Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme
tout le monde (car elle estoit de plaisante compagnie, et rencontroit très-bien). «Ha! mon amy, que tu eusses couru long-temps fauvettes avant que tu eusses eu ce diable que tu portes au col.»
– J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy François, lequel ayant receu l'ordre, et s'en voulant prévaloir un jour devant feu M. de la Chastaigneraye mon oncle, et luy dit: «Ha! que vous voudriez avoir cet ordre pendu au col aussi bien comme moy!» Mon oncle, qui estoit prompt, haut à la main, et scalabreux s'il en fut onc, lui respondit: «J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir par le moyen du trou que vous l'avez eu.» L'autre ne luy dit rien, car il savoit bien à qui il avoit à faire.
– J'ay ouy conter d'un grand seigneur, à qui sa femme ayant sollicité et porté en sa maison la patente d'une des grandes charges du pays où il estoit, que son prince lui avoit octroyée par la faveur de sa femme, il ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme avoit demeuré trois mois avec le prince fort favorisée, et non sans soupçons. Il monstra bien par-là sa générosité, qu'il avoit toute sa vie manifestée: toutes fois il l'accepta, après avoir fait chose que je ne veux dire.
Et voilà comme les dames ont bien fait autant ou plus de chevaliers que les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien qu'un autre; n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire escandale. Et si elles leur ont donné des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.
J'en cognois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme à la Cour, qui estoit très-belle; et, en moins de deux ans, ils se remirent et devinrent fort riches.
– Encore faut-il estimer ces dames qui eslèvent ainsi leurs marys en biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble: ainsi que l'on dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotte de s'engager et de donner tout ce qu'elle pouvoit à Loüis duc d'Orléans, luy qui estoit si grand et si puissant seigneur, et frère du Roy, et tirer de son mary tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre, et fut contraint de vendre sa comté de Bloys audit M. d'Orléans, lequel, pensez qu'il la luy paya de l'argent et de la substance mesmes que sa sotte femme luy avoit donnée. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoit à plus grand que soy; et pensez qu'après il se moqua et de l'une et de l'autre; car il estoit bien homme pour le faire, tant il estoit volage et peu constant en amours.
– Je cognois une grande dame, laquelle estant venuë fort amoureuse d'un gentilhomme de la Cour, et luy par conséquent joüissant d'elle, ne luy pouvant donner d'argent, d'autant que son mari luy tenoit son trésor caché comme un prestre, lui donna la plus grande partie de ses pierreries, qui montoient à plus de trente mille escus; si bien qu'à la Cour on disoit qu'il pouvoit bien bastir, puisqu'il avoit force pierres amassées et accumulées; et puis après, estant venue et escheue à elle une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille escus, elle ne les garda guères que son gallant n'en eust sa bonne part. Et disoit-on que si cette succession ne luy fust eschuë, ne sçachant que luy pouvoir plus donner, luy eust donné jusques à sa robe et chemise; en quoy tels escroqueurs et escornifleurs sont grandement à blasmer, d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres diablesses martelées et encapriciées; car la bourse estant si souvent revisitée, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni en son estre, comme la bourse de devant, qui est toujours en son mesme estat, et preste à y pescher qui veut, sans y trouver à dire les prisonniers qui y sont entrés et sortis. Ce bon gentilhomme, que je dis si bien empierré, vint quelque temps après à mourir; et toutes ses hardes, à la mode de Paris, vindrent à estre criées et vendues à l'encan, qui furent appréciées à cela, et recognuës pour les avoir veuës à la dame par plusieurs personnes, non sans grande honte de la dame.
– Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste dame, fit achepter une douzaine de boutons de diamants très-brillants, et proprement mis en œuvre avec leurs lettres égyptiennes et hiéroglyfiques, qui contenoient leur sens caché, dont il en fit un présent à sadite maistresse, qui, après les avoir regardées fixement, lui dit qu'il n'en estoit meshuy plus besoin à elle de lettres hiéroglyfiques, puisque les escritures estoient des-jà accomplies entre eux deux, ainsi qu'elles avoient esté entre cette dame et le gentil homme de cy-dessus.
J'ai cogneu une dame qui disoit souvent à son mary qu'elle l rendroit plustost coquin que cocu; mais ces deux mots tenant de l'équivoque, un peu de l'un de l'autre assemblèrent en elle et en son mary ces deux belles qualitez.
– J'ai bien cogneu pourtant beaucoup et une infinité de dames qui n'ont pas ainsi fait: car elles ont plus tenu serré la bourse de leurs escus que de leur gentil corps: car, encor qu'elles fussent très-grandes dames, elles ne vouloient donner que quelques bagues, quelques faveurs, et quelques autres petites gentillesses, manchons ou escharpes, pour porter pour l'amour d'elles et les faire valoir.
– J'en ay cogneu une grande qui a esté fort copieuse et liberale en cela; car la moindre de ses escharpes et faveurs qu'elle donnoit à ses serviteurs estoit de cinq cents escus, de mille et de trois mille, où il y avoit plus de broderies, plus de perles, plus d'enrichissements, de chiffres, de lettres hiérogiyfiques et belles inventions, que rien au monde n'estoit plus beau. Elle avoit raison, afin que ces présents, après les avoir faits, ne fussent cachés dans des coffres ni dans des bourses, comme ceux de plusieurs autres dames, mais qu'ils parussent devant tout le monde, et que son amy les fist valoir en les contemplant sur sa belle commémoration, et que tels présents en argent sentoient plustost leurs femmes communes qui donnent à leurs ruffians, que non pas leurs grandes et honnestes dames. Quelquefois aussi elle donnoit bien quelques belles bagues de riches pierreries; car ces faveurs et escharpes ne se portent pas communément, si-non en un beau et bon affaire; au lieu que la bague au doigt tient bien mieux et plus ordinairement compagnie à celuy qui la porte.
– Certes un gentil cavalier et de noble cœur doit estre de cette généreuse complexion, de plustost bien servir sa dame pour les beautez qui la font reluire, que pour tout l'or et l'argent qui reluisent en elle.
Quant à moy, je me puis vanter d'avoir servy en ma vie d'honnestes dames, et non des moindres; mais si j'eusse voulu prendre d'elles ce qu'elles m'ont présenté, et en arracher ce que j'eusse pu, je serois riche aujourd'huy, ou en bien, ou en argent, ou en meubles, de plus de trente mille escus que je ne suis; mais je me suis toujours contenté de faire paroistre mes affections, plus par ma générosité que par mon avarice.
Certainement il est bien raison que, puisque l'homme donne du sien dans la bourse du devant de la femme, que la femme de mesme donne du sien aussi dans celle de l'homme, mais il faut en cela peser tout; car, tout ainsi que l'homme ne peut tant jetter et donner du sien dans la bourse de la femme comme elle voudroit, il faut aussi que l'homme soit si discret de ne tirer de la bourse de la femme tant comme il voudroit, et faut que la loy en soit égale et mesurée en cela.
– J'ay bien veu aussi beaucoup de gentilshommes perdre l'amour de leurs maistresses par l'importunité de leurs demandes et avarices, et que les voyaus si grands demandeurs et si importuns d'en vouloir avoir, s'en défaisoient gentiment et les plantoient là, ainsi qu'il estoit très-bien employé.
Voilà pourquoy tout noble amoureux doit plustost estre tenté de convoitise charnelle que pécuniaire; car quand la dame seroit par trop libérale de son bien, le mary, le trouvant se diminuer, en est plus marry cent fois que de dix mille libéralitez qu'elle feroit de son corps.
Or, il y a des cocus qui se font par vengeance: cela s'entend que plusieurs qui haïssent quelques seigneurs, gentilshommes ou autres, desquels en ont receu quelques desplaisirs et affronts, se vangent d'eux en faisant l'amour à leurs femmes, et les corrompent en les rendant gallants cocus.
– J'ai cogneu un grand prince, lequel ayant receu quelques traits de rébellion par un sien sujet grand seigneur, et ne se pouvant vanger de luy, d'autant qu'il le fuyoit tant qu'il pouvoit, de sorte qu'il ne le pouvoit aucunement attraper; sa femme estant un jour venue à sa Cour solliciter l'accord et les affaires de son mary, le prince luy donna une assignation pour en conférer un jour dans un jardin et une chambre là auprès; mais ce fut pour lui parler d'amours, desquels il jouit fort facilement sur l'heure sans grande résistance, car elle estoit de fort bonne composition: et ne se contenta de la repasser, mais à d'autres la prostitua, jusques aux valets-de-chambre; et par ainsi disoit le prince qu'il se sentoit bien vangé