Les trappeur de l'Arkansas. Gustave Aimard

Les trappeur de l'Arkansas - Gustave  Aimard


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plus très éloignés des Indiens, Cœur-Loyal s’arrêta en faisant signe à son compagnon de l’imiter.

      Tous deux descendirent de cheval, et, conduisant leurs montures par la bride, ils se retirèrent à l’abri d’un bouquet d’arbres, afin de ne pas être aperçus, si par hasard quelque sentinelle indienne était chargée de surveiller leur approche.

      Lorsqu’ils furent cachés dans l’épaisseur du bois, Cœur-Loyal posa un doigt sur sa bouche pour recommander la prudence à son compagnon, et approchant ses lèvres de son oreille, il lui dit d’une voix faible comme un souffle :

      – Avant d’aller plus loin, consultons-nous, afin de bien savoir ce que nous voulons faire.

      Belhumeur baissa la tête en signe d’acquiescement.

      – Je soupçonne quelque trahison, reprit le chasseur, les Indiens sont des guerriers trop expérimentés et qui ont trop l’habitude de la vie des prairies pour agir comme ils le font, sans une raison impérieuse.

      – C’est vrai, appuya le Canadien avec conviction, cette piste est trop belle et trop clairement indiquée pour ne pas cacher un piège.

      – Oui, mais ils ont voulu être trop fins, leur astuce a dépassé le but, ce ne sont pas de vieux chasseurs comme nous que l’on peut tromper ainsi. Nous devons donc redoubler de prudence, examiner chaque feuille et chaque brin d’herbe avec soin avant de nous aventurer plus près du campement des Peaux-Rouges.

      – Faisons mieux, dit Belhumeur en jetant un regard autour de lui, cachons nos chevaux dans un endroit sûr, où nous puissions les retrouver au besoin. Nous irons ensuite à pied reconnaître la position et le nombre de ceux que nous voulons surprendre.

      – Vous avez raison, Belhumeur, dit le Cœur-Loyal, votre conseil est excellent, nous allons le mettre en pratique.

      – Je crois qu’il faut nous hâter, alors.

      – Pourquoi donc ? ne nous pressons pas au contraire, les Indiens ne nous voyant pas paraître, se relâcheront de leur surveillance, et nous profiterons de leur négligence pour les attaquer, si nous sommes forcés d’en venir à ce moyen extrême : du reste, il vaudrait peut-être mieux attendre la nuit pour commencer notre expédition.

      – Mettons d’abord nos chevaux en sûreté, nous verrons ensuite.

      Les chasseurs sortirent du fourré avec la plus grande précaution. Au lieu de traverser la rivière ils rebroussèrent chemin et suivirent pendant quelque temps la route qu’ils avaient déjà faite, puis ils appuyèrent sur la gauche et s’engagèrent dans un ravin, où ils disparurent bientôt au milieu de hautes herbes.

      – Je vous laisse nous guider, Belhumeur, dit le Cœur-Loyal, je ne sais réellement pas où vous nous conduisez.

      – Rapportez-vous-en à moi, j’ai découvert par hasard à deux portées de fusil de l’endroit où nous sommes une espèce de citadelle où nos chevaux seront on ne peut mieux, et dans laquelle, le cas échéant, nous pourrions soutenir un siège en règle.

      – Caramba ! exclama le chasseur, qui par ce juron qui lui était habituel, trahissait son origine espagnole, comment avez-vous donc fait cette précieuse découverte ?

      – Mon Dieu ! dit Belhumeur, de la façon la plus simple, je venais de tendre mes trappes, lorsqu’en gravissant la montagne qui est là devant nous, afin d’abréger mon chemin et de vous rejoindre plus vite, à peu près aux deux tiers de la montée je vis passer entre les broussailles le museau velu d’un superbe ours.

      – Ah ! ah ! mais je connais à peu près cette aventure, vous m’avez apporté ce jour-là, si je ne me trompe, non pas une, mais bien deux peaux d’ours noir.

      – C’est cela même, mes gaillards étaient deux, un mâle et une femelle, vous comprenez qu’à leur vue mes instincts de chasseur se réveillèrent immédiatement, oubliant ma fatigue, j’armai ma carabine et je me mis à leur poursuite. Vous allez voir par vous-même quel fort ils avaient choisi, ajouta-t-il en mettant pied à terre, manœuvre que son compagnon imita.

      Devant eux s’élevait en amphithéâtre une masse de rochers qui affectaient les formes les plus bizarres et les plus capricieuses, de maigres broussailles poussaient çà et là dans l’interstice des pierres, des plantes grimpantes couronnaient la cime des rochers et donnaient à cette masse qui s’élançait à plus de six cents mètres au-dessus de la prairie, l’apparence d’une de ces antiques ruines féodales que l’on rencontre de loin en loin sur les bords des grands fleuves d’Europe.

      Ce lieu était nommé par les chasseurs de ces parages, les Châteaux Blancs, à cause de la couleur des blocs de granit dont il était formé.

      – Nous ne pourrons jamais monter là avec nos chevaux, fit le Cœur-Loyal, après avoir étudié un instant avec soin l’espace qu’ils avaient à franchir.

      – Essayons toujours, dit Belhumeur en traînant son cheval par la bride.

      L’ascension était rude, et tous autres chevaux que ceux des chasseurs habitués aux chemins les plus difficiles n’auraient pu l’accomplir et se seraient brisés mille fois en roulant du haut en bas.

      Il fallait choisir avec soin l’endroit où l’on posait le pied, puis s’élancer en avant d’un bond, et toujours ainsi avec des tours et des détours à donner le vertige.

      Après une demi-heure à peu près de difficultés inouïes, ils arrivèrent à une espèce de plate-forme de dix mètres de large tout au plus.

      – C’est ici, dit Belhumeur en s’arrêtant.

      – Comment ici ? répondit Cœur-Loyal en regardant de tous côtés sans apercevoir d’ouverture.

      Belhumeur sourit.

      – Venez, dit-il.

      Et toujours traînant son cheval, il passa derrière un bloc de rocher, le chasseur le suivit avec curiosité.

      Après avoir marché pendant cinq minutes dans une espèce de boyau large de trois pieds tout au plus qui semblait tourner sur lui-même, les aventuriers se trouvèrent subitement devant la bouche béante d’une profonde caverne.

      Ce chemin tracé par une de ces convulsions terribles de la nature, si fréquentes dans ces régions, était si bien dissimulé derrière les rocs et les pierres qui le masquaient qu’il était impossible de le découvrir à moins d’un hasard providentiel.

      Les chasseurs entrèrent.

      Avant de monter, Belhumeur avait fait une énorme provision de bois-chandelle, il alluma deux torches, en remit une à son compagnon et garda l’autre.

      Alors la grotte leur apparut dans toute sa sauvage majesté. Ses murailles étaient hautes et chargées de stalactites brillantes qui renvoyaient la lumière en la décuplant et formaient une illumination féerique.

      – Cette caverne, dit Belhumeur, après avoir donné à son ami le temps de l’examiner dans tous ses détails, est, je n’en doute pas, une des merveilles de la prairie ; cette galerie qui descend en pente douce en face de nous, passe dessous le Vert-de-gris et va aboutir de l’autre côté de la rivière à plus d’un mille dans la plaine. En sus de la galerie par laquelle nous sommes entrés et celle qui est devant nous, il en existe quatre autres, qui toutes ont des sorties en divers endroits. Vous voyez qu’ici nous ne risquons pas d’être cernés et que ces chambres spacieuses nous offrent une suite d’appartements à rendre jaloux le président des États-Unis lui-même.

      Cœur-Loyal enchanté de la découverte de ce refuge voulut le visiter dans les moindres détails, et bien qu’il fût éminemment silencieux de sa nature, le chasseur ne put à différentes reprises retenir son admiration.

      – Pourquoi ne m’en avez-vous pas encore parlé ? dit-il à Belhumeur.

      – J’attendais l’occasion, répondit celui-ci.

      Les chasseurs parquèrent leurs chevaux avec des vivres en abondance dans un des compartiments de la grotte où le jour pénétrait par des fissures imperceptibles


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