Vie de Christophe Colomb. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

Vie de Christophe Colomb - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux


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les apprêts du voyage furent à peu près terminés, Colomb, entouré de ses marins, se rendit au couvent pour y recevoir la bénédiction du père supérieur, et pour se mettre, lui, son équipage et ses bâtiments, sous la protection du Ciel. Au moment de franchir le seuil de l'église, ses matelots se rangèrent avec déférence pour le laisser passer le premier: «Entrez, mes amis, entrez, leur dit-il, il n'y a ici ni premier ni dernier; celui qui y est le plus agréable à Dieu, est celui qui y prie avec le plus de ferveur.»

      Tous communièrent, tous furent bénis; le village entier s'était rendu à cette cérémonie imposante dans laquelle régna le plus auguste recueillement; quant à Colomb, son air de calme et d'attention prouvait que ses pensées avaient toutes pour objet la bonté de Dieu et la fragilité des choses humaines. Un peu avant que les assistants quittassent l'église, le père supérieur leur fit une allocution qui toucha vivement leurs cœurs, et qui se termina ainsi:

      «Mes enfants, lorsque le grand-amiral, que je vois ici confondu dans vos rangs, vint, pour la première fois, frapper à la porte du couvent, Dieu m'inspira la pensée de l'interroger: sa science, son élocution eurent bientôt frappé mon esprit; mais s'il gagna mon âme, ce fut par sa piété que je n'ai jamais vue surpassée chez aucun mortel: ses plus zélés partisans en Espagne sont également ceux qui ont été le plus convaincus de ses sentiments religieux, et qui ont reconnu en lui l'homme qui se regarde comme l'instrument dont la Providence veut se servir pour porter sa parole chez les peuples inconnus qu'elle a révélés à son imagination. Ayez donc en lui, mes enfants, la même confiance qu'il a en Dieu: vous accomplirez ainsi les décrets du Ciel, vous reviendrez comblés de gloire, et vous serez éternellement honorés, comme le sont toujours des hommes de foi, de courage et de résolution!»

      Cette cérémonie, dans la petite église d'un couvent jusqu'alors presque ignoré, sans pompe, sans éclat, mais remarquable par une componction sincère, et servant de prélude à l'un des plus grands événements de ce monde, eut un effet moral considérable dans le village ainsi que sur les navires de l'expédition; et réellement, on y trouve un cachet de grandeur et de majesté qui efface, par sa simplicité, tout ce que le faste aurait pu imaginer.

      Enfin, les navires étant complètement armés, le départ fut fixé au 3 du mois d'août 1492; ce même jour, Colomb, après avoir écrit une dernière dépêche à la cour, sortit du couvent avec Jean Perez qui voulut l'accompagner jusqu'au canot sur lequel il devait définitivement se rendre à bord de la Santa-Maria.

      La route fut d'abord silencieuse car les deux amis étaient absorbés. Le digne ecclésiastique, convaincu par Colomb, croyait certainement ou à l'existence de terres transatlantiques, ou à la possibilité d'atteindre les côtes de l'Asie en cinglant vers l'Ouest; mais au moment de se séparer d'un hôte qu'il affectionnait si tendrement, il ne pouvait penser sans terreur à la longueur du voyage, aux dangers de mers inexplorées qui pouvaient être semées d'écueils et où les navires de l'expédition ne trouveraient ni ports, ni abris connus pour se réfugier; il comparait enfin la faiblesse des moyens avec l'immensité de l'Océan, avec les difficultés incalculables de l'entreprise, et il frémissait intérieurement de la témérité d'un projet qui semblait braver les lois de la nature. De son côté, Colomb se recueillait pour mieux se préparer à remplir ses devoirs; son esprit goûtait un ravissement dont sa sagesse contenait la vivacité, et il paraissait, il était d'autant plus tranquille, que l'heure de l'embarquement s'approchait. Ce fut lui qui rompit le silence, et qui commença ce dernier entretien par ces mots:

      «Mon père, je n'oublierai jamais que, sans ressources, sans nourriture, voyageant à pied, je vins, exténué de fatigue, implorer pour mon fils et pour moi la charité du couvent que vous m'y accordâtes avec tant de libéralité! Les temps sont bien changés, et ma position s'est considérablement améliorée; mais le passé reste ineffaçablement gravé dans mon cœur. Vous avez été pour moi l'ami le plus généreux et le plus utile; je vous dois la protection de notre auguste reine et c'est vous qui m'avez fait ce que je suis: lorsque l'obscur Génois n'était rien, c'est vous qui avez commencé à modifier l'opinion des hommes à mon égard. L'avenir est dans les mains de Dieu, et je pars avec la connaissance des dangers de la mer; mais j'espère en Dieu: espérez comme moi et modérez votre affliction, car je sens que le succès de mon entreprise est dans les desseins de la Providence. Aussi, quoi qu'il arrive, Colomb restera inébranlable, et rien ne le fera dévier de son but!»

      «Mon fils, lui répondit le père supérieur avec émotion, ta confiance est digne de ton grand cœur; mais il est possible que tu reviennes frustré dans tes espérances; souviens-toi, alors, de Jean Perez et du couvent de la Rabida où tu seras toujours reçu à bras ouverts.»

      «Merci, mon père, dit alors Colomb; mais oubliez-moi pendant quelques mois, excepté dans vos prières; quand vous me reverrez, j'aurai accompli un acte qui illustrera la couronne de Castille, au point que la conquête de Grenade ne tiendra qu'un rang très-secondaire dans le règne de Ferdinand et d'Isabelle.»

      Alors, le grand-amiral et l'excellent prêtre se pressèrent longtemps dans les bras l'un de l'autre en s'embrassant avec effusion; et jamais père tendre, en voyant son fils sur le point de se lancer dans une entreprise périlleuse, n'a senti son cœur tressaillir plus que le père supérieur lorsqu'il vit Colomb mettre les pieds dans son canot et se diriger vers son bâtiment.

      En arrivant abord, Colomb, cet amiral d'un Océan alors ignoré, ce vice-roi de terres encore inconnues, donna l'ordre de mettre sous voiles. Sans être précisément disposés à désobéir, les matelots ne purent entendre donner cet ordre sans se retrouver sous l'empire de leurs terreurs à peine assoupies, et il y eut un moment d'hésitation qu'ils expliquèrent en alléguant, comme le font, même quelquefois encore, des esprits simples ou fanatiques, que le jour fixé pour le départ avait été mal choisi, car il se trouvait être un vendredi, qu'on était habitué, disaient-ils, à considérer comme un jour de malheur et de mauvais augure.

      «Mes enfants, leur dit Colomb, ce n'est pas sans y avoir réfléchi que j'ai choisi un vendredi. C'est le jour où le fils de Dieu a bien voulu se sacrifier pour les hommes, c'est le jour de notre rédemption; et loin d'être une annonce de malheur, c'est au contraire un présage de succès. Calmez donc vos inquiétudes et partons remplis d'espoir!»

      Ces paroles prononcées avec assurance, la physionomie pénétrée de Colomb, l'attitude décidée d'Alonzo Pinzo et de ses frères calmèrent cette légère effervescence, et les caravelles se mirent en mesure d'appareiller. Elles se trouvaient alors mouillées sous Saltès, petite île placée devant Palos, à l'embouchure des petites rivières Odiel et Tinto, et Colomb, pour ne pas effrayer les esprits, avait eu la bonne politique de faire connaître qu'il voulait d'abord se rendre aux îles Canaries, d'où il se proposait de se diriger constamment vers l'Ouest, jusqu'à ce qu'il eût connaissance des terres transatlantiques. Or, rien ne pouvait être plus judicieux que cette route, car les îles Canaries se trouvent au commencement des parages des vents alizés qui soufflent toujours de la partie du Nord-Est à l'Est, et qui sont si favorables pour un voyage tel que celui que l'illustre navigateur entreprenait. Il ignorait, il est vrai, que la direction de ces vents était presque invariable dans toute la ligne qu'il allait parcourir, mais ce qu'il en avait vu lors de son voyage en Guinée, ce que sa sagacité lui en faisait présumer, furent probablement ce qui le détermina dans le plan de son itinéraire qui ne pouvait être tracé avec plus de jugement. D'ailleurs, avec cette route, si l'île de Cipango, telle qu'elle était portée sur la carte de Toscanelli, existait, il devait l'atteindre après un trajet seulement d'environ 800 lieues marines (4560 kilomètres à peu près).

      Mais pendant que les caravelles mettaient sous voiles, elles se trouvèrent soudainement entourées de barques et de chaloupes portant la population presque entière de Palos qui, sous prétexte de venir faire ses adieux, fit retentir l'air de cris de désespoir. Les hommes et les femmes de ces embarcations poussaient des exclamations lamentables, se tordaient les mains en s'agitant dans tous les sens, disaient que les caravelles couraient à une destruction certaine dans les abîmes de l'Océan, et répétèrent ces fables que l'on avait tant de fois débitées sur les projets de Colomb et sur la soi-disante absurdité de ses plans.

      Colomb, debout sur la petite dunette qu'on avait établie sur l'arrière du pont pour


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