Michel Strogoff. Jules Verne

Michel Strogoff - Jules  Verne


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ce que l’arrêté prétendait empêcher. On vous renvoyait, mais encore fallait-il que vous eussiez la permission de vous en aller.

      Donc, bateleurs, bohémiens, zingaris, tsiganes, mêlés aux marchands de la Perse, de la Turquie, de l’Inde, du Turkestan, de la Chine, encombraient la cour et les bureaux de la maison de police.

      Chacun se hâtait, car les moyens de transport allaient être singulièrement recherchés de cette foule de gens expulsés, et ceux qui s’y prendraient trop tard courraient grand risque de ne pas être en mesure de quitter la ville dans le délai prescrit, – ce qui les eût exposés à quelque brutale intervention des agents du gouverneur.

      Michel Strogoff, grâce à la vigueur de ses coudes, put traverser la cour. Mais entrer dans les bureaux et parvenir jusqu’au guichet des employés, c’était une besogne bien autrement difficile. Cependant, un mot qu’il dit à l’oreille d’un inspecteur et quelques roubles donnés à propos furent assez puissants pour lui faire obtenir passage.

      L’agent, après l’avoir introduit dans la salle d’attente, alla prévenir un employé supérieur.

      Michel Strogoff ne pouvait donc tarder à être en règle avec la police et libre de ses mouvements.

      En attendant, il regarda autour de lui. Et que vit-il ?

      Là, sur un banc, tombée plutôt qu’assise, une jeune fille, en proie à un muet désespoir, bien qu’il pût à peine voir sa figure, dont le profil seul se dessinait sur la muraille.

      Michel Strogoff ne s’était pas trompé. Il venait de reconnaître la jeune Livonienne.

      Ne connaissant pas l’arrêté du gouverneur, elle était venue au bureau de police pour faire viser son permis !… On lui avait refusé le visa. Sans doute elle était autorisée à se rendre à Irkoutsk, mais l’arrêté était formel, il annulait toute autorisation antérieure, et les routes de la Sibérie lui étaient fermées.

      Michel Strogoff, très heureux de l’avoir enfin retrouvée, s’approcha de la jeune fille.

      Celle-ci le regarda un instant, et son visage s’éclaira d’une lueur fugitive en revoyant son compagnon de voyage. Elle se leva, par instinct, et, comme un naufragé qui se raccroche à une épave, elle allait lui demander assistance…

      En ce moment, l’agent toucha l’épaule de Michel Strogoff.

      – Le maître de police vous attend, dit-il.

      – Bien, répondit Michel Strogoff.

      Et, sans dire un mot à celle qu’il avait tant cherchée depuis la veille, sans la rassurer d’un geste qui eût pu compromettre et elle et lui-même, il suivit l’agent à travers les groupes compacts.

      La jeune Livonienne, voyant disparaître celui-là seul qui eût pu peut-être lui venir en aide, retomba sur son banc.

      Trois minutes ne s’étaient pas écoulées, que Michel Strogoff reparaissait dans la salle, accompagné d’un agent. Il tenait à la main son podaroshna, qui lui faisait libres les routes de la Sibérie.

      Il s’approcha alors de la jeune Livonienne, et, lui tendant la main :

      – Sœur… dit-il.

      Elle comprit ! Elle se leva, comme si quelque soudaine inspiration ne lui eût pas permis d’hésiter !

      – Sœur, répéta Michel Strogoff, nous sommes autorisés à continuer notre voyage à Irkoutsk. Viens-tu ?

      – Je te suis, frère, répondit la jeune fille, en mettant sa main dans la main de Michel Strogoff.

      Et tous deux quittèrent la maison de police.

      VII. En descendant le Volga

      Un peu avant midi, la cloche du steam-boat attirait à l’embarcadère du Volga un grand concours de monde, puisqu’il y avait là ceux qui partaient et ceux qui auraient voulu partir. Les chaudières du Caucase étaient en pression suffisante. Sa cheminée ne laissait plus échapper qu’une fumée légère, tandis que l’extrémité du tuyau d’échappement et le couvercle des soupapes se couronnaient de vapeur blanche.

      Il va sans dire que la police surveillait le départ du Caucase, et se montrait impitoyable à ceux des voyageurs qui ne se trouvaient pas dans les conditions voulues pour quitter la ville.

      De nombreux Cosaques allaient et venaient sur le quai, prêts à prêter main-forte aux agents, mais ils n’eurent point à intervenir, et les choses se passèrent sans résistance.

      À l’heure réglementaire, le dernier coup de cloche retentit, les amarres furent larguées, les puissantes roues du steam-boat battirent l’eau de leurs palettes articulées, et le Caucase fila rapidement entre les deux villes dont se compose Nijni-Novgorod.

      Michel Strogoff et la jeune Livonienne avaient pris passage à bord du Caucase. Leur embarquement s’était fait sans aucune difficulté. On le sait, le podaroshna, libellé au nom de Nicolas Korpanoff, autorisait ce négociant à être accompagné pendant son voyage en Sibérie. C’était donc un frère et une sœur qui voyageaient sous la garantie de la police impériale.

      Tous deux, assis à l’arrière, regardaient fuir la ville, si profondément troublée par l’arrêté du gouverneur.

      Michel Strogoff n’avait rien dit à la jeune fille, il ne l’avait pas interrogée. Il attendait qu’elle parlât, s’il lui convenait de parler. Celle-ci avait hâte d’avoir quitté cette ville, dans laquelle, sans l’intervention providentielle de ce protecteur inattendu, elle fût restée prisonnière. Elle ne disait rien, mais son regard remerciait pour elle.

      Le Volga, le Rha des anciens, est considéré comme le fleuve le plus considérable de toute l’Europe, et son cours n’est pas inférieur à quatre mille verstes (4300 kilomètres). Ses eaux, assez insalubres dans sa partie supérieure, sont modifiées à Nijni-Novgorod par celles de l’Oka, affluent rapide qui s’échappe des provinces centrales de la Russie.

      On a assez justement comparé l’ensemble des canaux et fleuves russes à un arbre gigantesque dont les branches se ramifient sur toutes les parties de l’empire. C’est le Volga qui forme le tronc de cet arbre, et il a pour racines soixante-dix embouchures qui s’épanouissent sur le littoral de la mer Caspienne. Il est navigable depuis Rjef, ville du gouvernement de Tver, c’est-à-dire sur la plus grande partie de son cours.

      Les bateaux de la Compagnie de transports entre Perm et Nijni-Novgorod font assez rapidement les trois cent cinquante verstes (373 kilomètres) qui séparent cette ville de la ville de Kazan. Il est vrai que ces steam-boats n’ont qu’à descendre le Volga, lequel ajoute environ deux milles de courant à leur vitesse propre. Mais, lorsqu’ils sont arrivés au confluent de la Kama, un peu au-dessous de Kazan, ils sont forcés d’abandonner le fleuve pour la rivière, dont ils doivent alors remonter le cours jusqu’à Perm. Donc, tout compte établi, et bien que sa machine fût puissante, le Caucase ne devait pas faire plus de seize verstes à l’heure. En réservant une heure d’arrêt à Kazan, le voyage de Nijni-Novgorod à Perm devait donc durer soixante à soixante-deux heures environ.

      Ce steam-boat, d’ailleurs, était fort bien aménagé, et les passagers, suivant leur condition ou leurs ressources, y occupaient trois classes distinctes. Michel Strogoff avait eu soin de retenir deux cabines de première classe, de sorte que sa jeune compagne pouvait se retirer dans la sienne et s’isoler quand bon lui semblait.

      Le Caucase était très encombré de passagers de toutes catégories. Un certain nombre de trafiquants asiatiques avaient jugé bon de quitter immédiatement Nijni-Novgorod. Dans la partie du steam-boat réservée à la première classe se voyaient des Arméniens en longues robes et coiffés d’espèces de mitres, – des Juifs, reconnaissables à leurs bonnets coniques, – de riches Chinois dans leur costume traditionnel, robe très large, bleue, violette ou noire, ouverte devant et derrière, et recouverte d’une seconde robe à larges manches dont la coupe rappelle celle des popes, – des Turcs, qui portaient encore le turban national, – des Indous, à bonnet carré, avec


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