Le Médecin des Dames de Néans. Rene Boylesve

Le Médecin des Dames de Néans - Rene  Boylesve


Скачать книгу
ses poches, qu'il en retirait de temps en temps pour se les frotter nerveusement, souriant, la tête rejetée en arrière où tremblaient ses cheveux gris épais. La fenêtre était fermée et les volets rabattus; il ouvrit tout. Une fraîcheur pénétra, souleva l'atmosphère lourde de la pièce. L'orage s'éloignait; des arbres du jardin, de larges gouttelettes tombaient en petits bruits espacés et les feuilles humides luisaient à la lueur des derniers éclairs. Il respira, s'accouda à la fenêtre. Et là, il combina, avec une méthode, une précision minutieuses, au milieu du sommeil de Néans, son plan généreux de séduction et d'adultère.

      IX

      Lespingrelet fit danser la «demoiselle» trois jours durant, sur la pelouse aux pivoines, en face de la petite maison bourgeoise des Veulottes. Le sacristain était autorisé à joindre à ses fonctions augustes ces travaux profanes, pourvu qu'il fût de retour à Néans pour sonner l'Angelus; encore sa femme s'en chargeait-elle, ainsi que de tinter un glas inopiné, toutes les fois qu'elle n'était pas en couches. Nul ne s'entendait, comme ce petit bout d'homme, à disposer un massif de fleurs, à lui donner la forme de l'ovale traditionnel, ou les courbures et sinuosités congruentes à la disposition des allées, à la configuration générale du parterre. Avait-il pris au service des autels ce goût à distribuer les fleurs ainsi qu'en général tout motif d'ornement? Toujours est-il qu'il y valait les jardiniers les plus renommés et même, depuis un voyage qu'il avait fait au Jardin botanique de Saumur pour les serres de M. le baron de Roquencourt, il savait, par le moyen de plantes grasses ou de floraisons un peu touffues, inscrire dans une corbeille, en beaux caractères, soit le nom du propriétaire, soit quelque devise de choix judicieux. Il en inscrivait même en latin, ce dont il tirait vanité, et ce qui lui était arrivé pour le jardin du presbytère où toute la paroisse s'était rendue pour déchiffrer un Magnificat anima mea Dominum, en eupatoires, que l'on pouvait lire du pont en passant l'eau, du moins ceux qui avaient de bons yeux. Il était le jardinier ordinaire de M. Durosay.

      Cinq cents mètres avant la grille des Veulottes, le petit tape-cul du docteur Grandier qui allait devant la voiture Durosay, ayant dû s'arrêter pour un léger accident aux rênes, on entendit les coups sourds du marteau-pilon surnommé «demoiselle», et l'on s'apprêta à rire à cause du singulier accouplement que devait faire le sacristain au corps d'araignée avec cet instrument lourdaud affublé d'un nom galant.

      La Grand'Jeannette et les garçons de ferme qui se relevaient de la sieste quand les voitures arrivèrent, entouraient justement Lespingrelet de facéties. Lespingrelet étant de la ville ne dormait pas à midi. Quand donc est-ce qu'il dormait? À coup sûr pas la nuit: on comptait sa progéniture; on en oubliait toujours; il avait huit enfants vivants et cinq morts. Il avait vraiment la main heureuse, il ne ratait pas une bouture. L'aurait-on cru à le voir? On pouvait dire de lui comme du bon Dieu, qu'il faisait quelque chose avec rien. Il augmentait tout ce qu'il touchait. Madame Lespingrelet n'était donc point jalouse de la «demoiselle»? Quelques-uns la trouvaient plus grosse qu'hier.

      Outre cela, il était d'église.

      Sa force consistait à répondre aux quolibets par des mots latins qu'il savait, sans en comprendre le sens. L'effet était infaillible; on se retirait en disant: «Tout de même, est-il spirituel!»

      La porte grillée des Veulottes donnait sur une de ces belles allées de tilleuls, parfaitement droites et qui datent du siècle dernier. Le bruit des voitures attirait les chiens que l'on trouvait là tout debout, le museau passé entre les barreaux de fer. Ils aboyaient, sautaient, faisaient des bonds formidables autour de la voiture. Madame Durosay cachait ses mains, car cette exubérance lui faisait peur. «Tout beau! tout beau!» leur adressait M. Durosay avec un geste d'apaisement; et, se tournant vers Septime: «Voilà! jeune homme! il faut devenir agile et vigoureux comme ces petites bébêtes-là! Ah! dame, ah! dame! il faut se secouer! du jarret! du biceps, sacrebleu!»

      Septime souriait comme on le fait aux paroles des gens qui vous entretiennent de quelque chose qui ne vous intéresse pas du tout; il s'essayait, en lui-même, à s'imaginer combien il serait gentil s'il sautait et gambadait comme ces chiens. À la descente de voiture, il fallut, bon gré, mal gré, essuyer le choc de leurs embrassements. Ils s'élançaient et vous venaient heurter la poitrine de leurs pattes tendues, puis se laissaient retomber en vous éraflant de leurs griffes, tout le long du gilet et du pantalon. Madame Durosay eut sa robe déchirée. Septime, qui venait pour la première fois aux Veulottes, fut aspiré, reniflé sur toutes les coutures.

      – Les belles bêtes, hein! gare aux perdreaux, en septembre!.. As-tu remarqué, Bellotte, la petite tache que ce fox a sur le front!..

      – Monsieur Septime, disait madame Durosay, vous allez voir une maison bien abandonnée et en grand désordre.

      La Grand'Jeannette s'avançait. Elle avait le corps bâti comme une vierge de Cimabuë et d'une longueur désespérante. Son caillon blanc laissait flotter, tout en haut, de petites ailes ratatinées. La peau de sa figure et de son cou était crevassée comme un cratère, et de hauts reliefs s'y détachaient, sortes de croûtes dorées qui semblaient transparentes comme du sucre d'orge. Elle avait des yeux noirs et doux tout environnés de duvet. Mais quand Septime vit sa bouche, il se détourna.

      Elle expliquait, après mille salutations, que «la petite amusette» ne serait pas prête pour aujourd'hui, au dire de Lespingrelet qui avait pourtant «bien dansé, bien dansé», mais rapport à ce que la pelouse était «fourragée» de trous de taupes. Fallait-il donc se donner du mal et avaler des bouteilles de vin blanc pour jouer à «c'te partie-là»!

      On apercevait, entre deux noisetiers, Lespingrelet et son pilon. Il se remuait si fort que l'on ne savait lequel des deux soulevait l'autre.

      Personne ne parut éprouver de chagrin violent que la partie fût remise. Il faisait une grande chaleur. Madame Durosay avait hâte déjà d'aller s'étendre et elle s'engageait sous la petite allée couverte, qui contournait les communs, sous des massifs de lilas, jusqu'au perron de la maison bourgeoise. Ces messieurs la suivirent, sauf le notaire qui avait toujours mille recommandations à faire; mille doléances à recevoir de la métayère.

      Une odeur toute particulière en même temps qu'une grande fraîcheur les enveloppa, les pénétra, en ouvrant les hauts volets blancs de la porte-fenêtre qui donnait accès dans le vestibule. On n'ouvrait jamais dans la journée pour éviter la chaleur. Ils furent là dedans complètement aveuglés, ayant refermé aussitôt derrière eux, et Septime heurta même le bras de madame Durosay, recouvert seulement d'une chemisette de percaline. Il en perdit toute contenance, mais l'obscurité sauva tout. La jeune femme gagna la causeuse et ces messieurs remuèrent des chaises; peu à peu on se reconnut. On s'épongeait le front et le visage et l'on ne trouvait rien à dire hormis la pesanteur de la température et l'énumération des différentes sortes de rafraîchissements que d'ailleurs on n'avait point. On décida d'aller manger des cerises dans l'arbre dès que le soleil serait un peu tombé.

      Le vestibule était tapissé d'un papier à fond blanc parsemé de corbeilles et de guirlandes de roses: les meubles y étaient couverts de housses blanches; il y avait aux murs, accrochés, une gourde de chasse, des fouets, une lithographie de Napoléon III et une de l'impératrice Eugénie, entre des têtes de cerf. Septime vit réapparaître la jeune femme, dans la pénombre, au milieu de ce décor qu'il jugea charmant et tel qu'on n'en peut point trouver de meilleur à la campagne. Il se sentit si aise physiquement, dans cet intérieur frais, qu'il s'enhardit à parler et il fit remarquer l'odeur des pièces partout si différente, qui tenait souvent on ne savait trop à quoi et qu'il percevait si fort que, tout petit, on s'amusait à lui bander les yeux et à le promener par toute la maison pour lui faire dire où il se trouvait; il se trompait rarement. Madame Durosay n'avait jamais prêté attention à cela; pourtant elle avait beaucoup de goût pour les parfums.

      – Il faut sentir, dit le docteur; on s'y devrait exercer comme à l'agilité des membres, car les odeurs sont un langage varié par quoi la nature nous parle et nous pénètre aussi bien que les tons et les nuances, ou les belles combinaisons des sons.

      Il avait déjà prescrit des parfums à l'usage de madame Durosay, comme il eût fait des potions. Il les étudiait sur elle, et il voulait qu'elle s'imprégnât de celui qui lui


Скачать книгу