Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas


Скачать книгу
il tomba à genoux, comprimant de ses deux mains convulsives son cœur bondissant, et murmurant une prière intelligible pour Dieu seul.

      Bientôt, il se sentit plus calme et partant plus heureux, car de cette heure seulement il commençait à croire à sa félicité.

      Il se mit alors à compter sa fortune; il y avait mille lingots d’or de deux à trois livres chacun; ensuite, il empila vingt-cinq mille écus d’or, pouvant valoir chacun quatre-vingts francs de notre monnaie actuelle, tous à l’effigie du pape Alexandre VI et de ses prédécesseurs, et il s’aperçut que le compartiment n’était qu’à moitié vide; enfin, il mesura dix fois la capacité de ses deux mains en perles, en pierreries, en diamants, dont beaucoup, montés par les meilleurs orfèvres de l’époque, offraient une valeur d’exécution remarquable, même à côté de leur valeur intrinsèque.

      Dantès vit le jour baisser et s’éteindre peu à peu. Il craignit d’être surpris s’il restait dans la caverne, et sortit son fusil à la main. Un morceau de biscuit et quelques gorgées de vin furent son souper. Puis il replaça la pierre, se coucha dessus, et dormit à peine quelques heures, couvrant de son corps l’entrée de la grotte.

      Cette nuit fut à la fois une de ces nuits délicieuses et terribles, comme cet homme aux foudroyantes émotions en avait déjà passé deux ou trois dans la vie.

      XXV. L’inconnu

      Le jour vint. Dantès l’attendait depuis longtemps, les yeux ouverts. À ses premiers rayons, il se leva, monta, comme la veille, sur le rocher le plus élevé de l’île, afin d’explorer les alentours; comme la veille, tout était désert.

      Edmond descendit, leva la pierre, emplit ses poches de pierreries, replaça du mieux qu’il put les planches et les ferrures du coffre, le recouvrit de terre, piétina cette terre, jeta du sable dessus, afin de rendre l’endroit fraîchement retourné pareil au reste du sol; sortit de la grotte, replaça la dalle, amassa sur la dalle des pierres de différentes grosseurs; introduisit de la terre dans les intervalles, planta dans ces intervalles des myrtes et des bruyères, arrosa les plantations nouvelles afin qu’elles semblassent anciennes; effaça les traces de ses pas amassées autour de cet endroit, et attendit avec impatience le retour de ses compagnons. En effet, il ne s’agissait plus maintenant de passer son temps à regarder cet or et ces diamants et à rester à Monte-Cristo comme un dragon surveillant d’inutiles trésors. Maintenant, il fallait retourner dans la vie, parmi les hommes, et prendre dans la société le rang, l’influence et le pouvoir que donne en ce monde la richesse, la première et la plus grande des forces dont peut disposer la créature humaine.

      Les contrebandiers revinrent le sixième jour. Dantès reconnut de loin le port et la marche de la Jeune-Amélie; il se traîna jusqu’au port comme Philoctète blessé, et lorsque ses compagnons abordèrent, il leur annonça, tout en se plaignant encore, un mieux sensible; puis à son tour, il écouta le récit des aventuriers. Ils avaient réussi, il est vrai; mais à peine le chargement avait-il été déposé, qu’ils avaient eu avis qu’un brick en surveillance à Toulon venait de sortir du port et se dirigeait de leur côté. Ils s’étaient alors enfuis à tire-d’aile, regrettant que Dantès, qui savait donner une vitesse si supérieure au bâtiment, ne fût point là pour le diriger. En effet, bientôt ils avaient aperçu le bâtiment chasseur; mais à l’aide de la nuit, et en doublant le cap Corse, ils lui avaient échappé.

      En somme, ce voyage n’avait pas été mauvais; et tous, et surtout Jacopo, regrettaient que Dantès n’en eût pas été, afin d’avoir sa part des bénéfices qu’il avait rapportés, part qui montait à cinquante piastres.

      Edmond demeura impénétrable; il ne sourit même pas à l’énumération des avantages qu’il eût partagés s’il eût quitté l’île; et, comme la Jeune-Amélie n’était venue à Monte-Cristo que pour le chercher, il se rembarqua le soir même et suivit le patron à Livourne.

      À Livourne, il alla chez un juif et vendit cinq mille francs chacun quatre de ses plus petits diamants. Le juif aurait pu s’informer comment un matelot se trouvait possesseur de pareils objets; mais il s’en garda bien, il gagnait mille francs sur chacun.

      Le lendemain, il acheta une barque toute neuve qu’il donna à Jacopo, en ajoutant à ce don cent piastres afin qu’il pût engager un équipage; et cela, à la condition que Jacopo irait à Marseille demander des nouvelles d’un vieillard nommé Louis Dantès et qui demeurait aux Allées de Meilhan, et d’une jeune fille qui demeurait au village des Catalans et que l’on nommait Mercédès.

      Ce fut à Jacopo à croire qu’il faisait un rêve: Edmond lui raconta alors qu’il s’était fait marin par un coup de tête, et parce que sa famille lui refusait l’argent nécessaire à son entretien; mais qu’en arrivant à Livourne il avait touché la succession d’un oncle qui l’avait fait son seul héritier. L’éducation élevée de Dantès donnait à ce récit une telle vraisemblance que Jacopo ne douta point un instant que son ancien compagnon ne lui eût dit la vérité.

      D’un autre côté, comme l’engagement d’Edmond à bord de la Jeune-Amélie était expiré, il prit congé du marin, qui essaya d’abord de le retenir, mais qui, ayant appris comme Jacopo l’histoire de l’héritage, renonça dès lors à l’espoir de vaincre la résolution de son ancien matelot.

      Le lendemain, Jacopo mit à la voile pour Marseille; il devait retrouver Edmond à Monte-Cristo.

      Le même jour, Dantès partit sans dire où il allait, prenant congé de l’équipage de la Jeune-Amélie par une gratification splendide, et du patron avec la promesse de lui donner un jour ou l’autre de ses nouvelles.

      Dantès alla à Gênes.

      Au moment où il arrivait, on essayait un petit yacht commandé par un Anglais qui, ayant entendu dire que les Génois étaient les meilleurs constructeurs de la Méditerranée, avait voulu avoir un yacht construit à Gênes; l’Anglais avait fait prix à quarante mille francs: Dantès en offrit soixante mille, à la condition que le bâtiment lui serait livré le jour même. L’Anglais était allé faire un tour en Suisse, en attendant que son bâtiment fût achevé. Il ne devait revenir que dans trois semaines ou un mois: le constructeur pensa qu’il aurait le temps d’en remettre un autre sur le chantier. Dantès emmena le constructeur chez un juif, passa avec lui dans l’arrière-boutique et le juif compta soixante mille francs au constructeur.

      Le constructeur offrit à Dantès ses services pour lui composer un équipage; mais Dantès le remercia, en disant qu’il avait l’habitude de naviguer seul, et que la seule chose qu’il désirait était qu’on exécutât dans la cabine, à la tête du lit, une armoire à secret, dans laquelle se trouveraient trois compartiments à secret aussi. Il donna la mesure de ces compartiments, qui furent exécutés le lendemain.

      Deux heures après, Dantès sortait du port de Gênes, escorté par les regards d’une foule de curieux qui voulaient voir le seigneur espagnol qui avait l’habitude de naviguer seul.

      Dantès s’en tira à merveille; avec l’aide du gouvernail, et sans avoir besoin de le quitter, il fit faire à son bâtiment toutes les évolutions voulues; on eût dit un être intelligent prêt à obéir à la moindre impulsion donnée, et Dantès convint en lui-même que les Génois méritaient leur réputation de premiers constructeurs du monde.

      Les curieux suivirent le petit bâtiment des yeux jusqu’à ce qu’ils l’eussent perdu de vue, et alors les discussions s’établirent pour savoir où il allait: les uns penchèrent pour la Corse, les autres pour l’île d’Elbe; ceux-ci offrirent de parier qu’il allait en Espagne, ceux-là soutinrent qu’il allait en Afrique; nul ne pensa à nommer l’île de Monte-Cristo.

      C’était cependant à Monte-Cristo qu’allait Dantès.

      Il y arriva vers la fin du second jour: le navire était excellent voilier et avait parcouru la distance en trente-cinq heures. Dantès avait parfaitement reconnu le gisement de la côte; et, au lieu d’aborder au port habituel, il jeta l’ancre dans la petite crique.

      L’île était déserte;


Скачать книгу