Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme
chasser de devant sa porte comme gueux de l'hostiere: et si fismes bien mieux, car nous le dismes à son mary, et luy en fismes le conte si plaisamment, qu'il le trouva si bon qu'il en rit luy-mesmes à son aise, et dist qu'il n'avoit pas peur que cet homme le fist jamais cocu; et que s'il ne trouvoit ledit mulet et ses pages bien logés à la porte, qu'il la leur feroit ouvrir et entrer dedans, pour les mettre mieux à couvert et à leur aise, et se garder du chaud ou du froid, ou de la pluye. D'autres pourtant le faisoient bien cocu. Et voilà comme ce bon seigneur, aux despens de cette honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux, se vouloit prévaloir sans avoir respect d'aucun escandale.
– J'ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa par ses façons de faire une fort belle et honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux quelque temps, et la pressant d'en obtenir ce bon petit morceau gardé pour la bouche du mary, elle luy refusa tout à plat, et après plusieurs refus, il luy dit comme desespéré: «Hé bien! vous ne le voulez pas, et je vous jure que je vous ruinerai d'honneur.» Et pour ce faire s'advisa de faire tant d'allées et venues à cachettes, mais pourtant non si secrettes qu'il ne se montrast à plusieurs yeux exprès, et donnast moyen de s'en appercevoir de nuict et de jour, à la maison où elle se tenoit; braver et se vanter sous main de ses bonnes fausses fortunes, et devant le monde rechercher la dame avec plus de privautez qu'il n'avoit occasion de le faire, et parmy ses compagnons faire du gallant plus pour le faux que pour le vray; si bien qu'estant venu un soir fort tard en la chambre de cette dame tout bousché de son manteau, et se cachant de ceux de la maison, après avoir joué plusieurs de ces tours, fut soubçonné par le maistre d'hostel de la maison, qui fit faire le guet: et, ne l'ayant pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et luy donna quelques soufflets, mais poussé après du maistre d'hostel, qui luy dit que ce n'estoit assez, la tua et la dagua, et en eut du Roy fort aisément sa grace. Ce fut grand dommage de cette dame, car elle estoit très-belle. Depuis, ce gentilhomme qui en avoit esté cause ne le porta guières loin, et fut tué en une rencontre de guerre par permission de Dieu, pour avoir si injustement osté l'honneur et la vie à cette honneste dame.
Pour dire la vérité sur cet exemple et sur une infinité d'autres que j'ay veus, il y a aucunes dames qui ont grand tort d'elles-mesmes, et qui sont les vrayes causes de leurs escandales et deshonneur; car elles-mesmes vont attaquer les escarmouches, et attirent les gallants à elles, et du commencement leur font les plus belles caresses du monde, des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et belles paroles des espérances; mais quand il faut venir à ce point, elles le desnient tout à plat. De sorte que les honnestes hommes qui s'estoient proposez force choses plaisantes de leur corps, se desesperent et se despitent en prenant un congé rude d'elles, les vont deshonorant et les publient pour les plus grandes vesses du monde, et en content cent fois plus qu'il n'y en a.
Donc voilà pourquoy il ne faut jamais qu'une honneste dame se mesle d'attirer à soy un gallant gentilhomme, et se laisse servir à luy, si elle ne le contenté[contente?] à la fin selon ses mérites et ses services.
Il faut qu'elle se propose cela si elle ne veut estre perdue, mesme si elle a affaire à un honneste et gallant homme; autrement, dès le commencement, s'il la vient accoster, et qu'elle voye que ce soit pour ce point tant desiré à qui il adresse ses vœux, et qu'elle n'aye point envie de luy en donner, il faut qu'elle luy donne son congé dès l'entrée du logis; car, pour en parler franchement, toutes dames qui se laissent aymer et servir s'obligent tellement, qu'elles ne se peuvent dédire du combat; il faut qu'elles y viennent tost ou tard, quoy qu'il tarde.
Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon pour leurs beaux yeux, et disent qu'elles desirent estre servies, que c'est leur félicité, mais non de venir là, et disent qu'elles prennent plaisir à desirer, et non à exécuter. J'en ay veu aucunes qui me l'ont dit: toutesfois il ne faut pourtant qu'elles le prennent là, car si une fois elles se mettent à desirer, sans point de doute il faut qu'elles viennent à l'exécution; car ainsi la loy d'amour le veut, et que toute dame qui desire, ou souhaite, ou songe de vouloir desirer à soy un homme, cela est fait: si l'homme le connoist et qu'il poursuive fermement celle qu'il attaque, il en aura ou pied ou aile, ou plume ou poil, comme on dit.
– Voilà donc comme les pauvres marys se font cocus par telles opinions de dames qui veulent desirer et non pas exécuter, mais, sans y penser, elles se vont brusler à la chandelle, ou bien au feu qu'elles ont basty d'elles-mesmes, ainsi que font ces pauvres simplettes bergères, lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons et brebis, allument un petit feu, sans songer à aucun mal ou inconvénient; mais elles ne se donnent de garde que ce petit feu s'en vient quelquesfois à allumer un si grand, qu'il brusle tout un pays de landes et de taillis.
Il faudroit que telles dames prissent l'exemple, pour les faire sages, de la comtesse d'Escaldasor, demeurant à Pavie, à laquelle M. de Lescu, qui depuis fut appelé le mareschal de Foix, estudiant à Pavie (et pour lors le nommoit-on le protenotaire de Foix, d'autant qu'il estoit dédié à l'Église; mais depuis il quitta la robbe longue pour prendre les armes), faisant l'amour à cette belle dame, d'autant que pour lors elle emportoit le prix de la beauté sur les belles de Lombardie, et s'en voyant pressée, et ne le voulant rudement mecontenter, ny donner son congé, car il estoit proche parent de ce grand Gaston de Foix, M. de Nemours, sous le grand renom duquel alors toute l'Italie trembloit; et un jour d'une grande magnificence et de feste, qui se faisoit à Pavie, où toutes les grandes dames, et mesmes les plus belles de la ville et d'alentour, se trouvèrent ensemble, les honnestes gentilshommes ne manquèrent pas aussi de s'y trouver.
Cette comtesse parut belle entre toutes les autres, pompeusement habillée d'une robbe de satin bleu céleste, toute couverte et semée, autant pleine que vuide, de flambeaux et papillons volletans à l'entour et s'y bruslans, le tout en broderie d'or et d'argent, ainsi que de tout temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire par-dessus les autres; si bien qu'elle emporta l'estime d'estre le mieux en point de toute la troupe et compagnie.
M. le protenotaire de Foix, la menant danser, fut curieux de luy demander la signification des devises de sa robbe, se doutant bien qu'il y avoit là-dessous quelque sens caché qui ne luy plaisoit pas. Elle luy respondit: «Monsieur, j'ay fait faire ma robbe de la façon que les gens d'armes et cavaliers font à leurs chevaux rioteux et vitieux, qui ruent et qui tirent du pied; ils leur mettent sur leur crouppe une grosse sonnette d'argent, afin que, par ce signal, leurs compagnons, quand ils sont en compagnie et en foule, soient advertis de se donner garde de ce meschant cheval qui ruë, de peur qu'il ne les frappe. Pareillement, par les papillons volletans et se bruslans dans ces flambeaux, j'advertis les honnestes hommes qui me font ce bien de m'aymer et admirer ma beauté, de n'en approcher trop près, ny en desirer davantage autre chose que la veuë; car ils n'y gagneront rien, non plus que les papillons, sinon desirer et brusler, et n'en avoir rien plus.» Cette histoire est escritte dans les Devises de Paolo Jovio. Par ainsi, cette dame advertissoit son serviteur de prendre garde à soy de bonne heure. Je ne sçay s'il en approcha de plus près, ou comme il en fit; mais pourtant, luy, ayant été blessé à mort à la bataille de Pavie, et pris prisonnier, il pria d'estre porté chez cette comtesse, à son logis dans Pavie, où il fut très-bien receu et traitté d'elle. Au bout de trois jours, il y mourut, avec le grand regret de la dame, ainsi que j'ay ouy conter à M. de Monluc, une fois que nous estions dans la tranchée à La Rochelle, de nuict, qu'il estoit en ses causeries, et que je luy fis le conte de cette devise, qui m'asseura avoir veu cette comtesse très-belle, et qui aymoit fort ledit mareschal, et fut bien honnorablement traitté d'elle: du reste, il n'en sçavoit rien si d'autrefois ils avoient passé plus outre. Cet exemple devroit suffire pour plusieurs et aucunes dames que j'ay allegué.
– Or, y a des cocus qui sont si bons, qu'ils font prescher et admonester leurs femmes, par gens de bien et religieux, sur leur conversion et corrections; lesquelles, par larmes feintes et paroles dissimulées, font de grands vœux, promettants monts et merveilles de repentance, et de n'y retourner jamais plus; mais leur serment ne dure guieres, car les vœux et les larmes de telles dames valent autant que jurements et reniements d'amoureux. Comme j'en ay veu et cogneu une dame à laquelle un grand prince, son souverain, fit cette escorne d'introduire et apposter un cordelier d'aller trouver son mary qui estoit en une province pour son service, comme de soy-mesme et venant de la Cour, l'advertir des amours folles de sa femme et du mauvais bruit qui couroit du