Mont Oriol. Guy de Maupassant

Mont Oriol - Guy de Maupassant


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avait l’air de sucer une allumette en la chatouillant de ses gros doigts bouffis, et une contrebasse d’aspect phtisique, produisaient avec beaucoup de fatigue cette imitation parfaite d’un mauvais orgue de Barbarie, qui avait surpris Christiane dans les rues du village.

      Comme elle s’arrêtait à les contempler, un monsieur salua son frère.

      – Bonjour, mon cher Comte.

      – Bonjour, Docteur.

      Et Gontran présenta:

      – Ma soeur, – Monsieur le docteur Honorat.

      Elle put à peine retenir sa gaîté, en face de ce troisième médecin.

      Il salua et complimenta:

      – J’espère que Madame n’est pas malade?

      – Si. Un peu.

      Il n’insista point et changea de conversation.

      – Vous savez, mon cher Comte, que vous aurez tantôt un spectacle des plus intéressants à l’entrée du pays.

      – Quoi donc, Docteur?

      – Le père Oriol va faire sauter son morne. Ah! ça ne vous dit rien à vous, mais pour nous c’est un gros événement.

      Et il s’expliqua.

      Le père Oriol, le plus riche paysan de toute la contrée – on lui connaissait plus de cinquante mille francs de revenu – possédait toutes les vignes au débouché d’Enval sur la plaine. Or, juste à la sortie du village, à l’écartement du vallon, s’élevait un petit mont, ou plutôt une grande butte, et sur cette butte étaient les meilleurs vignobles du père Oriol. Au milieu de l’un d’eux, contre la route, à deux pas du ruisseau s’élevait une pierre gigantesque, un morne qui gênait la culture et mettait à l’ombre toute une partie du champ qu’elle dominait.

      Depuis dix ans le père Oriol annonçait chaque semaine qu’il allait faire sauter son morne; mais il ne s’y décidait jamais.

      Chaque fois qu’un garçon du pays partait pour le service, le vieux lui disait:

      – Quand tu viendras en congé, apporte-moi de la poudre pour mon rô.

      Et tous les petits soldats rapportaient dans leur sac de la poudre volée pour le rô du père Oriol. Il en avait plein un bahut, de cette poudre; et le morne ne sautait point.

      Enfin, depuis une semaine, on le voyait creuser la pierre avec son fils, le grand Jacques, surnommé Colosse, qu’on prononçait en auvergnat «Coloche». Ce matin même ils avaient empli de poudre le ventre vidé de l’énorme roche; puis on avait bouché l’ouverture en laissant seulement passer la mèche, une mèche de fumeur achetée chez le marchand de tabac. On mettrait le feu à deux heures. Ça sauterait donc à deux heures cinq, ou deux heures dix minutes au plus tard, car le bout de mèche était fort long.

      Christiane s’intéressait à cette histoire, amusée déjà à l’idée de cette explosion, retrouvant là un jeu d’enfant qui plaisait à son coeur simple.

      Ils arrivaient au bout du parc.

      – Où va-t-on plus loin? dit-elle.

      Le docteur Honorat répondit:

      – Au Bout du Monde, Madame; c’est-à-dire dans une gorge sans issue et célèbre en Auvergne. C’est une des plus belles curiosités naturelles du pays.

      Mais une cloche sonna derrière eux. Gontran s’écria:

      – Tiens, déjà le déjeuner!

      Ils se retournèrent.

      Un grand jeune homme venait à leur rencontre.

      Gontran dit:

      – Ma petite Christiane, je te présente M. Paul Brétigny.

      Puis à son ami:

      – C’est ma soeur, mon cher.

      Elle le trouva laid. Il avait des cheveux noirs, ras et droits, des yeux trop ronds, d’une expression presque dure, la tête aussi toute ronde, très forte, une de ces têtes qui font penser à des boulets de canon, des épaules d’hercule, l’air un peu sauvage, lourd et brutal. Mais de sa jaquette, de son linge, de sa peau peut-être s’exhalait un parfum très subtil, très fin, que la jeune femme ne connaissait pas; et elle se demanda:

      – Qu’est-ce donc que cette odeur-là?

      Il lui dit:

      – Vous êtes arrivée ce matin, Madame?

      Sa voix était un peu sourde.

      Elle répondit:

      – Oui, Monsieur.

      Mais Gontran aperçut le marquis et Andermatt qui faisaient signe aux jeunes gens de venir déjeuner bien vite.

      Et le docteur Honorat prit congé d’eux en leur demandant s’ils avaient l’intention réelle d’aller voir sauter le morne.

      Christiane affirma qu’elle irait; et se penchant au bras de son frère, elle murmura, en l’entraînant vers l’hôtel:

      – J’ai une faim de loup. Je serai très honteuse de manger tant que ça devant ton ami.

      II. Le déjeuner fut long comme sont les repas de table d’hôte…

      Le déjeuner fut long comme sont les repas de table d’hôte. Christiane, qui ne connaissait pas tous ces visages, causait avec son père et avec son frère. Puis elle monta se reposer jusqu’au moment où devait sauter le morne.

      Elle fut prête bien avant l’heure et força tout le monde à partir pour ne point manquer l’explosion.

      À la sortie du village, au débouché du vallon, s’élevait en effet une haute butte, presque un mont, qu’ils gravirent sous un ardent soleil en suivant un petit sentier entre les vignes. Quand ils parvinrent au sommet, la jeune femme poussa un cri d’étonnement devant l’immense horizon déployé soudain sous ses yeux. En face d’elle s’étendait une plaine infinie qui donnait aussitôt à l’âme la sensation d’un océan. Elle s’en allait, voilée par une vapeur légère, une vapeur bleue et douce, cette plaine, jusqu’à des monts très lointains, à peine aperçus, à cinquante ou soixante kilomètres, peut-être. Et sous la brume transparente, si fine, qui flottait sur cette vaste étendue de pays, on distinguait des villes, des villages, des bois, les grands carrés jaunes des moissons mûres, les grands carrés verts des herbages, des usines aux longues cheminées rouges et des clochers noirs et pointus bâtis avec les laves des anciens volcans.

      – Retourne-toi, dit son frère.

      Elle se retourna. Et, derrière elle, elle vit la montagne, l’énorme montagne bosselée de cratères. C’était d’abord le fond d’Enval, une large vague de verdure où on distinguait à peine l’entaille cachée des gorges. Le flot d’arbres escaladait la pente rapide jusqu’à la première crête qui empêchait de voir celles du dessus. Mais comme on se trouvait tout juste sur la ligne de séparation des plaines et de la montagne, celle-ci s’étendait à gauche, vers Clermont-Ferrand, et s’éloignant, déroulait sur le ciel bleu d’étranges sommets tronqués, pareils à des pustules monstrueuses: les volcans éteints, les volcans morts. Et là-bas, tout là-bas, entre deux cimes, on en apercevait une autre, plus haute, plus lointaine encore, ronde et majestueuse, et portant à son faîte quelque chose de bizarre qui ressemblait à une ruine.

      C’était le Puy de Dôme, le roi des monts auvergnats, puissant et lourd, et gardant sur sa tête, comme une couronne posée par le plus grand des peuples, les restes d’un temple romain.

      Christiane s’écria:

      – Oh! que je serai heureuse ici.

      Et elle se sentait heureuse déjà, pénétrée par ce bien-être qui envahit la chair et le coeur, vous fait respirer à l’aise, vous rend alerte et léger quand on entre tout à coup dans un pays qui caresse vos yeux, qui vous charme et vous égaye, qui semblait vous attendre, pour lequel vous vous sentez né.

      On


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