Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey


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Nointel. Il habite rue d’Anjou, 125, et il va tous les jours, dans l’après-midi, au Cercle de…

      – Il tient essentiellement à ce que vous m’exterminiez sans perdre un instant. Je suis surpris qu’il ne vous indique pas aussi le moyen de m’assassiner sans courir aucun risque. Mais, non… il se borne à la jolie appréciation que voici:

      «Le sieur Nointel est universellement haï et méprisé. Celui qui délivrera de cet homme le monde parisien aura l’approbation de tous les honnêtes gens. On ne trouverait pas de juges pour le condamner.

      – Hé! hé! cette conclusion ressemble fort à une excitation au meurtre. Est-ce tout? Non. Il y a un post-scriptum:

      «Les recherches se poursuivent. Dès que le nouveau domicile de la nourrice sera connu, l’ami vous avertira. Sa tâche sera alors remplie, et il se fera connaître.»

      – Bon! cette fois, c’est complet, et je suis fixé. Voici la lettre, mon cher, dit froidement le capitaine en présentant au marin le papier accusateur.

      – Essayez donc au moins de vous justifier, s’écria Crozon.

      – Je m’en garderai bien. Si vous êtes aveuglé par la jalousie au point de prendre au sérieux de pareilles absurdités, vous qui connaissez mon caractère, pour avoir vécu dans mon intimité à un âge où on ne dissimule rien, si vous ajoutez foi à de si stupides calomnies, tout ce que je pourrais vous dire ne servirait à rien. J’aime mieux vous répéter que je suis à vos ordres. Battons-nous, puisque vous le voulez. J’espère que vous ne me tuerez pas. J’espère même que plus tard vous reviendrez de vos préventions et que vous songerez alors à châtier le misérable qui, sous prétexte de vous rendre service, vous insulte à chaque ligne de cet odieux billet. «Votre femme a un amant», il n’a que ces mots-là au bout de sa plume. Et, je vous le jure, si j’étais marié et qu’un homme m’écrivît de ce style, je n’aurais pas de repos que je ne l’eusse éventré.

      – Nommez-le-moi donc alors, dit le baleinier, un peu ébranlé par ce simple discours.

      – Je vous le nommerai, soyez tranquille; je vous le nommerai avant qu’il vous ait indiqué l’endroit où on cache ce prétendu enfant qui n’est pas né.

      – Pourquoi ne le nommez-vous pas maintenant, si vous avez reconnu son écriture?

      – Je ne l’ai pas reconnue, dit hardiment Nointel, mais je suis détesté par des gens qui ne m’ont jamais écrit. Je les connais fort bien, ces gens-là. J’en soupçonne deux ou trois, et je trouverai le moyen de me procurer quelques lignes de leur main. Pour cela, je n’aurai même pas besoin de comparer les pièces. Les caractères que vous venez de me montrer sont imprimés dans ma mémoire. Seulement, je vous préviens que je ne vous laisserai pas la satisfaction de traiter ce pleutre comme il le mérite. Je me réserve le plaisir de le crosser d’abord, et de l’embrocher ensuite, si tant est qu’on puisse l’amener sur le terrain.

      Mais je m’amuse à faire des projets, et nous perdons un temps précieux. Les jours sont très courts au mois de février, et, pour peu que nous prolongions cette causerie, nous allons être obligés de remettre notre affaire à demain.

      – Il est déjà trop tard. On n’y verrait pas clair pour se couper la gorge, se hâta de dire le maître mécanicien. D’ailleurs, je suis d’avis que ça ne presse pas tant que ça.

      – Comment! grommela Crozon, toi aussi, Bernache! tu te mets contre moi.

      – Je ne me mets pas contre toi, mais je trouve que monsieur dit des choses très sensées. D’abord, un homme qui dénonce quelqu’un sans signer est un failli gars. Et on voit bien ce qu’il veut, ce chien-là. Il a une rancune contre M.  Nointel, et il compte que tu le tueras. Il aura entendu dire que tu es rageur, et que tu tires bien toutes les armes. Et il lui tarde que tu t’alignes, car il a soin de te dire où tu trouveras monsieur, l’endroit, l’heure et tout.

      – Oh! il connaît mes habitudes, dit en riant le capitaine. Il savait que je serais ici de quatre à cinq. Par exemple, il ne savait pas que je vous y avais donné rendez-vous éventuellement, car il ne se doute guère que nous sommes d’anciens camarades. Sa combinaison pèche en ce point. Et c’est tout naturel. Le coquin ne pouvait pas deviner qu’il y a treize ans j’étais embarqué avec vous sur le Jérémie. C’est parce qu’il ignorait cette particularité de ma vie militaire qu’il s’est risqué à nous tendre ce piège à tous les deux.

      Nointel parlait d’un air si dégagé, son ton était si franc, son langage si clair, que l’intraitable baleinier entra, malgré lui, dans la voie des réflexions sages. Il regardait alternativement le capitaine et l’ami Bernache. On devinait sans peine ce qui se passait dans sa tête. Après un assez long silence, il dit brusquement:

      – Nointel, voulez-vous me donner votre parole d’honneur que vous n’avez jamais vu ma femme?

      Nointel resta froid comme la mer de glace, et répondit, en pesant ses mots:

      – Mon cher Crozon, si vous aviez commencé par me demander ma parole, je vous l’aurais donnée bien volontiers. Nous n’en sommes plus là. Voilà une demi-heure que vous m’accusez de très vilaines choses et que vous doutez de ma sincérité. J’ai supporté de vous ce que je n’aurais supporté de personne. Mais vous trouverez bon que je n’obéisse pas à une sommation de jurer. Vous pourriez ne pas croire à ma parole d’honneur, et, ce faisant, vous m’offenseriez gravement. Je préfère ne pas m’exposer à ce malheur. Souvenez-vous aussi que vous regrettez d’avoir ajouté foi à un serment fait dans une circonstance identique…

      – Par ma belle-sœur! Ce n’est pas du tout la même chose. Les femmes ne se font pas scrupule de jurer à faux. Mais vous, Nointel, je vous tiens pour un homme d’honneur, et si vous vouliez…

      – Oui, mais je ne veux pas.

      – Eh bien, s’écria le marin convaincu par tant de fermeté, affirmez-moi seulement que ce n’est pas vrai, que vous n’êtes pas…

      – L’amant de madame Crozon. Mais, mon cher, depuis que je suis entré ici, je ne fais pas autre chose, dit Nointel, en éclatant de rire.

      Cette fois, le baleinier était vaincu. Le sang lui monta au visage, les larmes lui vinrent aux yeux, ses lèvres tremblèrent, et il finit par tendre à Nointel, qui la serra, sa large main, en disant d’une voix étranglée:

      – Je vous ai soupçonné. J’étais fou. Il ne faut pas m’en vouloir. Je suis si malheureux.

      – Enfin! s’écria le capitaine, je vous retrouve tel que je vous ai connu jadis. Moi, vous en vouloir, mon cher Crozon! Ah! parbleu! non. Je vous plains trop pour vous garder rancune. Et j’ai déjà oublié tout ce qui vient de se passer ici. Il n’y a qu’une chose dont je me souviens… l’écriture de ce gredin qui a failli me mettre face à face avec un vieux camarade, une épée ou un pistolet au poing. Et je vous réponds qu’il paiera cher cette canaillerie.

      – Voulez-vous sa lettre pour vous aider à le trouver?

      Nointel mourait d’envie de dire: oui. Cette lettre serait devenue entre ses mains une arme terrible contre Simancas; mais il se contint, car il sentait la nécessité de ne pas aller trop vite avec ce mari ombrageux, et il répondit vivement:

      – Merci de ne plus vous défier de moi. Mais conservez la lettre. Je vous la demanderai quand j’aurai trouvé mon drôle, ou plutôt je vous prierai d’assister à l’explication que j’aurai avec lui et de lui mettre vous-même sous le nez la preuve de son infamie.

      »Permettez-moi maintenant de remercier aussi M.  Bernache. C’est en partie à son intervention que je dois de ne pas m’être coupé la gorge avec un vieil ami. Je le prie de croire que je suis désormais son obligé et qu’il peut compter sur moi en toute occasion.

      Le mécanicien balbutia quelques mots polis, mais Nointel n’avait pas besoin qu’il s’expliquât plus clairement. Il voyait bien que les plus vives sympathies de ce brave homme lui étaient acquises à jamais. Et la conquête de M.  Bernache n’était


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