Les Rues de Paris, tome troisième. Bouniol Bathild

Les Rues de Paris, tome troisième - Bouniol Bathild


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qui cherchait à attirer dans ses états les hommes célèbres en tout genre, lui fit faire, en 1740, des offres magnifiques que Vaucanson, par l'inspiration d'un patriotisme que tous n'imitèrent pas, déclina noblement; il refusa de quitter la France. Il en fut récompensé; car, peu de temps après, le cardinal de Fleury, qui sans doute avait été instruit de ce généreux refus, nomma Vaucanson inspecteur en chef des manufactures de soie. Cette position permit au savant d'appliquer son génie d'invention à des résultats utiles, pratiques. «Il imagina, d'après ce qu'on nous apprend, des machines propres à donner à volonté de l'apprêt aux diverses espèces de soie, à rendre cet apprêt égal pour toutes les bobines ou tous les écheveaux d'un même travail, et pour toute la longueur du fil qui formait chaque bobine ou chaque écheveau. Il imagina de plus les instruments nécessaires pour exécuter avec régularité et d'une manière uniforme les différentes parties de ces machines. Ainsi une chaîne sans fin donnait le mouvement à son moulin à organsiner; il inventa une machine pour fermer la chaîne de mailles toujours égales: elle est regardée comme un chef-d'œuvre.»

      Mais des intérêts menacés, ou du moins qui croyaient l'être par ces inventions, s'inquiétèrent, s'irritèrent et peu s'en fallut qu'il n'en coûtât cher à l'inventeur. Vaucanson étant venu à Lyon pour les besoins de son inspection, les ouvriers en soie furent prévenus de son arrivée. Aussitôt la fermentation commence dans les ateliers que bientôt on déserte.

      – Cet homme, murmurent les meneurs, ou plutôt ce diable, par ses inventions maudites qui tendent à rendre les métiers inutiles, veut nous ôter notre pain et nous réduire à l'aumône, le souffrirons-nous, le souffrirons-nous?

      – Non, non, vengeance, vengeance!

      Sur ces entrefaites, Vaucanson arrive au milieu des groupes, soit par un effet du hasard, soit par un dessein prémédité, afin de les éclairer et de démontrer aux ouvriers que leurs alarmes n'étaient nullement fondées et qu'ils se méprenaient sur la nature de ses inventions. Il se voit accueilli par des injures et des huées, puis les pierres commencent à pleuvoir. Contraint à la retraite par cette grêle de projectiles dont plus d'un l'atteint, il lance en fuyant, comme le Parthe, sa flèche, c'est-à-dire cette menace aux assaillants:

      – Vous prétendez que vous seuls êtes capables d'exécuter un dessin; eh bien! je prouverai le contraire, car j'en chargerai un âne.

      En effet, bientôt après, il fit construire une machine avec laquelle un âne exécutait un dessin à fleurs et par là coupa court aux intrigues dont le gouvernement se voyait assiégé et qui avaient pour but d'obtenir de nouveaux priviléges pour les fabriques, dont les ouvriers, disait-on, pour exécuter leurs travaux, devaient être doués d'une intelligence peu commune.

      Vaucanson s'occupa ensuite d'un automate des plus curieux et dans l'intérieur duquel on devait voir s'opérer tous les phénomènes de la circulation du sang, cette récente et admirable découverte d'Harvey. Le roi Louis XV avait fort encouragé l'artiste (on peut certes lui donner ce nom), dans l'exécution de ce travail qui inspirait à Voltaire ces vers qui ne sont point des pires qu'il ait faits:

      Le hardi Vaucanson, rival de Prométhée,

      Semblait, de la nature imitant les ressorts,

      Prendre le feu des cieux pour animer les corps.

      Comme poésie c'est pauvre sans doute, mais il y a du vrai dans la pensée. Vaucanson cependant n'acheva pas cette machine, dégoûté, dit-on, par les lenteurs qu'éprouvaient les ordres du roi: c'est-à-dire qu'il ne touchait pas l'argent qui lui avait été promis. Cette bureaucratie est toujours et en tout temps la même.

      Attaqué par une cruelle maladie, dont il souffrit pendant plusieurs années, Vaucanson, presque jusqu'au dernier jour, s'occupa de ses travaux et en particulier de l'exécution d'une machine inventée pour composer la chaîne sans fin. De son lit de douleur, où il languit pendant dix-huit mois, il surveillait le travail des ouvriers, répétant incessamment: – Hâtez-vous, hâtez-vous! pas de temps à perdre; je ne vivrai pas assez peut-être pour expliquer toute mon idée.

      Enfin son état s'aggravant de plus en plus, il prêta l'oreille aux exhortations de parents chrétiens qui, avec le courage et la sincérité de la vraie affection, lui rappelaient ces croyances et ces devoirs qu'il avait un peu trop négligés, soit par l'entraînement de la science, soit par l'influence de certaines et fatales amitiés. Docile à leurs conseils, il accueillit avec reconnaissance la visite du prêtre auquel il se confessa et mérita que sur sa tombe, placée dans l'église Sainte-Marguerite, on inscrivît cette épitaphe:

      Bonis omnibus, pietate, caritate, verecundiâ, flebilis.

      Vaucanson, par son testament avait légué son cabinet à la reine Marie-Antoinette. Par suite de regrettables malentendus, le legs n'ayant point été accepté, le cabinet fut dispersé et les merveilles qui le composaient se trouvent aujourd'hui dans les divers musées de l'Europe.

      Une jolie anecdote pour terminer. Vaucanson, à la demande de Marmontel, avait fait pour la Cléopâtre de celui-ci, tragédie plus que médiocre, un aspic qui sifflait en mordant le sein de la reine.

      – Que pensez-vous de cette pièce? demanda un spectateur à son voisin.

      – Moi, je suis de l'avis de l'aspic! fut-il répondu.

      Ce mot inspira-t-il à Lebrun son épigramme?

      Au beau drame de Cléopâtre

      Où fut l'aspic de Vaucanson,

      Tant fut sifflé qu'à l'unisson

      Sifflaient et parterre et théâtre;

      Et le souffleur, oyant cela,

      Croyant encor souffler, siffla.

      SAINT VICTOR

      Peu après le massacre de la légion thébaine, le césar Maximien vint à Marseille où, comme la bête féroce plus terrible quand elle a goûté du sang, il déclara avec une fureur nouvelle la guerre aux chrétiens, aux Christocoles, comme il les appelait par dérision. Dès le lendemain de son arrivée, il fait annoncer que tous ceux qui refuseront de sacrifier aux idoles périront par les plus cruels supplices. Au milieu de la consternation que ces menaces répandent dans la ville, Victor, soldat chrétien que la foi rend intrépide, court de maison en maison, pour raffermir et consoler ses frères. Arrêté dans ce pieux office, il est traîné devant le tribunal militaire où d'un visage assuré, d'une voix ferme, il se déclare hautement, hardiment chrétien. Alors du milieu de la multitude païenne qui se pressait autour du tribunal, s'élèvent des cris et des murmures qui bientôt sont des malédictions et des outrages. Le préfet militaire ordonne que la cause, la première sans doute depuis l'entrée du César, soit renvoyée à celui-ci. Victor en effet comparaît devant Maximien qui, tour à tour employant les promesses et les menaces, le presse de sacrifier aux idoles; mais le martyr ne répond à ces sollicitations que par une généreuse profession de foi:

      – Je suis le soldat du Christ, dit-il, de Jésus, Seigneur et Sauveur, qui par amour pour nous s'est fait homme! Mort parce que lui-même l'a voulu de la main des impies, et ressuscité le troisième jour par la toute puissance de sa vertu divine, il est remonté au ciel où il règne et règnera éternellement. Lui seul est Dieu, lui seul mérite nos adorations et nos hommages!

      Maximien, plein de colère, ordonne que le brave soldat soit à l'instant dépouillé de ses vêtements et qu'on lui ôte ses armes. Après cette espèce de dégradation, le légionnaire, les mains liées derrière le dos, devra être promené par toute la ville pour y être livré aux risées et aux insultes de la populace. Mais Victor, le front serein, souriait aux insulteurs dont plusieurs aux outrages joignaient les coups, et s'applaudissait de souffrir pour Jésus-Christ.

      Après qu'il eût été ainsi quelque temps le jouet de cette sauvage multitude, le Martyr, souillé de boue et de crachats, tout déchiré et tout sanglant, est ramené au tribunal du préfet militaire. Là de nouveau on le presse de sacrifier aux idoles:

      «Après avoir appris par une première expérience, lui dit le président, ce qu'il en coûte de désobéir


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