Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey

Double-Blanc - Fortuné du Boisgobey


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Bonne chance, mon cher!… tu nous trouveras chez Verdier… à la Maison d’Or… à trois heures… j’ai retenu le cabinet du fond.

      Ernest n’avait pas vu son camarade recevoir et empocher prestement l’enveloppe; s’il l’avait vu, il n’aurait pas manqué de se moquer de lui et il y aurait eu de quoi, car cette coureuse masquée ne valait probablement pas qu’on la prît au sérieux.

      Mais Hervé de Scaër n’était pas Breton pour rien et quelques années de vie parisienne ne l’avaient pas guéri des naïvetés de son enfance. Il croyait encore à bien des choses que ses nouveaux amis blaguaient impitoyablement. L’inconnu l’attirait et il n’hésitait jamais à se lancer dans une aventure, sans se demander où elle le conduirait.

      Il avait pourtant de bonnes raisons pour être prudent, car après beaucoup de sottises coûteuses, il touchait au port du mariage et il allait franchir gaiement le pas solennel qui sépare la vie de garçon de la vie conjugale. Il s’agissait de sauver les terres qui lui restaient de son patrimoine, fortement ébréché par ses folies de jeunesse, et de plus, sa future était charmante.

      Mais, s’il tenait à retrouver la blonde, ce n’était pas, comme le croyait son ami Pibrac, pour se passer une dernière fantaisie avant d’enchaîner sa liberté. Il ne savait même pas si elle était jolie, et d’ailleurs il était fort blasé sur les bonnes fortunes d’occasion, car il ne comptait plus ses succès dans tous les mondes et il les méritait.

      Ce gentilhomme armoricain plaisait à toutes les femmes avec ses grands yeux noirs pleins de feu, sa haute taille, son air mâle et sa tournure élégante; sans parler de son esprit romanesque et de son caractère énergique.

      Il n’en était donc pas à une conquête de plus ou de moins et le sentiment qui le poussait à suivre cette inconnue n’était qu’un sentiment de curiosité.

      Elle affirmait l’avoir vu en Bretagne et il n’avait pas perdu le souvenir d’une rencontre qu’il y avait faite autrefois dans des circonstances inoubliables: une femme qui s’était montrée à lui, un soir, sur une grève déserte. Et il se demandait si ce n’était pas cette femme qui venait de lui apparaître encore au bal de l’Opéra.

      La supposition n’avait pas le sens commun, mais son imagination faisait des siennes et il s’était mis en tête de savoir à quoi s’en tenir.

      Il se promettait bien d’ouvrir la lettre mystérieuse qu’elle lui avait laissée, mais il voulait d’abord la rejoindre, à seule fin de la questionner.

      Pibrac et les autres viveurs ne seraient plus là. Elle ne refuserait pas de s’expliquer en tête-à-tête.

      La rejoindre, ce n’était pas facile au milieu de cette foule qui obstruait le corridor des premières. Hervé, cependant, ne désespérait pas d’apercevoir le domino blanc qui la signalait de loin; mais il eut beau se jeter au plus épais de la cohue, il n’aperçut que des femmes encapuchonnées de noir, et bientôt il se trouva pris dans une poussée de déguisés venant de la salle, repoussé, ballotté et finalement collé contre la muraille.

      En jouant des coudes, il parvint à se dégager et il songeait à se réfugier au foyer, lorsqu’il sentit qu’on le tirait par les basques de son habit.

      En se retournant pour envoyer une bourrade au malotru qui s’accrochait à lui, il vit que c’était l’homme qu’il avait tout à l’heure gratifié d’un louis, et, à sa grande stupéfaction, ce pauvre diable lui dit:

      – Excusez-moi, monsieur Hervé, si je me permets de vous parler.

      Vous ne me reconnaissez pas, je le vois bien, reprit humblement le troubadour, en ôtant sa toque à créneaux.

      – Non, pas du tout, dit Hervé de Scaër, et pourtant il me semble que je t’ai déjà vu quelque part.

      – Vous m’avez vu en Bretagne, quand je menais les chèvres brouter dans la lande de Rustéphan. Vous ne vous souvenez pas de moi, mais vous devez vous souvenir de mon père, Baptiste Kernoul… il a longtemps servi le vôtre.

      – Kernoul!… le vieux garde de la forêt de Clohars?… Comment! c’est toi, le gars aux biques, comme on t’appelait là-bas!… On m’avait dit que tu étais parti pour la pêche à Terre-Neuve et que tu y avais péri dans un naufrage.

      – Ils croient ça chez nous et ce n’est pas moi qui leur apprendrai qu’ils se trompent, car je ne reviendrai jamais au pays.

      – Pourquoi donc?

      – Ah! notre maître, je n’ose pas vous le dire… et pourtant…

      Le colloque fut interrompu par une nouvelle poussée et, voyant qu’il n’y aurait pas moyen de le reprendre dans ce couloir tumultueux, Hervé se mit à fendre la foule, après avoir fait signe au chevrier de le suivre. Cet homme l’intéressait depuis qu’il savait son nom; il tenait à entendre son histoire et rien ne l’empêchait de l’écouter à loisir, puisque le domino blanc avait disparu; mais il ne se souciait pas que ses amis le surprissent causant familièrement avec un clodoche, et il eut l’idée de l’emmener à la buvette, au troisième étage des loges.

      Là, il ne rencontrerait certainement personne de son monde et, en effet, il n’y trouva guère que des déguisés sans élégance, de ceux que l’administration du bal payait pour danser.

      En 1870, on usait déjà de ce moyen d’entretenir la gaieté dans la salle.

      Les deux Bretons prirent place à une table poisseuse et le seigneur de Scaër fit apporter un carafon d’eau-de-vie. Il comptait que l’alcool délierait la langue de son compatriote et il n’avait pas tort.

      Le gars aux biques vida coup sur coup plusieurs petits verres et, quand il les eut absorbés, il n’attendit pas que son ancien maître l’interrogeât.

      – Ah! monsieur Hervé, soupira-t-il, c’est le bon Dieu qui m’a poussé à venir ici cette nuit.

      – Le bon Dieu?… Tu y crois encore?

      – Si j’y crois!… Oh! oui… Vous me demandez ça, parce que vous me voyez habillé en mardi-gras. Ah! notre maître, ce n’est pas pour m’amuser que je me suis mis ce pouillement sur le dos. Si vous saviez…

      – Pour que je sache, il faut que tu me renseignes. Conte-moi tes affaires. Et d’abord, pourquoi as-tu quitté le pays?

      J’espère bien que ce n’est pas parce que tu as fait un mauvais coup.

      – Non… je n’ai rien à craindre des gendarmes… et, ma foi! j’aime autant vous dire tout de suite la vérité… je suis parti de votre ferme de Lanriec parce que…, parce que j’étais amoureux.

      – Amoureux, toi!… et de qui?… d’une pâtouresse?

      – Oh! non!… je ne les regardais seulement pas les pâtouresses… mais, vous rappelez-vous?… Il y a trois ans… vous étiez encore au château… il passa une troupe de Bohémiens qui jouaient des comédies…

      – Parfaitement… ils donnaient des représentations sur la grande place de Concarneau. J’ai assisté à la première.

      – Ils y sont restés toute une semaine.

      – Je ne les ai vus qu’une fois, la veille de mon départ pour Paris, mais je me souviens très bien qu’ils avaient avec eux une très jolie fille, qui dansait en jouant des castagnettes.

      – Eh bien! c’est elle qui m’a tourné la tête.

      – Et tu as abandonné tes chèvres pour la suivre?

      – Oui… à pied… et avec six francs douze sous dans ma poche… Je marchais derrière leur carriole et, le soir, je couchais dessous… mais je n’osais pas leur parler et je vivais de croûtes de pain. Au bout de huit jours, le chef de la bande me proposa de me nourrir si je voulais m’engager comme paillasse…

      – Et tu t’empressas d’accepter?

      – Oui… pour rester avec Zina.

      – Ah!


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