Les nuits mexicaines. Aimard Gustave

Les nuits mexicaines - Aimard Gustave


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aussi hésitait-il à s'engager dans les allées qu'il voyait s'allonger devant lui dans tous les sens, se croisant et s'enchevêtrant les unes dans les autres, ne se souciant nullement, si belle que fût la nuit, de la passer à la belle étoile.

      Il s'arrêta donc pour réfléchir; peut-être s'était-il trompé, ou avait-il été le jouet d'une illusion, et ce qu'il avait pris pour l'ombre d'un homme, n'était peut-être que celle d'une branche d'arbre agitée par la brise nocturne, qui l'avait fait aux rayons de la lune miroiter devant ses yeux?

      Cette observation était non seulement juste, mais encore logique; aussi le jeune homme se garda-t-il bien d'en tenir compte; au bout d'un instant un sourire ironique plissa ses lèvres, et au lieu de s'engager dans le jardin il se glissa avec précaution le long de la muraille touffue qui formait de ce côté une muraille de verdure à l'hacienda.

      Après avoir ainsi plutôt glissé que marché pendant une dizaine de minutes, le comte s'arrêta, pour reprendre haleine d'abord, puis ensuite pour s'orienter.

      – Bon, murmura-t-il après avoir jeté un regard investigateur autour de lui, je ne me suis pas trompé, c'est bien là.

      Alors il se pencha en avant, écarta avec précaution, les feuilles et les branches, et il regarda.

      Presqu'aussitôt il se rejeta en arrière, en étouffant un cri de surprise.

      L'endroit où il se trouvait faisait face à l'appartement de doña Dolores de la Cruz.

      Une fenêtre de cet appartement était ouverte, et doña Dolores, penchée sur l'appui de la fenêtre, causait avec un homme qui, lui, se tenait dans le jardin, mais juste en face d'elle; une distance de deux pieds à peine séparait les causeurs qui paraissaient engagés dans une conversation des plus intéressantes.

      Il fut impossible au comte de reconnaître quel était l'homme dont il n'était éloigné cependant que de quelques pas; d'abord, il lui tournait le dos, puis il était enveloppé dans un manteau qui le déguisait complètement.

      – Ah! murmura le comte, je ne m'étais pas trompé!

      Malgré ce que cette découverte avait de blessant pour son amour-propre, cependant ce fut avec la satisfaction intérieure d'avoir deviné juste que le comte prononça ces paroles: cet homme quel qu'il fût ne pouvait être qu'un amant.

      Cependant, bien que les deux causeurs parlassent doucement, ils ne baissaient pas assez la voix pour qu'à une courte distance on ne pût les entendre, et tout en se reprochant l'action peu délicate qu'il commettait, le comte, excité par le dépit et peut-être à son insu par la jalousie, entr'ouvrit les branches et se pencha de nouveau en avant pour écouter.

      C'était la jeune fille qui parlait:

      – Mon Dieu! disait-elle avec émotion, je tremble, mon ami, lorsque je suis plusieurs jours sans vous voir, mon inquiétude est extrême; je redoute toujours un malheur.

      – Diantre! murmura le comte, voilà un gaillard qui est bien aimé.

      Cet aparté lui fit perdre la réponse de l'homme. La jeune fille reprit:

      – Suis-je donc condamnée à demeurer encore longtemps ici?

      – Un peu de patience, j'espère que bientôt tout sera fini, répondit l'inconnu d'une voix sourde; et lui que fait-il?

      – Toujours il est le même, aussi sombre et aussi mystérieux, répondit-elle.

      – Est-il ici ce soir?

      – Oui.

      – Toujours aussi hargneux?

      – Plus qu'il ne l'a jamais été.

      – Et le Français?

      – Ah, ah! fit le comte, voyons ce qu'on pense de moi.

      – C'est un charmant cavalier, murmura la jeune fille d'une voix tremblante, depuis quelques jours il semble triste.

      – Il s'ennuie?

      – Je le crains.

      – Pauvre enfant, dit le comte, elle s'est aperçu que je m'ennuie; il est vrai que je prends peu le soin de le cacher. Ah ça mais, est-ce que je me serais trompé? Cet homme serait-il autre chose qu'un amoureux? C'est bien improbable? Cependant qui sait? ajouta-t-il avec fatuité.

      Pendant ce long aparté, les deux causeurs avaient continué leur conversation qui avait été totalement perdue pour le jeune homme; lorsqu'il se reprit à écouter elle finissait.

      – Je le ferai, puisque vous l'exigez, disait la jeune fille; mais est-ce donc bien nécessaire, mon ami?

      – Indispensable, Dolores.

      – Diable! Il est familier, dit le comte.

      – J'obéirais donc, reprit la jeune fille.

      – Maintenant séparons-nous; je ne suis demeuré que trop longtemps ici.

      L'inconnu rabattit son chapeau sur ses yeux, murmura une dernière fois le mot adieu et s'éloigna à grands pas.

      Le comte était demeuré immobile à la même place en proie à une stupéfaction profonde; l'inconnu passa presque à le toucher sans le voir, en ce moment une branche fit tomber son chapeau, un rayon de lune tomba d'aplomb sur son visage, le comte le reconnut alors.

      – Olivier! murmura-t-il, c'est donc lui qu'elle aime!

      Il rentra chez lui en chancelant comme un homme ivre; cette dernière découverte l'avait bouleversé.

      Le jeune homme se mit au lit, mais il ne put dormir, il passa la nuit entière à former les projets les plus extravagants. Cependant, vers le matin, son agitation parut céder à la lassitude.

      – Avant de prendre un parti quelconque, dit-il, je veux avoir une explication avec elle; bien certainement je ne l'aime pas, mais pour mon honneur il est nécessaire qu'elle soit bien convaincue que je ne suis pas un niais et que je sais tout. C'est arrêté: aujourd'hui même je lui demanderai un entretien.

      Plus tranquille, après avoir définitivement pris un parti, le comte ferma les yeux et s'endormit.

      En s'éveillant, il vit Raimbaut, devant son lit, un papier à la main.

      – Qu'est-ce? Que me veux-tu? lui dit-il.

      – C'est une lettre pour monsieur le comte, répondit le valet de chambre.

      – Eh, s'écria-t-il, serait-ce des nouvelles de France?

      – Je ne crois pas; cette lettre a été donnée à Lanca par une des caméristes de doña Dolores de la Cruz avec prière de la remettre à monsieur le comte aussitôt son réveil.

      – Voilà qui est étrange, murmura le jeune homme en prenant la lettre et l'examinant avec attention; elle est bien à mon adresse, murmura-t-il en se décidant enfin à l'ouvrir.

      Cette lettre était de doña Dolores de la Cruz et ne contenait que ces quelques mots écrits d'une écriture fine et un peu tremblée:

      «Doña Dolores de la Cruz prie instamment le señor don Ludovic de la Saulay de lui accorder un entretien particulier pour une affaire fort importante, aujourd'hui à trois heures de la tarde; doña Dolores attendra le señor comte dans son appartement. »

      – Pour cette fois, je n'y comprends plus rien du tout, s'écria le comte; bah! reprit-il après un moment de réflexion, peut-être vaut-il mieux qu'il en soit ainsi et que cette proposition vienne d'elle.

      VII

      LE RANCHO

      L'État de Puebla est formé par un plateau de plus de vingt-cinq lieues de circonférence, traversé par les hautes Cordillères de l'Anahuac.

      Les plaines, dont la ville est environnée, sont fort accidentées, coupées de ravines, semées de monticules et fermées à l'horizon par des montagnes couvertes de neiges éternelles.

      D'immenses champs d'aloès, véritables vignobles de ces contrées, puisque c'est avec cette plante que se fait le pulque, la boisson si chère aux Mexicains, s'étendent


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