c'est vous qui êtes tué?

      —Alors, fis-je avec un grand geste, vous vous direz que je serai mort glorieusement pour la patrie allemande et vous me pleurerez toute votre vie.

      —Oh! plus que ça, gémit-elle, jusque dans l'éternité!

      C'est en de tels propos que nous nous entretînmes pendant une heure, fréquemment entrecoupée de cette exclamation qu'elle me lançait en même temps que ses beaux bras autour du cou, ni plus ni moins que quand je lui contais l'histoire de ma balafre:

      —Tu es un héros!

      Doux souvenirs! moments inoubliables!

      Et quand fut venu celui de la séparation et qu'après lui avoir fait jurer à nouveau de ne pas divulguer ce terrible secret de la guerre, j'eus pris pour la dernière fois congé d'elle, j'emportai comme un miel à mes lèvres le goût de son premier baiser sur la bouche.

      O ma Dorothéa!

      Il avait été décidé, pour ne pas prêter aux commentaires de la population, que mon père m'accompagnerait seul à la gare, en chapeau de paille et les mains dans les poches, comme s'il s'agissait pour moi d'une courte excursion. Ainsi fut fait. Johann nous suivait à cinq pas de distance, portant ma valise.

      Le train s'annonça. Nous le vîmes paraître au déclin de la courbe. Il vint se ranger le long de la petite gare. Il était passablement plus long que d'habitude. Je me dirigeai vers une voiture de seconde classe. Des chants sortaient des wagons de troisième.

      —Einsteigen!... Fertig!

      —Bon voyage, mon fils Wilfrid! Au revoir dans quinze jours!

      Le train s'ébranla, cracha sa fumée, tandis que mon père, le conseiller de commerce Hering, saluait du mouchoir et que le domestique Johann ôtait dignement sa casquette.

       Table des matières

      Le trajet jusqu'à Magdebourg n'est pas long. Après Ilsenburg, il y a Wernigerode, puis Dannstedt, puis Halberstadt, où l'on rejoint la ligne de Halle. D'Halberstadt à Magdebourg on met une heure et demie.

      Il faisait un temps superbe. Partout régnaient la gaieté, le soleil, la vie normale, paisible et laborieuse. Les gens montaient et descendaient, pressés ou lents, des paniers au bras, des paquets aux mains, les dames en parasol, les hommes le cigare aux lèvres, causant diversement de choses et d'autres, s'abordant, se reconnaissant, s'interpellant. J'aperçus sur le quai d'Halberstadt un groupe d'étudiants de Halle, la casquette sur l'oreille, la badine sous l'aisselle. Des touristes circulaient, des Anglais à Baedeker, des Russes à lunettes d'or. D'entre ces nombreux visages qui passaient ainsi sous mes yeux, y en avait-il un qui trahit une inquiétude? Y en avait-il un seul pour se douter que dans quelques jours peut-être il aurait à changer brusquement d'aspect sous l'effet d'une formidable nouvelle dont il n'avait pour lors aucune idée?

      Je ne fus cependant pas sans remarquer qu'à chaque station montaient deux ou trois jeunes gens à l'air préoccupé, munis d'un léger bagage. Il en descendit une cinquantaine à Halberstadt. Quelques-uns avaient comme moi une valise; la plupart, des paysans et des ouvriers, portaient un baluchon de toile nouée. Mais, dans le mouvement de la gare, leur présence ne souleva nulle curiosité.

      Nienhagen, Oschersleben, Blumenberg... De nombreux réservistes montaient, qui descendirent à Magdebourg avec moi. Pas un uniforme en gare. Je chargeai un commissionnaire de porter ma cantine à la caserne et m'en fus faire un tour en ville. Tout y était habituel et calme. Les magasins étalaient leurs vitrines, devant lesquelles baguenaudait la foule bourgeoise. Les promeneurs animaient la Kaiserstrasse. Devant le théâtre étaient placardées les affiches d'une troupe estivale. Des enfants se dirigeaient par bandes vers les ombrages du jardin Frédéric-Guillaume. Une seule chose m'étonna: l'absence à peu près complète de soldats, dans cette ville qui à l'ordinaire en regorge.

      J'avais encore deux heures de liberté. Je décidai de les employer à me rafraîchir dans une brasserie, car il faisait terriblement chaud. J'entrai au Franziskaner. L'immense taverne était pleine. Je finis cependant


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