Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey

Double-Blanc - Fortuné du Boisgobey


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toujours un peu fausse. Il allait se marier sans arrière-pensée d’aucune sorte et il menait déjà une conduite exemplaire, ce qui était assez méritoire de la part d’un ancien viveur. Il poussait la sagesse jusqu’à fuir les tentations et il avait fallu tout un enchaînement de circonstances imprévues pour qu’il en fût arrivé à se préoccuper de la rencontre d’une femme en domino.

      C’était le moment d’éclaircir les doutes qui lui étaient venus à l’esprit, et pour savoir à quoi s’en tenir sur cette inconnue, il n’avait qu’à ouvrir la lettre qu’elle lui avait remise avant de s’éclipser et qu’il avait glissée dans une des poches de son pantalon. Il s’empressa de l’en tirer pour la lire à la clarté de deux bougies qu’il venait d’allumer.

      Il commença par examiner le cachet de cire rouge qui la fermait et il vit que ce cachet portait des armoiries qu’il ne prit pas le temps de déchiffrer, avant de le faire sauter.

      Sous l’enveloppe, il trouva un carton satiné où il y avait écrit: «Si vous vous souvenez encore de la grève de Trévic et si vous désirez revoir celle qu’un soir vous avez prise pour une fée, écrivez, poste restante, aux initiales B. L. et donnez votre adresse. La fée n’ira pas chez vous, mais elle vous répondra en vous indiquant un rendez-vous, et, si vous y venez, elle vous renseignera sur une jeune femme que vous n’avez pas revue depuis dix ans.»

      C’était tout, mais c’en était assez pour surexciter encore l’imagination d’Hervé, en lui rappelant le souvenir lointain de son premier amour.

      Il n’avait que seize ans lorsqu’il s’était violemment épris d’une fillette un peu plus jeune que lui, une Américaine qui était venue tout à coup habiter avec sa mère une maisonnette voisine du bourg de Pontaven et pas très éloignée du château de Trégunc.

      Cette enfant était d’une beauté merveilleuse et d’une distinction rare. Sa mère lui laissait une liberté absolue dont elle profitait pour courir seule les landes, les bois et les rochers de cette côte sauvage.

      Elle n’avait pas tardé à rencontrer Hervé de Scaër qui s’était mis promptement à l’aimer et qu’elle avait aussitôt payé de retour, si bien que, par une belle matinée de printemps, au bord de la mer et au pied d’un dolmen, ils s’étaient réciproquement juré de s’épouser, avec ou sans la permission de leurs parents.

      À l’âge qu’ils avaient alors, pareil serment n’engage pas l’avenir, mais Dieu sait où les aurait menés cette amourette, si, après six mois de chastes adorations en plein air, un événement étrange ne les avait pas séparés brusquement.

      Une nuit, Mme Nesbitt et sa fille Héva étaient parties, sans prévenir personne, laissant au logis qu’elles occupaient leurs vêtements et leur linge, comme si elles avaient dû rentrer le lendemain, et jamais elles n’étaient revenues; jamais! jamais!

      Dans le pays, on avait cru à un crime et la justice s’était émue de cette disparition inexplicable.

      Mais vainement avait-on fouillé les bois et dragué les rivières; vainement avait-on signalé à toutes les autorités du département les deux étrangères. Toutes les recherches étaient restées sans effet.

      La mère et la fille s’étaient évanouies, comme des fantômes, sans laisser de traces, pas même des lettres ou des papiers qui auraient pu fournir des indications sur leur passé et sur leur origine.

      Les disparues n’étaient cependant pas des aventurières.

      Elles n’avaient pas de dettes dans le pays. La maison était louée et la location payée pour un an. Les deux Bretonnes qui les servaient avaient reçu six mois d’avance sur leurs gages. Et les provisions étaient achetées comptant.

      Ces dames ne recevaient absolument personne. Hervé lui-même n’était jamais entré chez elles, et il ne savait rien de leur existence antérieure, si ce n’est que la mère était veuve d’un commodore de la marine des États-Unis. La fille le lui avait dit et il n’en avait pas demandé davantage.

      On croira sans peine qu’il les chercha partout, notamment à Lorient et à Brest où il supposait qu’elles avaient pu s’embarquer pour l’Amérique. Il n’en eut aucunes nouvelles, et il faillit mourir de chagrin.

      Son père le crut fou et l’envoya terminer ses études à Paris, dans une école préparatoire. Mais Hervé manqua deux fois l’examen de Saint-Cyr et revint à Trégunc, où il resta jusqu’à la mort du gentilhomme dont il était l’unique héritier.

      Hervé n’était pas guéri de sa passion romanesque pour une absente. Il pensa bien longtemps à Héva, quoiqu’il menât à Paris une vie très dissipée. L’image de cette jeune fille, à peine entrevue, ne s’effaçait pas de sa mémoire et il ne désespérait pas de la retrouver.

      Sept ans après, il ne l’avait pas encore oubliée, lorsque, pendant un court séjour qu’il fit à son château, il lui arriva une étrange aventure.

      Un soir, vers la fin du mois d’octobre, étant allé attendre le passage des bécasses qui en cette saison foisonnent sur la côte, Hervé fit si bonne chasse que la nuit tomba avant qu’il songeât à regagner son manoir de Trégunc: une belle nuit d’automne éclairée par la pleine lune.

      En cherchant son chemin à travers les ajoncs, il reconnut que le hasard l’avait conduit tout près de la pointe de Trévic, et l’idée lui vint de revoir le dolmen au pied duquel il avait juré à Héva de l’aimer toujours.

      Sept années avaient passé sur ce serment et Hervé de Scaër ne doutait plus que la mort de la jeune fille l’en eût délié, mais il se souvenait d’elle et il chercha la place où il s’était fiancé en plein air.

      Il la retrouva sans peine, car le monument druidique s’élevait à l’extrémité d’un promontoire et on l’apercevait de très loin. Sa masse énorme se profilait sur l’horizon comme un monstrueux animal antédiluvien et dominait une grève hérissée de rochers vers laquelle le cap s’abaissait par une pente douce.

      Hervé eut tôt fait d’arriver à l’entrée de la voûte de pierre qui s’étendait parallèlement à la mer.

      La pâle lumière de la lune n’y pénétrait pas, mais Hervé crut voir poindre dans l’ombre une forme blanche qui semblait reculer à mesure qu’il avançait.

      Il entra sous la voûte et la forme blanche disparut; mais quand il sortit par l’autre bout de la galerie, il vit, très distinctement cette fois, une femme enveloppée d’une longue mante blanche et courant sur la plage vers un canot où l’attendaient deux matelots armés de leurs avirons.

      Elle y monta; ils ramèrent et le canot disparut derrière un gros écueil.

      Hervé aurait pu croire qu’il avait rêvé tout cela, s’il n’eût entendu, bientôt après, le bruit de l’hélice d’un vapeur dont il n’aperçut que la fumée.

      Où allait ce navire et qu’était-il venu faire, la nuit, dans ces parages dangereux où les marins ne se risquent pas volontiers, même en plein jour? La contrebande, peut-être. Mais la femme en blanc, que cherchait-elle toute seule sous le dolmen? Assurément, les fraudeurs ne comptaient pas y entreposer leurs ballots de marchandises prohibées. Les fraudeurs n’ont pas coutume d’emmener leurs femmes dans leurs expéditions. Il y avait d’ailleurs, sur la côte, des postes de douaniers qui se seraient opposés au débarquement, si le navire leur avait paru suspect.

      Hervé ne croyait pas aux fées, et du reste si, comme l’affirment les Cornouaillais, les fées se promènent au clair de lune sur les bruyères désertes, personne ne les a jamais vues naviguer.

      Le dernier des Scaër rentra au château très intrigué et même un peu troublé.

      Dès le lendemain, il s’informa auprès des pêcheurs de la côte et il apprit que, pendant deux jours, un yacht avait croisé sous l’archipel des Glenans, et que, la veille au soir, il avait pris le large.

      Sur ce renseignement, Hervé s’imagina que la femme qu’il avait surprise sous le dolmen y était


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