Les Rues de Paris, tome troisième. Bouniol Bathild

Les Rues de Paris, tome troisième - Bouniol Bathild


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fille du duc de Valentinois dont le chroniqueur ne parle pas avec moins de complaisance que de la première épouse. «La jeune demoiselle était humble sans rusticité, grave sans orgueil, bénigne sans sottise, affable sans trop grande familiarité, dévote sans hypocrisie, joyeuse sans folie et bien parlante sans fard de langage, libérale sans prodigalité et prudente sans présomption.» Une merveille pour tout dire, et la perfection incarnée si le portrait n'est point flatté.

      Pourtant le vieux guerrier n'hésita point à la quitter pour suivre le roi François Ier en Italie. Il se trouvait près du prince à la bataille de Pavie (1525) et «là fut abattu mort d'un coup d'arquebuse.» «Et en la bataille de Pavie, dit à son tour Brantôme, après avoir combattu vaillamment et plus que son vieil âge ne lui concédait, il mourut au champ de bataille et lit d'honneur, montrant par sa mort au monde que si quelquefois les grands capitaines sont défavorisés de la fortune en quelques exploits, pourtant il ne les en faut blâmer ni eux ni leurs courages, ni leurs valeurs, mais que la fortune qui tient toutes choses mondaines en sa main et se plaît en faveur, en disgrâce, en gloire et déshonneur, les donne en abondance et en épargne, ainsi que porte sa volonté, aux uns et aux autres.»

      Or, le fidèle Bouchet (qui sans doute se mêlait de rimer) fit à La Trémouille cette épitaphe:

      Au lit d'honneur il a perdu la vie,

      Le bon Louis Trémoille ci-gisant,

      Au dur conflit qui fut devant Pavie,

      Entre Espagnols et Français par envie;

      Dont son renom en tous lieux est luisant.

      Il n'eut voulu mourir en languissant

      En sa maison, ni sous obscure roche,

      De lâcheté, comme il allait disant;

      Pour ce est nommé: Chevalier sans Reproche.

      Molière dirait:

      La rime n'est pas riche et le style en est vieux.

      Mais, au point de vue de l'histoire, ce document contemporain est précieux, et Clio s'accommode volontiers de ce qui ne suffirait pas à sa sœur.

      VAUCANSON

      Il est des vocations innées, des natures heureuses, privilégiées chez lesquelles les aptitudes se trahissent par une facilité merveilleuse pour le genre de travail qui éveille leur génie. Aussi l'effort ne leur coûte point et l'obstacle est pour eux un aiguillon. Ils produisent des chefs-d'œuvre comme l'arbre tout naturellement porte des fleurs et des fruits, comme l'abeille dans ses courses matinales, fait le miel en pompant le suc des fleurs. Tel un Giotto dessinant sur le sable les chèvres de son troupeau, avant de savoir mème ce que c'est que le dessin; tel Pascal inventant, en quelque sorte, les mathématiques; tel enfin, Vaucanson devinant l'art de la mécanique, témoin ce trait de sa première enfance, qu'à l'envi nous racontent les biographes.

      Né à Grenoble, 24 février 1690, d'une famille d'artisans, ou mieux de petits bourgeois, il eut pour père Jacques Vocanson (car, d'après l'acte de baptème relevé sur les registres de la ville par M. Pilot, telle serait la vraie orthographe du nom), pour mère Dorothée Lacroix. Celle-ci, «femme d'une piété sévère, dit la Biographie universelle, ne permettait à l'enfant d'autre distraction que celle de venir avec elle le dimanche chez des dames d'une dévotion égale à la sienne. Pendant leurs pieuses conversations, le jeune Vaucanson s'amusait à examiner, à travers les fentes d'une cloison, une horloge placée dans la chambre voisine. Il en étudiait le mouvement, s'occupait à en dessiner la structure et à découvrir le jeu des pièces dont il ne voyait qu'une partie. Cette idée le poursuivait partout. Enfin, il saisit tout d'un coup le mécanisme de l'échappement qu'il cherchait depuis plusieurs mois. Dès ce moment, toutes ses idées se tournèrent vers la mécanique. Il fit en bois, et avec des instruments grossiers, une horloge qui marquait les heures assez exactement. Il composa pour une chapelle d'enfant des petits anges qui agitaient leurs ailes, des prêtres automates qui imitaient quelques fonctions ecclésiastiques.»

      Ces premiers et étonnants résultats étaient faits pour l'encourager; mais il dut, pour un temps, interrompre ses travaux pour d'autres études, placé par ses parents dans le collége des Jésuites, où se fit son éducation. On ne peut douter, d'ailleurs, que, pendant ses heures de loisir, il ne continuât ses travaux de prédilection. Il était au collége encore peut-être, ou l'avait quitté récemment, lorsqu'il entendit parler d'une machine hydraulique projetée par la ville de Lyon. Sa tête aussitôt s'enflamme; pendant plusieurs jours il s'absorbe dans une préoccupation profonde, il réfléchit, il combine et, enfin, il exécute un modèle de machine, qu'il n'osa présenter crainte d'être accusé de présomption et de vanité. Mais venu à Paris quelque temps après, quelle ne fut pas sa joie quand il constata que la fameuse Samaritaine, aujourd'hui détruite et que longtemps les Parisiens virent fonctionner sur le Pont-Neuf, était précisément la machine qu'il avait imaginée et que, dans son mécanisme simple et ingénieux, elle amenait l'eau par les mêmes moyens.

      Le jeune homme ne put se défendre d'un mouvement de vive satisfaction, mais exempt d'orgueil; comprenant que ses connaissances en anatomie, en mécanique, etc., ne pouvaient lui suffire et qu'il avait beaucoup à apprendre encore, «car savoir sert beaucoup pour inventer», ainsi que l'a dit Mme Staël; il se mit de nouveau et courageusement aux études spéciales. Il n'eut pas à le regretter; car son horizon s'agrandit et une connaissance plus sérieuse, plus complète de l'organisme humain, comme des diverses sciences se rattachant de près ou de loin à la mécanique, donnèrent une singulière lucidité à son esprit d'investigation comme d'imitation; en voici la preuve!

      Un jour qu'il se promenait dans le jardin des Tuileries, s'étant arrêté devant le Flûteur, l'idée lui vint d'exécuter une statue qui jouerait des airs et, à l'aide d'un mécanisme intérieur, ferait ce que fait un musicien vivant. Tout plein de ce projet, en rentrant à la maison, chez un oncle qui lui donnait l'hospitalité, il en parla avec un enthousiasme qui, par malheur, trouva peu d'échos. L'oncle, en homme positif, lui dit:

      – Tu es fou, mon neveu, de rêver de telles chimères! Si c'est là tout le fruit de tes lectures et de tes expériences, en vérité, je ne t'en fais point compliment, et je ne puis m'empêcher de dire qu'il est fâcheux de te voir ainsi perdre un temps que tu pourrais mieux employer. En ce qui me concerne, je m'opposerai très-fermement à la mise à exécution de ce projet extravagant, qui ne pourrait qu'entraîner inutilement des sacrifices considérables. Tu n'as donc pas à compter sur moi, au contraire.

      Tout confus de ces reproches assez rudement formulés, Vaucanson, quoique à regret, n'insista point; mais, toutefois, il n'abandonna pas son idée, et trois ans après, pendant une maladie qui le retint de longs jours, soit au lit, soit dans sa chambre, il revint à son projet, qu'il réalisa. Telle était la netteté de sa conception et la lucidité de sa pensée, que la machine put être exécutée sur ses dessins par divers ouvriers qui ne se connaissaient point entre eux, et dont chacun exécuta telle ou telle partie du mécanisme. Or, toutes ces parties réunies s'emboîtèrent, se soudèrent si parfaitement, après avoir été mises chacune en sa place, qu'au premier ordre de l'inventeur, elles fonctionnèrent avec une merveilleuse régularité. On vit les mains et les doigts du Flûteur remuer en cadence comme ceux d'un musicien ordinaire et la flûte fit entendre des sons harmonieux et non différents de ceux d'une flûte réelle. Le domestique de Vaucanson, seul présent à cette première expérience, et que la curiosité avait porté à se cacher dans l'appartement derrière un rideau de lit, saisi d'une sorte de terreur semblable à celle qui pétrifia Sganarelle quand il vit la statue du commandeur incliner la tête, ne put retenir un cri et vint éperdu se jeter aux pieds de son maître, qu'il jugeait un vrai sorcier. Vaucanson, tout à la joie de sa découverte, et avec des larmes dans les yeux, l'embrassa en murmurant comme Archimède: Eureka! Eureka! Je l'ai trouvé! je l'ai trouvé!

      Après cette machine, l'inventeur fit un automate qui jouait à la fois du tambourin et du galoubet; puis deux canards si parfaitement imités qu'on les voyait agiter les ailes, la queue, les pattes, en un mot barboter dans la mare, prendre ensuite dans l'auge le grain et, en remuant le col, l'avaler. Ce grain subissait dans leur


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