Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme

Vies des dames galantes - Pierre de Bourdeille Brantôme


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leurs amys, leurs compagnons, de venir voir leurs femmes, jusques à leur faire festins pour mieux les y attirer; et y estant, les laisser seuls avec elles dans leurs chambres, leurs cabinets, et puis s'en aller et leur dire: «Je vous laisse ma femme en garde.»

      – J'en ay cogneu un de par le monde, que vous eussiés dit que toute sa félicité et contentement gisoit à estre cocu, et s'estudioit d'en trouver les occasions, et surtout n'oublioit ce premier mot: «Ma femme est amoureuse de vous; l'aymez-vous autant qu'elle vous aime?» Et quand il voyoit sa femme avec son serviteur, bien souvent il emmenoit la compagnie hors de la chambre pour s'aller pourmener, les laissant tous deux ensemble, leur donnant beau loisir de traitter leurs amours; et si par cas il avoit à faire à tourner prestement en la chambre, dès le bas du degré il crioit haut, il demandoit quelqu'un, il crachoit ou il toussoit, afin qu'il ne trouvast les amants sur le fait; car volontiers, encore qu'on le sçache et qu'on s'en doute, ces vues et surprises ne sont guières agréables ny aux uns ny aux autres.

      Aussi ce seigneur faisant un jour bastir un beau logis, et le maistre masson luy ayant demandé s'il ne le vouloit pas illustrer de corniches, il respondit: «Je ne sçay que c'est que corniches; demandez-le à ma femme, qui le sçait et qui sçait l'art de géométrie; et ce qu'elle dira faites-le.»

      – Bien fit pis un que je sçay, qui, vendant un jour une de ses terres à un autre pour cinquante mille escus, il en prit quarante-cinq mille en or et argent, et pour les cinq restants il prit une corne de licorne; grande risée pour ceux qui le sceurent. «Comme, disoient-ils, s'il n'avoit assez de cornes chez soy sans y adjouster celle-là.»

      – J'ay cogneu un très-grand seigneur, brave et vaillant, lequel vint à dire à un honneste gentilhomme qui estoit fort son serviteur, en riant pourtant: «Monsieur un tel, je ne sçay ce que vous avez fait à ma femme, mais elle est si amoureuse de vous que jour et nuict elle ne me fait que parler de vous, et sans cesse me dit vos louanges. Pour toute response je luy dis que je vous connois plustost qu'elle, et sçay vos valeurs et vos mérites, qui sont grands.» Qui fut estonné, ce fut ce gentilhomme, car il ne venoit que de mener cette dame sous le bras à vespres, où la Reyne alloit. Toutes-fois le gentilhomme s'asseura tout d'un coup et luy dit: «Monsieur, je suis très-humble serviteur de madame vostre femme, et fort redevable de la bonne opinion qu'elle a de moi, et l'honore beaucoup; mais je ne luy fais pas l'amour (disoit-il en bouffonnant), mais je luy fais bien la cour par vostre bon advis que vous me donnastes dernierement; d'autant qu'elle peut beaucoup à l'endroit de ma maistresse, que je puis espouser par son moyen, et par ainsi j'espère qu'elle m'y sera aidante.»

      Ce prince n'en fit plus autre semblant, si-non que de rire et admonester le gentilhomme de courtiser sa femme plus que jamais, ce qu'il fit, estant bien-aise sous ce prétexte de servir une si belle dame de prince, laquelle luy faisoit bien oublier son autre maistresse qu'il vouloit espouser, et ne s'en soucier guières, si-non que ce masque bouchoit et déguisoit tout.

      Si ne put-il faire tant qu'il n'entrast un jour en jalousie, que voyant ce gentilhomme dans la chambre de la Reyne porter au bras un ruban incarnadin d'Espagne, qu'on avoit apporté par belle nouveauté à la Cour, et l'ayant tasté et manié en causant avec luy, alla trouver sa femme, qui estoit près du lict de la Reyne, qui en avoit un tout pareil, lequel il mania et toucha tout de mesme, et trouva qu'il estoit tout semblable et de la mesme pièce que l'autre: si n'en sonna-il pourtant jamais mot, et n'en fut autre chose. Et de telles amours il en faut couvrir si bien les feux par telles cendres de discrétion et de bons advis, qu'elles ne se puissent descouvrir; car bien souvent l'escandale ainsi descouvert dépite plus les marys contre leurs femmes, que quand le tout se fait à cachettes, pratiquant en cela le proverbe: Si non caste, tamen caute26.

      – Que j'ay veu en mon temps de grands escandales et de grands inconvénients pour les indiscrétions et des dames et de leurs serviteurs! Que leurs marys s'en soucioient aussi peu que rien, mais qu'ils fissent bien leurs faits, sotto coperte27, comme on dist, et ne fust point divulgué.

      – J'en ay cogneu une qui tout à trac faisoit paroistre ses amours et ses faveurs, qu'elle départoit comme si elle n'eust eu de mary et ne fust esté sous aucune puissance, n'en voulant rien croire l'advis de ses serviteurs et amys, qui lui en remonstroient les inconvénients: aussi bien mal luy en a-t-il pris.

      Cette dame n'a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait: car elles ont gentiment traitté l'amour, et se sont données du bon temps sans en avoir donné grand connoissance au monde, sinon par quelques soupçons légers, qui n'eussent jamais pu monstrer la vérité aux plus clairvoyants; car elles accostoient leurs serviteurs devant le monde si dextrement, et les entretenoient si escortement28 que ny leurs marys ny les espions de leur vie n'y eussent sceu que mordre; et quand ils alloient en quelque voyage, ou qu'ils vinssent à mourir, elles couvroient et cachoient leurs couleurs si sagement qu'on n'y connoissoit rien.

      – J'ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu'un grand seigneur son serviteur mourut, elle parut en la chambre de la Reyne avec un visage aussi guay et riant que le jour paravant. D'aucuns l'en estimoient de cette discrétion, et qu'elle le faisoit de peur de desplaire et irriter le Roy, qui n'aymoit pas le trespassé. D'aucuns la blasmoient, attribuant ce geste plustost à manquement d'amour, comme l'on disoit qu'elle n'en estoit guières bien garnie, ainsi que sont toutes celles qui se meslent de cette vie.

      – J'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et lamentations, et monstrèrent leur dueil par leurs habits bruns, plus d'eau-benistiers, d'aspergez d'or engravez, plus de testes de morts, et de toutes sortes de trophées de la mort en leurs affiquets, joyaux et bracelets qu'elles portoient, qui les escandalisèrent fort, et cela leur nuict grandement; mais leurs marys ne s'en soucioient autrement.

      Voilà en quoy ces dames se transportent en la publication de leurs amours, lesquelles pourtant on doit louer et priser en leurs constances, mais non en leur discrétion; car pour cela il leur en fait très-mal. Et si telles dames sont blasmables en cela, il y a beaucoup de leurs serviteurs qui en méritent bien la réprimande aussi bien qu'elles; car ils contrefont des transis comme une chevre qui est en gesine, et des langoureux; ils jettent leurs yeux sur elles et les envoyent en ambassade; ils font des gestes passionnés, des souspirs devant le monde; ils se parent des couleurs de leurs dames si apparemment; bref, ils se laissent aller à tant de sottes indiscrétions, que les aveugles s'en appercevroient: les uns aussi bien pour le faux que pour le vray, afin de donner à entendre à toute une Cour qu'ils sont amoureux en bon lieu, et qu'ils ont bonne fortune; et Dieu sçait, possible, on ne leur en donneroit pas l'aumosne pour un liard, quand bien on en devroit perdre les œuvres de charité.

      – Je cognois un gentilhomme et seigneur, lequel, voulant abrever le monde qu'il estoit venu amoureux d'une belle et honneste dame que je sçay, fit un jour tenir son petit mulet avec deux de ses pages et laquais au devant sa porte. Par cas, M. de Strozze et moy passasmes par-là et vismes ce mystere de ce mulet, ces pages et laquais. Il leur demanda soudain où estoit leur maistre; ils firent response qu'il estoit dans le logis de cette dame, à quoy M. de Strozze se mit à rire et me dire que sur sa vie il gaigeroit qu'il n'y estoit point, et soudain posa son page en sentinelle pour voir si ce faux amant sortiroit; et de-là nous en allasmes soudain en la chambre de la Reyne, où nous le trouvasmes, et non sans rire luy et moy: et sur le soir nous le vinsmes accoster, et en feignant de luy faire la guerre, nous luy demandasmes où il estoit à telle heure après-midy, et qu'il ne s'en sçauroit laver, car nous y avions veu le mulet et ses pages devant la porte de cette dame. Luy, faisant la mine d'estre fasché que nous avions veu cela, et de quoy nous luy en faisions la guerre de faire l'amour en ce bon lieu, il nous confessa vrayment qu'il y estoit; mais il nous pria de n'en sonner mot, autrement que nous le mettrions en peine, et cette pauvre dame qui en seroit escandalisée et mal venue de son mary, ce que nous luy promismes riants tousjours à pleine gorge et nous mocquant de luy, encor qu'il fust assez grand seigneur et qualifié, de n'en parler jamais et que cela ne sortiroit de nostre bouche. Si est-ce qu'au bout de quelques jours qu'il continuoit ses coups faux avec son mulet trop souvent, nous luy descouvrismes la fourbe et luy en fismes la guerre à bon escient et


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<p>26</p>

C'est-à-dire, sinon chastement, du moins finement.

<p>27</p>

C'est-a-dire, sous les couvertes, ou en cachette.

<p>28</p>

Accortement.