Les trappeur de l'Arkansas. Gustave Aimard

Les trappeur de l'Arkansas - Gustave  Aimard


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? demanda-t-il.

      – Non, répondit à voix basse le Cœur-Loyal, dormez, je ferai sentinelle pour vous et pour moi.

      Belhumeur, sans faire la moindre observation, se coucha auprès du feu, et quelques minutes plus tard il dormait profondément.

      Lorsque le hibou fit entendre son chant matinal qui semble saluer l’apparition prochaine du soleil, le Cœur-Loyal, qui durant toute la nuit était demeuré immobile comme une statue de marbre, réveilla son compagnon.

      – Il est l’heure, dit-il.

      – Bien ! répondit Belhumeur qui se leva aussitôt.

      Les chasseurs sellèrent leurs chevaux, descendirent la colline avec précaution et s’élancèrent sur la piste des Comanches.

      En ce moment le soleil apparut radieux à l’horizon, dissipant les ténèbres et illuminant la prairie de sa magnifique et vivifiante lumière.

      II. Les chasseurs

      Deux mots maintenant sur les personnages que nous venons de mettre en scène et qui sont appelés à jouer un rôle important dans cette histoire.

      Le Cœur-Loyal – ce nom était le seul sous lequel le chasseur était connu dans toutes les prairies de l’Ouest – jouissait d’une immense réputation d’adresse, de loyauté et de courage parmi les tribus indiennes avec lesquelles les hasards de son aventureuse existence l’avaient mis en rapport. Toutes le respectaient.

      Les chasseurs et les trappeurs blancs, espagnols, américains du Nord ou métis, faisaient grand cas de son expérience des bois et avaient souvent recours à ses conseils.

      Les pirates des prairies eux-mêmes, gens de sac et de corde, rebut de la civilisation, qui ne vivent que de rapines et d’exactions, n’osaient s’attaquer à lui et évitaient autant que possible de se trouver sur son passage.

      Ainsi cet homme était parvenu par la force seule de son intelligence et de sa volonté à se créer presque à son insu une puissance acceptée et reconnue par les féroces habitants de ces vastes déserts.

      Puissance dont il ne se servait que dans l’intérêt commun, et pour faciliter à tous les moyens de se livrer en toute sûreté aux occupations qu’ils avaient adoptées.

      Nul ne savait qui était le Cœur-Loyal, ni d’où il venait ; le plus grand mystère couvrait ses premières années.

      Un jour, il y avait quinze ou vingt ans de cela, il était tout jeune alors, des chasseurs l’avaient rencontré sur les bords de l’Arkansas en train de tendre des trappes à castors. Les rares questions qui lui avaient été adressées sur sa vie étaient demeurées sans réponse ; les chasseurs, gens peu causeurs de leur nature, croyant soupçonner sous les paroles embarrassées et les réticences du jeune homme, un secret qu’il désirait garder, se firent un scrupule de le presser davantage et tout fut dit.

      Cependant au contraire des autres chasseurs ou trappeurs des prairies qui tous ont un ou deux compagnons avec lesquels ils s’associent et qu’ils ne quittent jamais, le Cœur-Loyal vivait seul, n’ayant pas d’habitation fixe, il parcourait dans tous les sens le désert sans planter sa tente nulle part.

      Toujours sombre et mélancolique, il fuyait la société de ses semblables, tout en étant prêt, lorsque l’occasion s’en présentait, à leur rendre service et même à exposer sa vie pour eux. Puis lorsqu’on voulait lui exprimer de la reconnaissance, il piquait son cheval et allait tendre ses trappes au loin afin de donner le temps à ceux qu’il avait obligés d’oublier le service rendu.

      Tous les ans à la même époque, c’est-à-dire vers le mois d’octobre, le Cœur-Loyal disparaissait pendant des semaines entières sans que l’on pût soupçonner où il allait, puis lorsqu’il reparaissait, pendant quelques jours, son visage était plus sombre et plus triste.

      Un jour, il était revenu de l’une de ces mystérieuses expéditions accompagné de deux magnifiques limiers tout jeunes, qui depuis étaient demeurés avec lui et qu’il semblait aimer beaucoup.

      Cinq ans avant l’époque où nous reprenons ce récit, revenant un soir de poser ses trappes pour la nuit, il avait tout à coup distingué à travers les arbres le feu d’un campement indien.

      Un homme blanc, âgé de dix-sept ans à peine, attaché à un poteau, servait de but aux couteaux des Peaux-Rouges, qui se divertissaient à le martyriser avant de le sacrifier à leur rage sanguinaire.

      Cœur-Loyal, n’écoutant que la pitié que lui inspirait la victime, sans réfléchir au danger terrible auquel il s’exposait, s’était bravement élancé au milieu des Indiens, et était venu se placer devant le prisonnier, auquel il avait fait un rempart de son corps.

      Ces Indiens étaient des Comanches ; étourdis par cette irruption subite à laquelle ils étaient loin de s’attendre, ils restèrent quelques instants immobiles, confondus par tant d’audace.

      Sans perdre de temps, Cœur-Loyal avait tranché les liens du prisonnier et lui donnant son couteau que l’autre reçut avec joie, ils se préparèrent tous deux à vendre chèrement leur vie.

      Les Blancs inspirent aux Indiens une terreur instinctive invincible. Cependant les Comanches revenus de leur surprise firent un geste pour s’élancer en avant et attaquer les deux hommes qui semblaient les braver.

      Mais la lueur du feu qui donnait en plein sur le visage du chasseur avait permis de le reconnaître.

      Les Peaux-Rouges reculèrent avec respect en murmurant entre eux :

      – Le Cœur-Loyal ! le grand chasseur pâle.

      La Tête-d’Aigle, ainsi se nommait le chef des Indiens, ne connaissait pas le chasseur ; c’était la première fois qu’il descendait dans les prairies de l’Arkansas, il n’avait rien compris à l’exclamation de ses guerriers. D’ailleurs, il détestait cordialement les Blancs, auxquels il avait juré de faire une guerre d’extermination. Outré de ce qu’il considérait comme une lâcheté de la part de ceux qu’il commandait, il s’était avancé seul contre le Cœur-Loyal ; mais alors il s’était passé une chose étrange.

      Les Comanches s’étaient jetés sur leur chef et malgré leur respect pour lui, ils l’avaient désarmé pour qu’il ne pût se porter à aucune voie de fait contre le chasseur.

      Le Cœur-Loyal, après les avoir remerciés, avait lui-même rendu au chef les armes qu’on lui avait enlevées et que celui-ci reçut en lançant un regard sinistre à son généreux adversaire.

      Le chasseur avait haussé les épaules avec dédain ; heureux de sauver la vie à un homme, il s’était retiré avec le prisonnier.

      Le Cœur-Loyal venait en moins de dix minutes de se faire un ennemi implacable et un ami dévoué.

      L’histoire du prisonnier était simple.

      Parti du Canada avec son père, pour venir chasser dans les prairies, ils étaient tombés entre les mains des Comanches ; après une résistance désespérée, son père, couvert de blessures, n’avait pas tardé à succomber ; les Indiens fâchés de cette mort qui leur enlevait une victime, avaient prodigué au jeune homme les plus grands soins, afin qu’il pût honorablement figurer au poteau du supplice, ce qui serait inévitablement arrivé, sans l’intervention providentielle du Cœur-Loyal.

      Après avoir obtenu ces renseignements, le chasseur avait demandé au jeune homme quelles étaient ses intentions et si le rude apprentissage qu’il venait de faire du métier de coureur des bois ne l’avait pas dégoûté de la vie d’aventures.

      – Ma foi non, au contraire, avait répondu l’autre, je me sens plus que jamais déterminé à suivre cette carrière, et puis, avait-il ajouté, je veux venger mon père.

      – C’est juste, avait observé le chasseur.

      La conversation en était restée là.

      Cœur-Loyal avait conduit le jeune homme à une de ses caches, espèces de magasins creusés dans la terre et dans lesquels les trappeurs


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