L'île mystérieuse. Jules Verne

L'île mystérieuse - Jules  Verne


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fut donc convenu que l’ingénieur et le reporter passeraient la journée aux Cheminées, afin d’examiner le littoral et le plateau supérieur. Pendant ce temps, Nab, Harbert et le marin retourneraient à la forêt, y renouvelleraient la provision de bois, et feraient main-basse sur toute bête de plume ou de poil qui passerait à leur portée.

      Ils partirent donc, vers dix heures du matin, Harbert confiant, Nab joyeux, Pencroff murmurant à part lui:

      «Si, à mon retour, je trouve du feu à la maison, c’est que le tonnerre en personne sera venu l’allumer!»

      Tous trois remontèrent la berge, et, arrivés au coude que formait la rivière, le marin, s’arrêtant, dit à ses deux compagnons:

      «Commençons-nous par être chasseurs ou bûcherons?

      – Chasseurs, répondit Harbert. Voilà déjà Top qui est en quête.

      – Chassons donc, reprit le marin; puis, nous reviendrons ici faire notre provision de bois.»

      Cela dit, Harbert, Nab et Pencroff, après avoir arraché trois bâtons au tronc d’un jeune sapin, suivirent Top, qui bondissait dans les grandes herbes.

      Cette fois, les chasseurs, au lieu de longer le cours de la rivière, s’enfoncèrent plus directement au cœur même de la forêt. C’étaient toujours les mêmes arbres, appartenant pour la plupart à la famille des pins. En de certains endroits, moins pressés, isolés par bouquets, ces pins présentaient des dimensions considérables, et semblaient indiquer, par leur développement, que cette contrée se trouvait plus élevée en latitude que ne le supposait l’ingénieur. Quelques clairières, hérissées de souches rongées par le temps, étaient couvertes de bois mort, et formaient ainsi d’inépuisables réserves de combustible. Puis, la clairière passée, le taillis se resserrait et devenait presque impénétrable.

      Se guider au milieu de ces massifs d’arbres, sans aucun chemin frayé, était chose assez difficile. Aussi, le marin, de temps en temps, jalonnait-il sa route en faisant quelques brisées qui devaient être aisément reconnaissables. Mais peut-être avait-il eu tort de ne pas remonter le cours d’eau, ainsi qu’Harbert et lui avaient fait pendant leur première excursion, car, après une heure de marche, pas un gibier ne s’était encore montré. Top, en courant sous les basses ramures, ne donnait l’éveil qu’à des oiseaux qu’on ne pouvait approcher. Les couroucous eux-mêmes étaient absolument invisibles, et il était probable que le marin serait forcé de revenir à cette partie marécageuse de la forêt, dans laquelle il avait si heureusement opéré sa pêche aux tétras.

      «Eh! Pencroff, dit Nab d’un ton un peu sarcastique, si c’est là tout le gibier que vous avez promis de rapporter à mon maître, il ne faudra pas grand feu pour le faire rôtir!

      – Patience, Nab, répondit le marin, ce n’est pas le gibier qui manquera au retour!

      – Vous n’avez donc pas confiance en M Smith?

      – Si.

      – Mais vous ne croyez pas qu’il fera du feu?

      – Je le croirai quand le bois flambera dans le foyer.

      – Il flambera, puisque mon maître l’a dit!

      – Nous verrons!»

      Cependant, le soleil n’avait pas encore atteint le plus haut point de sa course au-dessus de l’horizon.

      L’exploration continua donc, et fut utilement marquée par la découverte qu’Harbert fit d’un arbre dont les fruits étaient comestibles. C’était le pin pigeon, qui produit une amande excellente, très estimée dans les régions tempérées de l’Amérique et de l’Europe. Ces amandes étaient dans un parfait état de maturité, et Harbert les signala à ses deux compagnons, qui s’en régalèrent.

      «Allons, dit Pencroff, des algues en guise de pain, des moules crues en guise de chair, et des amandes pour dessert, voilà bien le dîner de gens qui n’ont plus une seule allumette dans leur poche!

      – Il ne faut pas se plaindre, répondit Harbert.

      – Je ne me plains pas, mon garçon, répondit Pencroff. Seulement, je répète que la viande est un peu trop économisée dans ce genre de repas!

      – Top a vu quelque chose!…» s’écria Nab, qui courut vers un fourré au milieu duquel le chien avait disparu en aboyant.

      Aux aboiements de Top se mêlaient des grognements singuliers.

      Le marin et Harbert avaient suivi Nab. S’il y avait là quelque gibier, ce n’était pas le moment de discuter comment on pourrait le faire cuire, mais bien comment on pourrait s’en emparer.

      Les chasseurs, à peine entrés dans le taillis, virent Top aux prises avec un animal qu’il tenait par une oreille. Ce quadrupède était une espèce de porc long de deux pieds et demi environ, d’un brun noirâtre mais moins foncé au ventre, ayant un poil dur et peu épais, et dont les doigts, alors fortement appliqués sur le sol, semblaient réunis par des membranes.

      Harbert crut reconnaître en cet animal un cabiai, c’est-à-dire un des plus grands échantillons de l’ordre des rongeurs.

      Cependant, le cabiai ne se débattait pas contre le chien. Il roulait bêtement ses gros yeux profondément engagés dans une épaisse couche de graisse. Peut-être voyait-il des hommes pour la première fois.

      Cependant, Nab, ayant assuré son bâton dans sa main, allait assommer le rongeur, quand celui-ci, s’arrachant aux dents de Top, qui ne garda qu’un bout de son oreille, poussa un vigoureux grognement, se précipita sur Harbert, le renversa à demi, et disparut à travers bois.

      «Ah! le gueux!» s’écria Pencroff.

      Aussitôt tous trois s’étaient lancés sur les traces de Top, et au moment où ils allaient le rejoindre, l’animal disparaissait sous les eaux d’une vaste mare, ombragée par de grands pins séculaires.

      Nab, Harbert, Pencroff s’étaient arrêtés, immobiles. Top s’était jeté à l’eau, mais le cabiai, caché au fond de la mare, ne paraissait plus.

      «Attendons, dit le jeune garçon, car il viendra bientôt respirer à la surface.

      – Ne se noiera-t-il pas? demanda Nab.

      – Non, répondit Harbert, puisqu’il a les pieds palmés, et c’est presque un amphibie. Mais guettons-le.»

      Top était resté à la nage. Pencroff et ses deux compagnons allèrent occuper chacun un point de la berge, afin de couper toute retraite au cabiai, que le chien cherchait en nageant à la surface de la mare.

      Harbert ne se trompait pas. Après quelques minutes, l’animal remonta au-dessus des eaux. Top d’un bond fut sur lui, et l’empêcha de plonger à nouveau. Un instant plus tard, le cabiai, traîné jusqu’à la berge, était assommé d’un coup du bâton de Nab.

      «Hurrah! s’écria Pencroff, qui employait volontiers ce cri de triomphe. Rien qu’un charbon ardent, et ce rongeur sera rongé jusqu’aux os!»

      Pencroff chargea le cabiai sur son épaule, et, jugeant à la hauteur du soleil qu’il devait être environ deux heures, il donna le signal du retour.

      L’instinct de Top ne fut pas inutile aux chasseurs, qui, grâce à l’intelligent animal, purent retrouver le chemin déjà parcouru. Une demi-heure après, ils arrivaient au coude de la rivière.

      Ainsi qu’il l’avait fait la première fois, Pencroff établit rapidement un train de bois, bien que, faute de feu, cela lui semblât une besogne inutile, et, le train suivant le fil de l’eau, on revint vers les Cheminées.

      Mais, le marin n’en était pas à cinquante pas qu’il s’arrêtait, poussait de nouveau un hurrah formidable, et, tendant la main vers l’angle de la falaise:

      «Harbert! Nab! Voyez!» s’écriait-il.

      Une fumée s’échappait et tourbillonnait au-dessus des roches!

      CHAPITRE X

      Quelques


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