Han d'Islande. Victor Hugo

Han d'Islande - Victor  Hugo


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vous.

      Ordener, profondément blessé, ne répondit pas.

      – Je vous approuve, dit la prisonnière d'une voix tremblante de douleur et de colère; mais, ajouta-t-elle d'un ton fier, j'espère, seigneur Ordener, que vous ne m'avez pas entendue prier?

      – Comtesse, répondit enfin le jeune homme, je vous ai entendue.

      – Ah! seigneur Ordener, il n'est point courtois d'écouter ainsi.

      – Je ne vous ai pas écoutée, noble comtesse, dit faiblement Ordener; je vous ai entendue.

      – J'ai prié pour mon père, reprit la jeune fille en le regardant fixement, et comme attendant une réponse à cette parole toute simple.

      Ordener garda le silence.

      – J'ai aussi prié, continua-t-elle, inquiète et paraissant attentive à l'effet que ces paroles allaient produire sur lui, j'ai aussi prié pour quelqu'un qui porte votre nom, pour le fils du vice-roi, du comte de Guldenlew. Car il faut prier pour tout le monde, même pour ses persécuteurs.

      Et la jeune fille rougit, car elle pensait mentir; mais elle était piquée contre le jeune homme, et elle croyait l'avoir nommé pendant sa prière; elle ne l'avait nommé que dans son coeur.

      – Ordener Guldenlew est bien malheureux, noble dame, si vous le comptez au nombre de vos persécuteurs; il est bien heureux cependant d'occuper une place dans vos prières.

      – Oh! non, dit Éthel troublée et effrayée de l'air froid du jeune homme, non, je ne priais pas pour lui. J'ignore ce que j'ai fait, ce que je fais. Quant au fils du vice-roi, je le déteste, je ne le connais pas. Ne me regardez pas de cet oeil sévère; vous ai-je offensé? ne pouvez-vous rien pardonner à une pauvre prisonnière, vous qui passez vos jours près de quelque belle et noble dame libre et heureuse comme vous!

      – Moi, comtesse! s'écria Ordener.

      Éthel versait des larmes; le jeune homme se précipita à ses pieds.

      – Ne m'avez-vous pas dit, continua-t-elle souriant à travers ses pleurs, que votre absence vous avait semblé courte?

      – Qui, moi, comtesse?

      – Ne m'appelez pas ainsi, dit-elle doucement, je ne suis plus comtesse pour personne, et surtout pour vous.

      Le jeune homme se leva violemment, et ne put s'empêcher de la presser sur son coeur dans un ravissement convulsif.

      – Eh bien! mon Éthel adorée, nomme-moi ton Ordener.– Dis-moi,– et il attacha un regard brûlant sur ses yeux mouillés de larmes,– dis-moi, tu m'aimes donc? Ce que dit la jeune fille ne fut pas entendu, car Ordener, hors de lui, avait ravi sur ses lèvres avec sa réponse cette première faveur, ce baiser sacré qui suffit aux yeux de Dieu pour changer deux amants en époux.

      Tous deux restèrent sans paroles, parce qu'ils étaient dans un de ces moments solennels, si rares et si courts sur la terre, où l'âme semble éprouver quelque chose de la félicité des cieux. Ce sont des instants indéfinissables que ceux où deux âmes s'entretiennent ainsi dans un langage qui ne peut être compris que d'elles; alors tout ce qu'il y a d'humain se tait, et les deux êtres immatériels s'unissent mystérieusement pour la vie de ce monde et l'éternité de l'autre.

      Éthel s'était lentement retirée des bras d'Ordener, et, aux lueurs de la lune, ils se regardaient avec ivresse; seulement, l'oeil de flamme du jeune homme respirait un mâle orgueil et un courage de lion, tandis que le regard demi-voilé de la jeune fille était empreint de cette pudeur, honte angélique, qui, dans le coeur d'une vierge, se mêle à toutes les joies de l'amour.

      – Tout à l'heure, dans ce corridor, dit-elle enfin, vous m'évitiez donc, mon Ordener?

      – Je ne vous évitais pas, j'étais comme le malheureux aveugle que l'on rend à la lumière après de longues années, et qui se détourne un moment du jour.

      – C'est à moi plutôt que s'applique votre comparaison, car, durant votre absence, je n'ai eu d'autre bonheur que la présence d'un infortuné, de mon père. Je passais mes longues journées à le consoler, et, ajouta-t-elle en baissant les yeux, à vous espérer. Je lisais à mon père les fables de l'Edda, et quand je l'entendais douter des hommes, je lui lisais l'Évangile, pour qu'au moins il ne doutât pas du ciel; puis je lui parlais de vous, et il se taisait, ce qui prouve qu'il vous aime. Seulement, quand j'avais inutilement passé mes soirées à regarder de loin sur les routes les voyageurs qui arrivaient, et dans le port les vaisseaux qui abordaient, il secouait la tête avec un sourire amer, et je pleurais. Cette prison, où s'est jusqu'ici passée toute ma vie, m'était devenue odieuse, et pourtant mon père, qui, jusqu'à votre apparition, l'avait toujours remplie pour moi, y était encore; mais vous n'y étiez plus, et je désirais cette liberté que je ne connaissais pas.

      Il y avait dans les yeux de la jeune fille, dans la naïveté de sa tendresse, dans la douce hésitation de ses épanchements, un charme que des paroles humaines n'exprimeraient pas. Ordener l'écoutait avec cette joie rêveuse d'un être qui serait enlevé au monde réel pour assister au monde idéal.

      – Et moi, dit-il, maintenant je ne veux plus de cette liberté que vous ne partagez pas!

      – Quoi, Ordener! reprit vivement Éthel, vous ne nous quitterez donc plus?

      Cette expression rappela au jeune homme tout ce qu'il avait oublié.

      – Mon Éthel, il faut que je vous quitte ce soir. Je vous reverrai demain, et demain je vous quitterai encore, jusqu'à ce que je revienne pour ne plus vous quitter.

      – Hélas! interrompit douloureusement la jeune fille, absent encore!

      – Je vous répète, ma bien-aimée Éthel, que je reviendrai bientôt vous arracher de cette prison ou m'y ensevelir avec vous.

      – Prisonnière avec lui! dit-elle doucement. Ah! ne me trompez pas, faut-il que j'espère tant de bonheur?

      – Quel serment te faut-il? que veux-tu de moi? s'écria Ordener; dis-moi, mon Éthel, n'es-tu pas mon épouse?– Et, transporté d'amour, il la serrait fortement contre sa poitrine.

      – Je suis à toi, murmura-t-elle faiblement.

      Ces deux coeurs nobles et purs battaient ainsi avec délices l'un contre l'autre, et n'en étaient que plus nobles et plus purs.

      En ce moment un violent éclat de rire se fit entendre auprès d'eux. Un homme enveloppé d'un manteau découvrit une lanterne sourde qu'il y avait cachée, et dont la lumière éclaira subitement la figure effrayée et confuse d'Éthel et le visage étonné et fier d'Ordener.

      – Courage! mon joli couple! courage! mais il me semble qu'après avoir cheminé si peu de temps dans le pays du Tendre, vous n'avez pas suivi tous les détours du ruisseau du Sentiment, et que vous avez dû prendre un chemin de traverse pour arriver si vite au hameau du Baiser.

      Nos lecteurs ont sans doute reconnu le lieutenant admirateur de Mlle de Scudéry. Arraché de la lecture de la Clélie par le beffroi de minuit, que les deux amants n'avaient pas entendu, il était venu faire sa ronde nocturne dans le donjon. En passant à l'extrémité du corridor de l'orient, il avait recueilli quelques paroles et vu comme deux spectres se mouvoir dans la galerie à la clarté de la lune. Alors, naturellement curieux et hardi, il avait caché sa lanterne sous son manteau, et s'était avancé sur la pointe du pied près des deux fantômes, que son brusque éclat de rire venait d'arracher désagréablement à leur extase.

      Éthel fit un mouvement pour fuir Ordener, puis, revenant à lui comme par instinct et pour lui demander protection, elle cacha sa tête brûlante dans le sein du jeune homme.

      Celui-ci releva la sienne avec un orgueil de roi.

      – Malheur, dit-il, malheur à celui qui vient de t'effrayer et de t'affliger, mon Éthel!

      – Oui vraiment, dit le lieutenant, malheur à moi si j'avais eu la maladresse d'épouvanter la tendre Mandane!

      – Seigneur lieutenant, dit Ordener d'un ton hautain, je vous engage à vous taire.

      – Seigneur


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