Le Montonéro. Aimard Gustave
marquise demeura un instant immobile, puis se tournant vers l'abbesse et lui tendant les bras:
– Et maintenant, mon amie, lui dit-elle avec des larmes dans la voix, croyez-vous encore que le marquis de Castelmelhor soit coupable des crimes affreux dont cet homme l'accuse.
– Oh! Non, non, mon amie! s'écria la supérieure en se laissant aller, en fondant en larmes, dans les bras qui s'ouvraient pour la recevoir.
V
LES PRÉPARATIFS DE TYRO
La rencontre faite par le peintre à sa sortie du couvent, l'avait frappé d'un triste pressentiment au sujet de ses protégées.
Sans se rendre bien clairement compte des sentiments qu'il éprouvait pour elles, cependant, malheureux lui-même, il se sentait malgré lui entraîné à aider et à secourir de tout son pouvoir des femmes qui, sans le connaître, étaient venues si franchement réclamer sa protection.
Son amour propre, comme homme d'abord, et ensuite comme Français, était flatté du rôle qu'il se trouvait ainsi appelé à jouer à l'improviste dans cette sombre et mystérieuse affaire dont, malgré les confidences de la marquise, il se doutait bien qu'on ne lui avait pas révélé le dernier mot.
Mais que lui importait cela?
Placé par le hasard ou pour mieux dire par la mauvaise fortune, acharnée après lui, dans une situation presque désespérée, les risques qu'il aurait à courir en secourant les deux dames, n'aggraveraient pas beaucoup cette situation, au lieu que s'il parvenait à les faire échapper au sort dont elles étaient menacées, tout en se sauvant lui-même, il jouerait à ses persécuteurs un tour de bonne guerre en se montrant plus fin qu'eux, et se vengerait une fois pour toutes des continuelles appréhensions qu'il lui avaient causées depuis son arrivée à San Miguel.
Ces réflexions, en remettant le calme dans l'esprit du jeune homme, lui rendirent toute son insouciante gaieté, et ce fut d'un pas leste et délibéré qu'il rejoignit Tyro à l'endroit où celui-ci lui avait assigné un rendez-vous permanent.
Le lieu était des mieux choisis; c'était une grotte naturelle peu profonde, située à deux portées de fusil au plus de la ville, si bien cachée, aux regards indiscrets par des chaos de rochers et des buissons épais de plantes parasites, que, à moins de connaître la position exacte de cette grotte, il était impossible de la découvrir; d'autant plus que son entrée s'ouvrait sur la rivière, et que, pour y parvenir, il fallait se mettre dans l'eau jusqu'au genou.
Tyro, à demi couché sur un amas de feuilles sèches recouvertes de deux ou trois pellones2 et de ponchos araucaniens, fumait nonchalamment une cigarette de paille de maïs en attendant son maître.
Celui-ci, après s'être assuré que personne ne le guettait, ôta ses chaussures, retroussa ses pantalons, se mit à l'eau et entra dans la grotte, non toutefois sans avoir sifflé à deux reprises différentes, afin de prévenir l'Indien de son arrivée.
– Ouf! dit-il en pénétrant dans la grotte, singulière façon de rentrer chez soi. Me voici de retour, Tyro.
– Je le vois, maître, répondit gravement l'Indien sans changer de position.
– Maintenant, reprit le jeune homme, laisse-moi reprendre mes habits; puis nous causerons: j'ai beaucoup de choses à t'apprendre.
– Et moi aussi, maître.
– Ah! fit-il en le regardant.
– Oui; mais changez d'abord de costume.
– C'est juste, reprit le jeune homme.
Il se mit aussitôt en devoir de quitter son déguisement, et bientôt il eut recouvré sa physionomie ordinaire.
– Là, voilà qui est fait! dit-il en s'asseyant auprès de l'Indien et en allumant une cigarette. Je t'avoue que ce diable de costume me pèse horriblement et que je serai heureux lorsqu'il me sera permis de m'en débarrasser une bonne fois.
– Ce sera bientôt, je l'espère, maître.
– Et moi aussi, mon ami. Dieu veuille que nous ne nous trompions pas! Maintenant, qu'as-tu à m'apprendre? Parle, je t'écoute.
– Mais, vous-même, ne m'aviez-vous pas annoncé des nouvelles?
– C'est vrai; mais je suis pressé de savoir ce que tu as à me dire. Je crois que c'est plus important que ce que je t'apprendrai. Ainsi, parle le premier; ma confidence arrivera toujours assez tôt.
– Comme il vous plaira, maître, répondit l'Indien en se redressant et en jetant sa cigarette, qui commençait à lui brûler les doigts; puis, tournant à demi la tête vers le jeune homme et le regardant bien en face, êtes-vous brave? lui demanda-t-il.
Cette question, faite ainsi à l'improviste, causa une si profonde surprise au peintre, qu'il hésita un instant.
– Dame! répondit-il enfin, je le crois; puis, se remettant peu à peu, il ajouta avec un léger sourire: d'ailleurs, mon bon Tyro, la bravoure est en France une vertu tellement commune, qu'il n'y a aucune fatuité de ma part à assurer que je la possède.
– Bon! murmura l'Indien qui suivait son idée, vous êtes brave, maître, moi aussi, je le crois, je vous ai vu en plusieurs circonstances vous tirer honorablement d'affaire.
– Allons, pourquoi m'adresser cette question? fit le peintre avec une teinte de mécontentement.
– Ne vous fâchez pas, maître, fit vivement l'Indien; mes intentions sont bonnes, lorsqu'on commence une sérieuse expédition et qu'on veut la mener à bien, il faut en calculer toutes les chances; vous êtes Français, c'est-à-dire étranger arrivé depuis peu dans ce pays, dont vous ignorez complètement les mœurs.
– J'en conviens, interrompit le jeune homme.
– Vous vous trouvez donc sur un terrain inconnu, qui peut à chaque instant se dérober sous vos pas; en vous demandant si vous êtes brave, je ne doute pas de votre courage: je vous ai vu à l'œuvre; seulement, je désire savoir si ce courage est blanc ou rouge; s'il brille autant dans les ténèbres et la solitude qu'en plein soleil et devant la foule. Voilà tout.
– Posée ainsi, je comprends la question, mais je ne saurais y répondre, ne m'étant jamais trouvé dans une situation où il m'ait fallu déployer le genre de courage dont tu parles; je puis simplement, et en toute confiance, te certifier ceci: c'est que, de jour ou de nuit, seul ou accompagné, à défaut de bravoure, l'orgueil m'empêchera toujours de reculer, et me contraindra quand même à faire tête aux adversaires, quels qu'ils soient, qui se dresseront devant moi pour s'opposer à mes volontés, quand j'aurai formé une résolution.
– Je vous remercie de cette affirmation, maître, car notre tâche sera ardue et je suis heureux de savoir que vous ne m'abandonnerez pas, au plus fort d'un danger dans lequel je ne me serai mis que par dévouement pour vous.
– Tu peux compter sur ma parole, Tyro, répondit le peintre; ainsi bannis toute arrière-pensée et marche résolument en avant.
– Ainsi ferai-je, maître, comptez sur moi. Maintenant laissons cela et venons aux nouvelles que j'avais à vous apprendre.
– En effet, dit le peintre, quelles sont ces nouvelles, bonnes ou mauvaises?
– C'est selon, maître, comment vous les apprécierez.
– Bon, dis-les-moi d'abord.
– Savez-vous que les officiers espagnols que l'on devait juger demain ou après-demain se sont évadés.
– Evadés! s'écria le peintre avec étonnement, quand cela donc?
– Ce matin même, ils sont passés près d'ici, il y a deux heures à peine, montés sur des chevaux des pampas et galopant à fond de train dans la direction des cordillières.
– Ma foi, tant mieux pour eux, j'en suis charmé, car à la façon dont vont les choses en ce pays on les aurait sans doute fusillés.
– On les aurait
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Peaux de moutons teintes et préparées.