Les fleurs du mal. Charles Baudelaire

Les fleurs du mal - Charles  Baudelaire


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des cygnes;

      Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

      Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

      Les poètes, devant mes grandes attitudes,

      Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,

      Consumeront leurs jours en d’austères études;

      Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,

      De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:

      Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

      XVIII. L’idéal

      Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,

      Produits avariés, nés d’un siècle vaurien,

      Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,

      Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.

      Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,

      Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital,

      Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses

      Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

      Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme,

      C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,

      Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans,

      Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,

      Qui tors paisiblement dans une pose étrange

      Tes appas façonnés aux bouches des Titans.

      XIX. La géante

      Du temps que la Nature en sa verve puissante

      Concevait chaque jour des enfants monstrueux,

      J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,

      Comme aux pieds d’une reine chat voluptueux.

      J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme

      Et grandir librement dans ses terribles jeux;

      Deviner si son cœur couve une sombre flamme

      Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux;

      Parcourir à loisir ses magnifiques formes;

      Ramper sur le versant de ses genoux énormes,

      Et parfois en été, quand les soleils malsains,

      Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,

      Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,

      Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.

      XX. Le masque

      Statue allégorique dans le goût de la renaissance

      à Ernest Christophe, statuaire

      Contemplons ce trésor de grâces florentines;

      Dans l’ondulation de ce corps musculeux

      L’Élégance et la Force abondent, sœurs divines.

      Cette femme, morceau vraiment miraculeux,

      Divinement robuste, adorablement mince,

      Est faite pour trôner sur des lits somptueux,

      Et charmer les loisirs d’un pontife ou d’un prince.

      – Aussi, vois ce souris fin et voluptueux

      Où la Fatuité promène son extase;

      Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;

      Ce visage mignard, tout encadré de gaze,

      Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:

      «La Volupté m’appelle et l’Amour me couronne!»

      À cet être doué de tant de majesté

      Vois quel charme excitant la gentillesse donne!

      Approchons, et tournons autour de sa beauté.

      Ô blasphème de l’art! ô surprise fatale!

      La femme au corps divin, promettant le bonheur,

      Par le haut se termine en monstre bicéphale!

      Mais non! ce n’est qu’un masque, un décor suborneur,

      Ce visage éclairé d’une exquise grimace,

      Et, regarde, voici, crispée atrocement,

      La véritable tête, et la sincère face

      Renversée à l’abri de la face qui ment.

      Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve

      De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux;

      Ton mensonge m’enivre, et mon âme s’abreuve

      Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!

      – Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite

      Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,

      Quel mal mystérieux ronge son flanc d’athlète?

      – Elle pleure, insensé, parce qu’elle a vécu!

      Et parce qu’elle vit! Mais ce qu’elle déplore

      Surtout, ce qui la fait frémir jusqu’aux genoux,

      C’est que demain, hélas! il faudra vivre encore!

      Demain, après-demain et toujours! – comme nous!

      XXI. Hymne à la beauté

      Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,

      Ô Beauté! ton regard, infernal et divin,

      Verse confusément le bienfait et le crime,

      Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

      Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore;

      Tu répands des parfums comme un soir orageux;

      Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore

      Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.

      Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?

      Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;

      Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,

      Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

      Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques;

      De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant,

      Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,

      Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

      L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,

      Crépite, flambe et dit: Bénissons ce flambeau!

      L’amoureux pantelant incliné sur sa belle

      À l’air d’un moribond caressant son tombeau.

      Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,

      Ô Beauté! monstre énorme, effrayant, ingénu!

      Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte

      D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu?

      De Satan ou de Dieu, qu’importe? Ange ou Sirène,

      Qu’importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours,

      Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine! —

      L’univers moins hideux et les instants moins lourds!

      XXII.


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