Han d'Islande. Victor Hugo

Han d'Islande - Victor  Hugo


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le donjon du Lion de Slesvig. C'est une nouvelle que j'ai recueillie à Berghen, et que vous recevrez sans doute prochainement.

      – C'est une faveur que je n'osais espérer, et je croyais n'avoir parlé de mon désir qu'à vous seul. Au surplus, on diminue le poids de mes fers à mesure que celui de mes années s'accroît, et, quand les infirmités m'auront rendu impotent, on me dira sans doute: Vous êtes libre. À ces mots le vieillard sourit amèrement; il continua:

      – Et vous, jeune homme, avez-vous toujours vos folles idées d'indépendance?

      – Si je n'avais point ces folles idées, je ne serais pas ici.

      – Comment êtes-vous venu à Drontheim?

      – Eh bien! à cheval.

      – Comment êtes-vous venu à Munckholm?

      – Sur une barque.

      – Pauvre insensé! qui crois être libre, et qui passes d'un cheval dans une barque. Ce ne sont point tes membres qui exécutent tes volontés; c'est un animal, c'est la matière; et tu appelles cela des volontés!

      – Je force des êtres à m'obéir.

      – Prendre sur certains êtres le droit d'en être obéi, c'est donner à d'autres celui de vous commander. L'indépendance n'est que dans l'isolement.

      – Vous n'aimez pas les hommes, noble comte?

      Le vieillard se mit à rire tristement.– Je pleure d'être homme, et je ris de celui qui me console.– Vous le saurez, si vous l'ignorez encore, le malheur rend défiant comme la prospérité rend ingrat. Écoutez, puisque vous venez de Berghen, apprenez-moi quel vent favorable a soufflé sur le capitaine Dispolsen. Il faut qu'il lui soit arrivé quelque chose d'heureux, puisqu'il m'oublie.

      Ordener devint sombre et embarrassé.

      – Dispolsen, seigneur comte? C'est pour vous en parler que je suis venu dès aujourd'hui.– Je sais qu'il avait toute votre confiance.

      – Vous le savez? interrompit le prisonnier avec inquiétude. Vous vous trompez. Nul être au monde n'a ma confiance.– Dispolsen tient, il est vrai, entre ses mains mes papiers, des papiers même très importants. C'est pour moi qu'il est allé à Copenhague, près du roi. J'avouerai même que je comptais plus sur lui que sur tout autre, car dans ma puissance je ne lui avais jamais rendu service.

      – Eh bien! noble comte, je l'ai vu aujourd'hui....

      – Votre trouble me dit le reste; il est traître.

      – Il est mort.

      – Mort!

      Le prisonnier croisa ses bras et baissa la tête, puis relevant son oeil vers le jeune homme:

      – Quand je vous disais qu'il lui était arrivé quelque chose d'heureux!

      Puis son regard se tourna vers la muraille où étaient suspendus les signes de ses grandeurs détruites, et il fit un geste de la main comme pour éloigner le témoin d'une douleur qu'il s'efforçait de vaincre.

      – Ce n'est pas lui que je plains; ce n'est qu'un homme de moins.– Ce n'est pas moi; qu'ai-je à perdre? Mais ma fille, ma fille infortunée! je serai la victime de cette infâme machination; et que deviendra-t-elle si on lui enlève son père?

      Il se retourna vivement vers Ordener.

      – Comment est-il mort? où l'avez-vous vu? Je l'ai vu au Spladgest; on – ne sait s'il est mort d'un suicide ou d'un assassinat.

      – Voici maintenant l'important. S'il a été assassiné, je sais d'où le coup part; alors tout est perdu. Il m'apportait les preuves du complot qu'ils trament contre moi; ces preuves auraient pu me sauver et les perdre. Ils ont su les détruire!– Malheureuse Éthel!

      – Seigneur comte, dit Ordener en saluant, je vous dirai demain s'il a été assassiné.

      Schumacker, sans répondre, suivit Ordener qui sortait, d'un regard où se peignait le calme du désespoir, plus effrayant que le calme de la mort.

      Ordener était dans l'antichambre solitaire du prisonnier, sans savoir de quel côté se diriger. La soirée était avancée et la salle obscure; il ouvrit une porte au hasard et se trouva dans un immense corridor, éclairé seulement par la lune, qui courait rapidement à travers de pâles nuées. Ses lueurs nébuleuses tombaient par intervalles sur les vitraux étroits et élevés, et dessinaient sur la muraille opposée comme une longue procession de fantômes, qui apparaissait et disparaissait simultanément dans les profondeurs de la galerie. Le jeune homme se signa lentement, et marcha vers une lumière rougeâtre qui brillait faiblement à l'extrémité du corridor.

      Une porte était entr'ouverte; une jeune fille agenouillée dans un oratoire gothique, au pied d'un simple autel, récitait à demi-voix les litanies de la Vierge; oraison simple et sublime où l'âme qui s'élève vers la Mère des Sept-Douleurs ne la prie que de prier.

      Cette jeune fille était vêtue de crêpe noir et de gaze blanche, comme pour faire deviner en quelque sorte, au premier aspect, que ses jours s'étaient enfuis jusqu'alors dans la tristesse et dans l'innocence. Même en cette attitude modeste, elle portait dans tout son être l'empreinte d'une nature singulière. Ses yeux et ses longs cheveux étaient noirs, beauté très rare dans le Nord; son regard élevé vers la voûte paraissait plutôt enflammé par l'extase qu'éteint par le recueillement. Enfin, on eût dit une vierge des rives de Chypre ou des campagnes de Tibur, revêtue des voiles fantastiques d'Ossian, et prosternée devant la croix de bois et l'autel de pierre de Jésus.

      Ordener tressaillit et fut prêt à défaillir, car il reconnut celle qui priait.

      Elle pria pour son père, pour le puissant tombé, pour le vieux captif abandonné, et elle récita à haute voix le psaume de la délivrance.

      Elle pria encore pour un autre; mais Ordener n'entendit pas le nom de celui pour qui elle priait; il ne l'entendit pas, car elle ne le prononça pas; seulement elle récita le cantique de la sulamite, l'épouse qui attend l'époux, et le retour du bien-aimé.

      Ordener s'éloigna dans la galerie; il respecta cette vierge qui s'entretenait avec le ciel; la prière est un grand mystère, et son coeur s'était rempli, malgré lui, d'un ravissement inconnu, mais profane.

      La porte de l'oratoire se ferma doucement. Bientôt une lumière, et une femme blanche dans les ténèbres, vinrent de son côté. Il s'arrêta, car il éprouvait une des plus violentes émotions de la vie; il s'adossa à l'obscure muraille; son corps était faible, et les os de ses membres s'entre-choquaient dans leurs jointures, et, dans le silence de tout son être, les battements de son coeur retentissaient à son oreille.

      Quand la jeune fille passa, elle entendit le froissement d'un manteau, et une haleine brusque et précipitée.

      – Dieu! cria-t-elle.

      Ordener s'élança; d'un bras il la soutint, de l'autre il chercha vainement à retenir la lampe, qu'elle avait laissée échapper, et qui s'éteignit.

      – C'est moi, dit-il doucement.

      – C'est Ordener! dit la jeune fille, car le dernier retentissement de cette voix, qu'elle n'avait pas entendue depuis un an, était encore dans son oreille.

      Et la lune qui passait éclaira la joie de sa charmante figure; puis elle reprit, timide et confuse, et se dégageant des bras du jeune homme:

      – C'est le seigneur Ordener.

      – C'est lui, comtesse Éthel.

      – Pourquoi m'appelez-vous comtesse?

      – Pourquoi m'appelez-vous seigneur?

      La jeune fille se tut et sourit; le jeune homme se tut et soupira. Elle rompit la première le silence:

      – Comment donc êtes-vous ici?

      – Faites-moi merci, si ma présence vous afflige. J'étais venu pour parler au comte votre père.

      – Ainsi, dit Éthel d'une voix altérée, vous n'êtes venu que pour mon père. Le jeune homme baissa la tête, car ces


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