Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme
la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand amour marital du monde, mesme quand on la prescheroit et proposeroit les commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre cœur du monde, elle le plante là tout à plat et fait un amy ailleurs pour la secourir en ses petites nécessitez, et élit son contentement.
– J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-sœurs; l'une avoit espousé un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'où elle estoit, et parloit à elle devant le monde comme à une sauvage, et la rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques à ce que son mary vint un peu défavorisé; elle, espiant et prenant l'occasion au poil et à propos, la luy ayant gardée bonne, luy rendit aussitost le desdain passé qu'il luy avoit donné, en le faisant gentil cocu: comme fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à elle, qui ayant esté mariée fort jeune et en tendre age, son mary n'en faisant cas comme d'une petite fillaude, ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant advancer sur l'age, et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté, le paya de mesme monnoye, et luy fit un présent de belles cornes pour l'intérest du passé.
– D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pris deux courtisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus grandes délices et amyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le recherchast avec tous les honneurs, amitiez et révérances conjugales qu'elle pouvoit; mais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny embrasser de bon cœur, et de cent nuicts il ne luy en départoit pas deux. Qu'eust-elle fait la pauvrette là-dessus, après tant d'indignitez, si-non de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre lict vaccant, et s'accoupler avec une autre moitié, et prendre ce qu'elle en vouloit?
Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je sçay, qui estoit de telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoit très-belle, et prenant plaisir ailleurs, lui dit franchement: «Prenez vos contentements ailleurs, je vous en donne congé. Faites de vostre costé ce que vous voudrez faire avec un autre: je vous laisse en vostre liberté; et ne vous donnez peine de mes amours, et laissez-moy faire ce qu'il me plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs: aussi ne m'empeschez les miens.» Ainsi, chacun quitte de-là, tous deux mirent la plume au vent; l'un alla à dextre et l'autre à senestre, sans se soucier l'un de l'autre; et voilà bonne vie.
J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, gouteux, que j'ay cogneu, qui dist à sa femme, qui estoit très-belle, et ne la pouvant contenter comme elle le desiroit, un jour: «Je sçay bien, m'amie, que mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard age. Pour ce, je vous puis être beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me puissiez être affectionnée femme, comme si je vous faisois les offices ordinaires d'un mary fort et robuste. Mais j'ai advisé de vous permettre et de vous donner totale liberté de faire l'amour, et d'emprunter quelque autre qui vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout, que vous en élisiés un qui soit discret, modeste, et qui ne vous escandalise point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple de beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens propres; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont vrays et légitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques forces assez vigoureuses, et les apparences de mon corps suffisantes pour faire paroir qu'il sont miens.»
Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir cette agréable, jolie petite remontrance, et licence de jouir de cette plaisante liberté, qu'elle pratiqua si bien, qu'en un rien elle peupla la maison de deux ou trois beaux petits enfants, où le mary, parce qu'il la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme furent très-contents, et eurent belle famille.
– Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion qu'ont aucunes femmes, c'est à sçavoir qu'il n'y a rien plus beau ny plus licite, ny plus recommandable que la charité, disant qu'elle ne s'estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont besoin d'estre secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder à esteindre le feu aux pauvres amants langoureux que l'on voit brusler d'un feu d'amour ardent: «Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre plus charitable, que de rendre la vie à un que l'on voit se mourir, et raffraîchir du tout celui que l'on voit se brusler?» Ainsi, comme dit ce brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Geneviève dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie à son serviteur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille, à plus forte raison telles charitez sont plus recommandées à l'endroit des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses déliées ny ouvertes encor comme les femmes, qui les ont, au moins aucunes, très-amples et propres pour en eslargir leurs charitez.
Sur-quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la Cour, laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habillée d'une robe de damas blanc, et avec toute la suitte de blanc, si bien que ce jour rien ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaigné une sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aagée et mieux parlante, et propre à intercéder pour luy; ainsi que tous trois regardoient un fort beau tableau où estoit peinte une Charité toute en candeur et voile blanc, icelle dit à sa compagne: «Vous portez aujourd'huy le mesme habit de cette Charité; mais, puisque la représentez en cela, il faut aussi la représenter en effet à l'endroit de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une miséricorde et une charité, en quelque façon qu'elle se face, pourveu que ce soit en bonne intention, pour secourir son prochain. Usez-en donc: et si vous avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une vaine superstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature nous a donné des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en espargne, comme une salle avare de son tresor, mais pour les distribuer honnorablement aux pauvres souffreteux et nécessiteux. Bien est-il vray que nostre chasteté est semblable à un tresor, lequel on doit espargner en choses basses: mais, pour choses hautes et grandes, il le faut despenser en largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire part de nostre chasteté, laquelle on doit eslargir aux personnes de mérite et vertu, et de souffrance, et la dénier à ceux qui sont viles, de nulle valeur, et de peu de besoin. Quant à nos marys, ce sont vrayement de belles idoles, pour ne donner qu'à eux seuls nos vœux et nos chandelles, et n'en départir point aux autres belles images! car c'est à Dieu seul à qui on doit un vœu unique, et non à d'autres.» Ce discours ne deplut point à la dame, et ne nuisit non plus nullement au serviteur, qui, par un peu de persévérance, s'en ressentit. Tels presches de charité pourtant sont dangereux pour les pauvres marys.
– J'ay ouy conter (je ne sçay s'il est vray, aussi ne veux-je affirmer) qu'au commencement que les Huguenots plantèrent leur religion, faisoient leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris, recherchés et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue Saint-Jacques à Paris, du temps du roy Henri second, où des grandes dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuidèrent estre surprises. Après que le ministre avoit fait son presche, sur la fin leur recommandoit la charité, et incontinent après on tuoit leurs chandelles, et là un chacun et chacune l'exerçoit envers son frère et sa sœur chrestienne, se la départans l'un à l'autre selon leur volonté et pouvoir; ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge et imposture. Toutefois je sçay bien qu'à Poitiers pour lors il y avoit une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle38, que j'ay veue, qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grace et façon, et des plus désirables qui fussent en la ville pour lors; et pour ce chacun lui jettoit les yeux et le cœur. Elle fut repassée au sortir du presche, par les mains de douze escoliers, l'un après l'autre, tant au lieu du consistoire que sous un auvent, encore ay-je ouy dire sous une potence du Marche Vieux, sans qu'elle en fist un seul bruit ny autre refus; mais, demandant seulement le mot du presche, les recevoit les uns après les autres courtoisement, comme ses vrays freres en Christ. Elle continua envers eux cette aumosne long temps, et jamais elle n'en voulut prester pour un double à un papiste: si en eut-ils néantmoins plusieurs papistes qui, empruntans de leurs compagnons huguenots le mot et le jargon de leur assemblée, en jouirent. D'autres alloient au presche exprès, et contrefaisoient les Réformez, pour l'apprendre, afin de joüir de cette belle femme. J'étois lors à Poitiers jeune garçon estudiant, que plusieurs bons compagnons,
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Cette femme ressemble assez à cette Godarde de Blois, huguenote, pendu pour adultère en 1563.