Les nuits mexicaines. Aimard Gustave
retrouver l'entrée qu'elle cachait, même en sachant son existence, si l'on n'en eût pas d'abord connu la position exacte.
L'inconnu était demeuré immobile, les yeux fixés sur la plaine environnante, cherchant sans doute à s'assurer s'il était bien seul et s'il n'avait rien à redouter des regards indiscrets.
Lorsque la pierre eut retombé en place, il jeta son fusil sur l'épaule et se mit à gravir à pas lents les degrés, plongé, en apparence, dans une sombre méditation.
Du sommet du monticule, la vue embrassait un vaste horizon: d'un côté, Zapotèques, Cholula, des haciendas et des villages; de l'autre, Puebla, avec ses nombreuses coupoles peintes et arrondies, qui la faisaient ressembler à une ville orientale; puis, les regards s'égaraient sur les champs d'aloès, de blé indien et d'agaves, au milieu desquels serpentait, en traçant une ligne jaune, la grande route de México.
L'inconnu demeura un instant pensif, les regards dirigés vers la plaine, complètement déserte à cette heure matinale et que les premiers rayons du soleil commençaient à dorer de chatoyants reflets; puis, après avoir exhalé un soupir étouffé, il poussa la claie recouverte d'une peau de bœuf qui servait de porte au rancho et disparut dans l'intérieur.
Le rancho n'avait, au dehors, que l'apparence misérable d'une cabane tombant à peu près en ruines; cependant l'intérieur était plus confortablement installé qu'on aurait eu le droit de s'y attendre dans un pays où les exigences de la vie, pour la basse classe du peuple surtout, sont réduites au plus strict nécessaire.
La première pièce, car le rancho en avait plusieurs, servait de parloir et de salle à manger et communiquait à un appentis placé au dehors et qui tenait lieu de cuisine. Les murs de cette salle, blanchis à la chaux, étaient ornés, non pas de tableaux, mais de six ou huit de ces gravures enluminées, fabriquées à Épinal et dont cette ville inonde l'univers; elles représentaient différents épisodes des guerres de l'Empire, et étaient proprement encadrées et mises sous verre. Dans un angle, à six pieds de hauteur environ, une statuette représentant Nuestra Señora de Guadalupe, patronne du Mexique, était placée sur une console en palissandre bordée de piquants, sur lesquels étaient fichés des cierges de cire jaune, dont trois étaient allumés. Six equipales, quatre butacas, un buffet chargé de différents ustensiles de ménage et une table assez grande, placée au milieu de la salle, complétaient l'ameublement de cette pièce, égayée par deux fenêtres à rideaux rouges.
Le sol était recouvert d'un petate d'un travail assez délicat.
Nous avons oublié de mentionner un meuble assez important pour sa rareté et que certes on aurait été loin de s'attendre à rencontrer en pareil lieu; ce meuble était un coucou de la Forêt Noire, surmonté d'un oiseau quelconque qui prévenait, en chantant, la sonnerie des heures et des demies.
Ce coucou faisait face à la porte d'entrée et était placé juste entre les deux fenêtres.
Une porte s'ouvrait à droite sur les pièces intérieures.
Au moment où l'inconnu entra dans le rancho, la salle était déserte.
Il appuya son fusil dans un angle de la pièce, se débarrassa de son chapeau qu'il posa sur la table, ouvrit une fenêtre devant laquelle il traîna une butaca sur laquelle il s'assit, puis il tordit une cigarette de paille de maïs, l'alluma et se mit à fumer aussi tranquillement et avec autant de laisser-aller que s'il se fût trouvé chez lui, non pas toutefois sans avoir d'abord jeté un regard sur le coucou en murmurant:
– Cinq heures et demie! Bon, j'ai le temps, il n'arrivera pas encore.
Tout en se parlant ainsi à lui-même, l'inconnu s'était laissé aller en arrière sur le dossier de sa butaca; ses yeux s'étaient fermés, sa main avait lâché le cigarillo et quelques minutes plus tard il dormait profondément.
Son sommeil durait depuis environ une demi-heure lorsqu'une porte, placée derrière lui, fut ouverte avec précaution et une charmante jeune femme, de vingt-deux à vingt-trois ans au plus, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, entra à pas de loups dans la salle, avançant curieusement la tête en avant et fixant un regard bienveillant, presqu'attendri, sur le dormeur.
Le visage de cette jeune femme respirait la gaîté et la malice jointes à une extrême, bonté; ses traits sans être réguliers formaient un tout coquet et gracieux qui plaisait au premier coup d'œil; son teint, excessivement blanc, la distinguait des autres femmes de rancheros, indiennes cuivrées pour la plupart; son costume était celui qui appartient à sa classe, mais d'une propreté remarquable et porté avec une coquetterie mutine qui lui seyait à ravir.
Elle arriva ainsi tout doucement jusqu'auprès du dormeur, la tête retournée en arrière et le doigt posé sur la bouche, afin sans doute de recommander à deux personnes qui la suivaient, un homme et une femme d'un certain âge, de faire le moins de bruit possible.
Ces deux personnes accusaient, la femme cinquante et l'homme soixante ans à peu près; leurs traits, assez vulgaires, n'avaient rien de saillant, excepté une certaine expression d'énergique volonté répandue sur leur physionomie.
La femme portait le costume des rancheras mexicaines; quant à l'homme, c'était un vaquero.
Tous trois, arrivés près de l'inconnu, se placèrent devant lui et demeurèrent immobiles, le regardant dormir.
En ce moment, un rayon de soleil entra par la fenêtre ouverte et vint frapper le visage de l'inconnu.
– Vive Dieu! s'écria celui-ci, en français, en se relevant brusquement tout en ouvrant les yeux, je crois, le diable m'emporte, que je me suis endormi.
– Parbleu! Monsieur Olivier, répondit le ranchero dans la même langue, quel mal y a-t-il à cela?
– Ah! Vous voilà, mes bons amis, dit-il avec un gai sourire en leur tendant la main; joyeux réveil pour moi, puisque je vous trouve à mes côtés. Bonjour Louise, mon enfant, bonjour mère Thérèse, et toi, mon vieux Loïck, bonjour aussi! Vous avez des figures de prospérité qui font plaisir à voir.
– Que je suis fâchée que vous vous soyez ainsi éveillé, monsieur Olivier! dit la charmante Louise.
– D'autant plus que vous êtes fatigué sans doute, appuya Loïck.
– Bah, bah! Je n'y pense plus, vous ne vous attendiez pas à me trouver ici, hein?
– Faites excuse, monsieur Olivier, répondit Thérèse, López nous avait appris votre arrivée.
– Ce diable de López ne peut pas retenir sa langue, dit gaîment Olivier, il faut toujours qu'il bavarde.
– Vous allez déjeuner avec nous, n'est-ce pas? demanda la jeune femme.
– Est-ce que cela se demande, fillette, dit le vaquero; il ferait beau voir, que monsieur Olivier nous refusât, par exemple.
– Allons bourru, dit en riant Olivier, ne grondez pas, je déjeunerai.
– Ah! C'est bien cela, s'écria la jeune femme.
Et aidée par Thérèse, qui était sa mère, comme Loïck était son père, elle se mit aussitôt à tout préparer pour le repas du matin.
– Mais vous savez, dit Olivier, rien de mexicain; je ne veux pas entendre parler ici de l'affreuse cuisine du pays.
– Soyez tranquille, répondit en souriant Louise; nous déjeunerons à la française.
– Bravo, voilà qui double mon appétit.
Pendant que les deux femmes allaient et venaient de la cuisine à la salle à manger pour préparer le déjeuner et mettre le couvert, les deux hommes étaient demeurés isolés auprès de la fenêtre et causaient entre eux.
– Êtes-vous toujours content? demanda Olivier à son hôte.
– Toujours, répondit celui-ci; don Andrés de la Cruz est un bon maître, d'ailleurs, comme vous le savez, j'ai peu de rapport avec lui.
– C'est vrai, vous n'avez affaire qu'à Ño Leo Carral.
– Je ne me plains pas de lui,