Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme
ay veu force desquelles on faisoit une question: Qui est la dame la plus putain, ou celle qui a un fort beau et honneste mary, et fait un amy laid, maussade et fort dissemblable à son mary; ou celle qui a un laid et fascheux mary, et fait un bel amy bien avenant, et ne laisse pourtant à bien aymer et caresser son mary, comme si c'estoit la beauté des hommes, ainsi que j'ay veu faire à beaucoup de femmes?
Certainement la commune voix veut que celle qui a un beau mary et le laisse pour aymer un amy laid, est bien une grande putain, ny plus ny moins qu'une personne est bien gourmande qui laisse une bonne viande pour en manger une meschante; aussi cette femme quittant une beauté pour aymer une laideur, il y a bien de l'apparence qu'elle le fait pour la seule paillardise, d'autant qu'il n'y a rien plus paillard ni plus propre pour satisfaire à la paillardise, qu'un homme laid, sentant mieux son bouc puant, ord et lascif que son homme; et volontiers, les beaux et honnestes hommes sont un peu plus délicats et moins habiles à rassasier une luxure excessive et effrénée, qu'un grand et gros ribaut barbu, ruraud et satyre.
D'autres disent que la femme qui ayme un bel amy et un laid mary, et les caresse tous les deux, est bien autant putain, pour ce qu'elle ne veut rien perdre de son ordinaire et pension.
Telles femmes ressemblent à ceux qui vont par pays, et mesmes en France, qui, estant arrivés le soir à la souppée du logis, n'oublient jamais de demander à l'hoste la mesure du mallier, et faut qu'il l'aye, quand il seroit saoul à plein jusqu'à la gorge.
Ces femmes de mesmes veulent toujours avoir à leur coucher, quoy qu'il soit, la mesure de leur mallier, comme j'en ay cogneu une qui avoit un mary très-bon embourreur de bas; encores la veulent-elles croistre et redoubler en quelque façon que ce soit, voulant que l'amy soit pour le jour qui esclaire sa beauté, et d'autant plus en fait venir l'envie à la dame, et s'en donne plus de plaisir et contentement par l'ayde de la belle lueur du jour; et monsieur laid pour la nuict, car, comme on dit que tous chats sont gris de nuict, et pourveu que cette dame rassasie ses appetits, elle ne songe point si son homme de mary est laid ou beau.
Car, comme je tiens de plusieurs, quand on est en ces extases de plaisir, l'homme ny la femme ne songent point à autre sujet ny imagination, si-non à celuy qu'ils traittent pour l'heure présente: encore que je tienne de bon lieu que plusieurs dames ont fait accroire à leurs amys que quand elles estoient-là avec leurs marys, elles addonnoient leurs pensées à leurs amys, et ne songeoient à leurs marys, afin d'y prendre plus de plaisir; et à des marys, ay-je ouy dire ainsi qu'estant avec leurs femmes songeoient à leurs maistresses, pour cette mesme occasion: mais ce sont abus.
Les philosophes naturels m'ont dit qu'il n'y a que le seul objet présent qui les domine alors, et nullement l'absent, et en alléguoient force raisons; mais je ne suis assez bon philosophe ny sçavant pour les déduire, et aussi qu'il y en a d'aucunes salles. Je veux observer la vérécondie, comme on dit. Mais pour parler de ces elections d'amours laides, j'en ay veu force en ma vie, dont je m'en suis estonné cent fois.
– Retournant une fois d'un voyage de quelque province estrangere, que ne nommeray point de peur qu'on connoisse le sujet duquel je veux parler, et discourant avec une grande dame de par le monde, parlant d'une autre grande dame et princesse que j'avois veue-là, elle me demanda comment elle faisoit l'amour. Je lui nommoy le personnage lequel elle tenoit pour son favory, qui n'estoit ny beau ni de bonne grace, et de fort basse qualité. Elle me fit response: «Vrayment elle se fait fort grand tort, et à l'amour un très-mauvais tour, puis qu'elle est si belle et si honneste comme on la tient.»
Cette dame avoit raison de me tenir ces propos, puis qu'elle n'y contrarioit point, et ne les dissimuloit par effet; car elle avoit un honneste amy et bien favory d'elle. Et quand tout est bien dit, une dame ne se fera jamais de reproche quand elle voudra aymer et faire election d'un bel object, ny de tort au mary non plus, quand ce ne seroit autre raison que pour l'amour de leur lignée; d'autant qu'il y a des marys qui sont si laids, si fats, si sots, si badauts, de si mauvaise grace, si poltrons, si coyons et de si peu de valeur, que leurs femmes venans à avoir des enfants d'eux, et les ressemblans, autant vaudroit n'en avoir point du tout, ainsy que j'ay cogneu plusieurs dames, lesquelles ayant eu des enfants de tels marys, ils ont esté tous tels que leurs peres; mais en ayant emprunté aucuns de leurs amys, ont surpassé leurs peres, freres et sœurs en toutes choses.
– Aucuns aussi des philosophes qui ont traitté de ce sujet ont tenu toujours que les enfants ainsi empruntez ou derobbez, ou faits à cachettes et à l'improviste, sont bien plus gallants et tiennent bien plus de la façon gentille dont on use à les faire prestement et habillement, que non pas ceux qui se font dans un lict lourdement, fadement, pesamment, à loisir, et quasi à demy endormis, ne songeans qu'à ce plaisir en forme brutalle.
Aussi ay-je ouy dire à ceux qui ont charge des harras des roys et grands seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez par leurs meres, que d'autres faits par la curiosité des maistres du haras et estallons donnez et appostez: ainsi est-il des personnes.
Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et honnestes et braves enfants! Que si leurs pères putatifs les eussent faits, ils fussent esté vrays veaux et vrayes bestes.
Voilà pourquoy les femmes sont bien advisées de s'ayder et accommoder de beaux et bons estallons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je bien veu qui avoient de beaux marys, qui s'aidoient de quelques amys laids et vilains estallons, qui procréoyent de hideuses et mauvaises lignées.
Voilà une des signalées commoditez et incommoditez de cocuage.
– J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et fort impertinent; mais, de quatre filles et deux garçons qu'elle eut, il n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy; et les autres venus de son chalant de mary (je dirois volontiers chat-huant, car il en avoit la mine), furent fort maussades.
Les dames en cela y doivent estre bien advisées et habiles, car coustumièrement les enfants ressemblent à leurs pères, et touchent fort à leur honneur quand ils ne leur ressemblent. Ainsi que j'ay veu par expérience beaucoup de dames avoir cette curiosité de faire dire et accroire à tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout à leur père et non à elles, encor qu'ils n'en tiennent rien; car c'est le plus grand plaisir qu'on leur sçauroit faire, d'autant qu'il y a apparence qu'elles ne l'ont emprunté d'autruy, encore qu'il soit le contraire.
– Je me suis trouvé une fois en une grande compagnie de Cour où l'on advisoit le pourtrait de deux filles d'une très-grande reyne. Chacun se mit à dire son advis à qui elles ressembloient, de sorte que tous et toutes dirent qu'elles tenoient du tout de la mère; mais moy, qui estois très-humble serviteur de la mère, je pris l'affirmative, et dis qu'elles tenoient du tout du père, et que si l'on eust cogneu et veu le père comme moy, l'on me condescendroit. Sur quoy la sœur de cette mère m'en remercia et m'en sçeut très-bon gré, et bien fort, d'autant qu'il y avoit aucunes personnes qui le disoient à dessein, pour ce qu'on la soupçonnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussière dans sa fleute, comme l'on dit; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance du père rabilla tout. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et qu'on verra enfants de son sang et de ses os, qu'il dit tousjours qu'ils tiennent du père du tout, bien que non.
Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mère un peu il n'y aura pas de mal, ainsi que dit un gentilhomme de la Cour, mon grand amy, parlant en compagnie de deux gentilshommes frères assez favoris du roy36, à qui ils ressembloient, au père ou à la mère; il respondit que celui qui estoit froid ressembloit au père, et l'autre qui estoit chaud ressembloit à la mere; par ce brocard le donnant bon à la mère, qui estoit chaudasse; et de fait ces deux enfants participoient de ces deux humeurs froide et chaude.
– Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils portent à leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de très-belles et honnestes femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de bonne maison, se sentants ainsi desdaignées, se revangeoient à leur en faire de mesme: et soudain après bel amour, et de là à l'effet; car, comme dit le refrain italien et napolitain, amor non si vince con altro che con sdegno
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A qui on demandoit.