Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas


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des pierres d’une autre nature, puis on avait étendu sur ces pierres cet enduit, puis sur cet enduit on avait imité la teinte et le cristallin du granit.

      Dantès frappa alors par le bout aigu de la pioche, qui entra d’un pouce dans la porte-muraille.

      C’était là qu’il fallait fouiller.

      Par un mystère étrange de l’organisation humaine, plus les preuves que Faria ne s’était pas trompé devaient, en s’accumulant, rassurer Dantès, plus son cœur défaillant se laissait aller au doute et presque au découragement: cette nouvelle expérience, qui aurait dû lui donner une force nouvelle, lui ôta la force qui lui restait: la pioche descendit, s’échappant presque de ses mains; il la posa sur le sol, s’essuya le front et remonta vers le jour, se donnant à lui-même le prétexte de voir si personne ne l’épiait, mais, en réalité, parce qu’il avait besoin d’air, parce qu’il sentait qu’il allait s’évanouir.

      L’île était déserte, et le soleil à son zénith semblait la couvrir de son œil de feu; au loin, de petites barques de pécheurs ouvraient leurs ailes sur la mer d’un bleu de saphir.

      Dantès n’avait encore rien pris: mais c’était bien long de manger dans un pareil moment; il avala une gorgée de rhum et rentra dans la grotte le cœur raffermi.

      La pioche qui lui avait semblé si lourde était redevenue légère; il la souleva comme il eût fait d’une plume, et se remit vigoureusement à la besogne.

      Après quelques coups, il s’aperçut que les pierres n’étaient point scellées, mais seulement posées les unes sur les autres et recouvertes de l’enduit dont nous avons parlé; il introduisit dans une des fissures la pointe de la pioche, pesa sur le manche et vit avec joie la pierre tomber à ses pieds.

      Dès lors, Dantès n’eut plus qu’à tirer chaque pierre à lui avec la dent de fer de la pioche, et chaque pierre à son tour tomba près de la première.

      Dès la première ouverture, Dantès eût pu entrer; mais en tardant de quelques instants, c’était retarder la certitude en se cramponnant à l’espérance.

      Enfin, après une nouvelle hésitation d’un instant, Dantès passa de cette première grotte dans la seconde.

      Cette seconde grotte était plus basse, plus sombre et d’un aspect plus effrayant que la première; l’air, qui n’y pénétrait que par l’ouverture pratiquée à l’instant même, avait cette odeur méphitique que Dantès s’était étonné de ne pas trouver dans la première.

      Dantès donna le temps à l’air extérieur d’aller raviver cette atmosphère morte, et entra.

      À gauche de l’ouverture, était un angle profond et sombre.

      Mais, nous l’avons dit, pour l’œil de Dantès il n’y avait pas de ténèbres.

      Il sonda du regard la seconde grotte: elle était vide comme la première.

      Le trésor, s’il existait, était enterré dans cet angle sombre.

      L’heure de l’angoisse était arrivée; deux pieds de terre à fouiller, c’était tout ce qui restait à Dantès entre la suprême joie et le suprême désespoir.

      Il s’avança vers l’angle, et, comme pris d’une résolution subite, il attaqua le sol hardiment.

      Au cinquième ou sixième coup de pioche, le fer résonna sur du fer.

      Jamais tocsin funèbre, jamais glas frémissant ne produisit pareil effet sur celui qui l’entendit. Dantès n’aurait rien rencontré qu’il ne fût certes pas devenu plus pâle.

      Il sonda à côté de l’endroit où il avait sondé déjà, et rencontra la même résistance mais non pas le même son.

      «C’est un coffre de bois, cerclé de fer», dit-il.

      En ce moment, une ombre rapide passa interceptant le jour.

      Dantès laissa tomber sa pioche, saisit son fusil, repassa par l’ouverture, et s’élança vers le jour.

      Une chèvre sauvage avait bondi par-dessus la première entrée de la grotte et broutait à quelques pas de là.

      C’était une belle occasion de s’assurer son dîner, mais Dantès eut peur que la détonation du fusil n’attirât quelqu’un.

      Il réfléchit un instant, coupa un arbre résineux, alla l’allumer au feu encore fumant où les contrebandiers avaient fait cuire leur déjeuner, et revint avec cette torche.

      Il ne voulait perdre aucun détail de ce qu’il allait voir.

      Il approcha la torche du trou informe et inachevé, et reconnut qu’il ne s’était pas trompé: ses coups avaient alternativement frappé sur le fer et sur le bois.

      Il planta sa torche dans la terre et se remit à l’œuvre.

      En un instant, un emplacement de trois pieds de long sur deux pieds de large à peu près fut déblayé, et Dantès put reconnaître un coffre de bois de chêne cerclé de fer ciselé. Au milieu du couvercle resplendissaient, sur une plaque d’argent que la terre n’avait pu ternir, les armes de la famille Spada, c’est-à-dire une épée posée en pal sur un écusson ovale, comme sont les écussons italiens, et surmonté d’un chapeau de cardinal.

      Dantès les reconnut facilement: l’abbé Faria les lui avait tant de fois dessinées!

      Dès lors, il n’y avait plus de doute, le trésor était bien là; on n’eût pas pris tant de précautions pour remettre à cette place un coffre vide.

      En un instant, tous les alentours du coffre furent déblayés, et Dantès vit tour à tour apparaître la serrure du milieu, placée entre deux cadenas, et les anses des faces latérales; tout cela était ciselé comme on ciselait à cette époque, où l’art rendait précieux les plus vils métaux.

      Dantès prit le coffre par les anses et essaya de le soulever: c’était chose impossible.

      Dantès essaya de l’ouvrir: serrure et cadenas étaient fermés; les fidèles gardiens semblaient ne pas vouloir rendre leur trésor.

      Dantès introduisit le côté tranchant de sa pioche entre le coffre et le couvercle, pesa sur le manche de la pioche, et le couvercle, après avoir crié, éclata. Une large ouverture des ais rendit les ferrures inutiles, elles tombèrent à leur tour, serrant encore de leurs ongles tenaces les planches entamées par leur chute, et le coffre fut découvert.

      Une fièvre vertigineuse s’empara de Dantès; il saisit son fusil, l’arma et le plaça près de lui. D’abord il ferma les yeux, comme font les enfants, pour apercevoir, dans la nuit étincelante de leur imagination, plus d’étoiles qu’ils n’en peuvent compter dans un ciel encore éclairé, puis il les rouvrit et demeura ébloui.

      Trois compartiments scindaient le coffre.

      Dans le premier brillaient de rutilants écus d’or aux fauves reflets.

      Dans le second, des lingots mal polis et rangés en bon ordre, mais qui n’avaient de l’or que le poids et la valeur.

      Dans le troisième enfin, à demi plein, Edmond remua à poignée les diamants, les perles, les rubis, qui, cascade étincelante, faisaient, en retombant les uns sur les autres, le bruit de la grêle sur les vitres.

      Après avoir touché, palpé, enfoncé ses mains frémissantes dans l’or et les pierreries, Edmond se releva et prit sa course à travers les cavernes avec la tremblante exaltation d’un homme qui touche à la folie. Il sauta sur un rocher d’où il pouvait découvrir la mer, et n’aperçut rien; il était seul, bien seul, avec ces richesses incalculables, inouïes, fabuleuses, qui lui appartenaient: seulement rêvait-il ou était-il éveillé? faisait-il un songe fugitif ou étreignait-il corps à corps une réalité?

      Il avait besoin de revoir son or, et cependant il sentait qu’il n’aurait pas la force, en ce moment, d’en soutenir la vue. Un instant, il appuya ses deux mains sur le haut de sa tête, comme pour empêcher sa raison de s’enfuir; puis il s’élança tout


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