Récits d'une tante (Vol. 3 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Récits d'une tante (Vol. 3 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond


Скачать книгу
de cette entrevue, mes collègues et moi nous avons été vingt-quatre heures sans oser seulement nous regarder.»

      Le prince de Metternich fait, au même sujet, un récit où il convient de joindre la pantomime lazaronesque au jargon du vieux Roi pour qu'il ait tout son mérite.

      Ferdinand lui parlait sans cesse à Laybach di questa maladetta paüra. L'impassibilité du ministre persuadant au Roi qu'il n'appréciait pas toute l'importance de ce mobile, il lui demanda un jour s'il savait bien ce que c'était que la «paüra». Sur la réponse un peu dédaigneuse de monsieur de Metternich, le Roi reprit, avec une extrême bonhomie:

      «Non … non ce n'est pas ça … ve lo dirò io… C'est une certa cosa qui vous piglia là», en mettant sa main sur le sommet de sa tête et faisant le geste de tordre; «et qui vous prend les cervelles et les fait danser fin qu'on croit qu'elles vont sortir de la tête; poi scende al stomacho … on croit qu'on va svenarepare qu'on se meurt…» Et il mettait les deux mains sur son estomac, «poi scende un po più giù», les deux mains suivaient. «On sent une dolor del diavolo, et poi … poi … brebre brebre»…; en lâchant les mains et terminant sa description physiologique par un geste expressif.

      Lorsque l'insurrection militaire se déclara en Piémont, le roi Victor donna sa démission et descendit du trône plutôt que d'imiter le roi de Naples en s'humiliant devant ses sujets pour les trahir par la suite. Victor avait à la fois trop de courage et trop de loyauté pour jouer un pareil rôle. Celui qu'accepta le prince de Carignan dans cette triste affaire, si mal conçue, lui attira l'animadversion de tous les partis.

      J'avoue que je me sens un assez grand fond de bienveillance envers ce prince pour être tentée de l'excuser. Il était bien jeune: nourri dans la haine des autrichiens qu'il avait raison de détester, il savait ce sentiment partagé par le Roi.

      On l'avait entouré et persuadé qu'il s'agissait d'entrer dans une ligue commune à tous les peuples de la péninsule. Naples était déjà émancipée. La Lombardie, la Romagne, la Toscane devaient lever à la fois le drapeau de l'indépendance et expulser les allemands de leur sein. La nationalité italienne une fois rétablie, on diviserait ce pays en deux grands États capables de se défendre eux-mêmes contre leurs voisins, et la maison de Savoie se trouverait naturellement appelée à gouverner celui du nord.

      Voilà le roman à l'aide duquel on avait fait entrer le prince de Carignan dans la conspiration, en lui assurant que le Roi lui-même y donnerait les mains avec joie, une fois le mouvement commencé.

      Lorsqu'il vit le Piémont seul s'émouvoir et que, loin d'amener la réunion de l'Italie sous la protection du roi de Sardaigne, l'insurrection avait pour but de le dépouiller de son autorité, le prince de Carignan s'aperçut qu'il était joué par la faction révolutionnaire. Il voulut se retirer du complot, s'y prit maladroitement, livra ses anciens confidents et compromit sa réputation d'homme d'honneur fort au delà peut-être qu'il ne le méritait. Quoi qu'il en soit, la punition fut dure. Il fut chassé de Turin, et l'asile qu'il trouva chez son beau-père à Florence ne lui fut ouvert que sous les conditions les plus rigoureuses et les plus humiliantes.

      L'habileté du général Bubna, gouverneur autrichien, avait déjoué les trames ourdies en Lombardie avec tant de bonheur, que la tranquillité y fut maintenue, sans avoir recours à de grandes sévérités. Il lui suffit de se montrer instruit des menées et d'avertir les fauteurs de troubles qu'ils devaient s'éloigner.

      La façon dont il expulsa lord Kinnaird, un des agents les plus actifs du complot, est bien dans son caractère. Tous les jours, lord Kinnaird faisait la partie de whist du général. Un soir, au lieu de l'à demain habituel, Bubna accompagna son serrement de main quotidien de:

      «Bonsoir, mon cher lord, bon voyage.

      – Comment, bon voyage?

      – Hélas! oui, vous nous quittez.

      – Point du tout.

      – Ah! si fait; j'ai visé votre passeport, vos chevaux sont commandés pour cinq heures du matin. Bon voyage, mon cher lord. Si vous teniez à avoir une escorte, elle serait à vos ordres à six heures, mais le pays est tranquille et je ne pense pas que ce soit nécessaire. Bonjour, mon cher lord, bon voyage.»

      Lord Kinnaird partit en effet à cinq heures bien précises, sans attendre l'escorte que Bubna lui aurait infailliblement envoyée. Ce congé donné de cette façon, devant quarante personnes, avertit les complices qu'ils étaient découverts et qu'il fallait renoncer à une trame où la plupart des assistants étaient entrés.

      Le général Bubna conseilla plus confidentiellement à quelques seigneurs de Lombardie, les plus compromis, une courte absence et surtout un voyage à Vienne. Ce ne fut qu'après sa mort que les complots se renouvelèrent et que des gouverneurs moins habiles eurent recours à des mesures plus acerbes.

      Tandis que les passions révolutionnaires s'agitaient en Europe, la main puissante qui les avait domptées et fait servir à répandre son nom dans tout l'univers, cette main désarmée qui effrayait encore les nations cédait au plus terrible des vainqueurs.

      Le 5 mai 1821, Napoléon Bonaparte exhalait son dernier soupir sur un rocher au milieu de l'Atlantique. La destinée lui avait ainsi préparé le plus poétique des tombeaux. Placée à l'extrémité des deux mondes, et n'appartenant qu'au nom de Bonaparte, Sainte-Hélène est devenue le colossal mausolée de cette colossale gloire; mais l'ère de sa popularité posthume n'avait pas encore, commencé pour la France.

      J'ai entendu crier par les colporteurs des rues: La mort de Napoléon Bonaparte, pour deux sols; son discours au général Bertrand, pour deux sols; les désespoirs de madame Bertrand, pour deux sols, pour deux sols, sans que cela fît plus d'effet dans les rues que l'annonce d'un chien perdu.

      Je me rappelle encore combien nous fûmes frappées, quelques personnes un peu plus réfléchissantes, de cette singulière indifférence; combien nous répétâmes: «Vanité des vanités et tout est vanité!» Et pourtant la gloire est quelque chose, car elle a repris son niveau, et des siècles d'admiration vengeront l'empereur Napoléon de ce moment d'oubli.

      Je ne puis donner des détails particuliers sur les temps de son exil. Ils ne me sont arrivés que par des séides ou des détracteurs. J'ai connu quelques-unes des personnes qui l'ont accompagné, mais elles voulaient tirer parti de leurs paroles. Gourgaud prétendait vendre ses révélations, Bertrand exploiter sa fidélité. Ni l'un ni l'autre ne méritaient de confiance dans leurs récits. Encore moins pouvait-on se fier à ceux de sir Hudson Lowe qui, accablé du poids de sa responsabilité, avait compris sa mission fort gauchement. Il tracassait l'Empereur dans les détails et lui cédait dans les choses essentielles.

      S'il était possible de se faire une idée un peu juste sur l'ensemble de son existence à Sainte-Hélène, il me semble qu'elle a été composée de grandeur dans les souvenirs dont ses belles dictées font foi, et de petitesses dans les actions dont la correspondance avec sir Hudson Lowe fait aussi témoignage.

      Au surplus, l'Empereur avait ce caractère de l'omnipotence que, même au sommet de sa gloire et occupé à culbuter les empires, il trouvait encore le temps d'entrer avec chaleur dans des détails qu'un simple particulier aurait négligés sans scrupule. La puissance de Dieu soigne l'aile du moucheron. Peut-être ce que notre malveillance qualifiait de petitesse était-il l'excès de la force.

      Lord Castlereagh, en entrant dans le cabinet de George IV, lui dit:

      «Sire, je viens apprendre à Votre Majesté qu'Elle a perdu son plus mortel ennemi.

      – Quoi, s'écria-t-il, est-il possible! elle est morte!»

      Lord Castlereagh dut calmer la joie du monarque en lui expliquant qu'il ne s'agissait pas de la Reine, sa femme, mais de Bonaparte. Peu de mois après, les espérances conçues par le Roi furent accomplies. Il faut convenir que, si jamais de pareils sentiments peuvent être justifiés, c'était assurément par la conduite de la reine Caroline. Sa mort fut un soulagement pour tout le monde, et surtout pour le parti qui avait entrepris la tâche impossible de l'honorer. Elle périt victime de ses excès.

      CHAPITRE


Скачать книгу