Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie. Berthier Louis-Alexandre
d'artillerie et des munitions qu'on était loin d'avoir. On parvenait bien, après des prodiges de valeur, à les enlever; mais on manquait de moyens suffisans pour s'y maintenir, et l'ennemi ne tardait pas à y rentrer.
Le 12, quatre pièces de dix-huit sont mises en batterie, et dirigées contre la tour de brèche, pour en continuer la démolition. Le soir, vingt grenadiers sont commandés pour se loger dans la tour; mais l'ennemi, profitant du boyau qu'il avait établi dans le fossé, fusille la brèche à revers. Les grenadiers reconnaissent l'impossibilité de descendre de la tour dans la place, et se voient forcés de se retirer.
Au moment où l'on montait à la tour de brèche, les assiégés avaient fait, avec un corps de troupes nombreux, une sortie à leur droite; ils sont chargés par deux compagnies de grenadiers avec tant de succès et d'impétuosité, qu'on parvient à les couper, et tout ce qui n'a pu rester sous la protection du feu de la place est culbuté dans la mer. La perte de l'ennemi dans cette journée est d'environ cinq cents hommes tués ou blessés.
Bonaparte ordonne de faire une seconde brèche sur la courtine de l'est, et une sape pour marcher sur les fossés, y attacher le mineur, et faire sauter la contrescarpe.
Jusqu'au 15, les ouvrages des assiégeans et des assiégés se poussent avec ardeur; mais l'armée manque de poudre, et Bonaparte est obligé d'ordonner de ralentir le feu; alors l'ennemi redouble d'audace; il travaille aux sapes avec une nouvelle activité; il pousse surtout avec ardeur celle de sa droite, dont le but était de couper la communication de la sape des assiégeans avec la nouvelle mine.
Bonaparte ordonne qu'à dix heures du soir des compagnies de grenadiers se jettent dans les ouvrages extérieurs de la place. L'ordre est exécuté; l'ennemi est surpris, égorgé; on s'empare de ses ouvrages, trois de ses canons sont encloués; mais le feu de la place, qui plonge sur ses ouvrages, ne permet pas d'y tenir assez long-temps pour les détruire entièrement; l'ennemi y rentre le 16, et travaille à les réparer. Il s'obstinait opiniâtrement à trouver les moyens de cheminer sur le boyau de la mine destinée à faire sauter la contrescarpe établie vis-à-vis la nouvelle brèche de la courtine. Le 17, dans la matinée, il fait une nouvelle tentative, qui ne réussit pas au gré de ses désirs, et il prend aussitôt le parti de couper sa contrescarpe le plus près possible de la mine.
On s'aperçoit à trois heures que l'ennemi débouche par une sape couverte sur le masque de la mine; on le canonne; le mal était fait; on parvient dans la nuit à le chasser de son logement; mais la mine était éventée, les châssis défaits et le puits comblé.
Cet événement était d'autant plus funeste, que la mine aurait pu jouer, à la rigueur, dans la nuit du 16 au 17, ainsi que Bonaparte l'avait ordonné; mais le général commandant l'artillerie avait insisté pour un délai de vingt-quatre heures, espérant voir enfin arriver dans la journée les poudres demandées au commandant de Ghazah. L'ancienne tour de brèche devenait alors le seul point où l'on pût continuer l'attaque; Bonaparte ordonne que, dans la nuit du 17 au 18, on s'empare de nouveau des places d'armes de l'ennemi, des boyaux qu'il a établis pour flanquer la brèche, et particulièrement de celui qui couronnait le glacis de la première mine, qu'on surprenne et qu'on égorge tout ce qui s'y trouvera, qu'on attaque les ouvrages et qu'on s'y loge.
Les éclaireurs de la 87e, et les grenadiers s'emparent de tous les ouvrages, excepté du boyau qui couronne le glacis de l'ancienne mine et prend la tour à revers; le feu terrible de l'ennemi rend inutiles tous les efforts de la valeur; on ne peut ni travailler au logement, ni le faire évacuer.
Le 18, on a connaissance d'environ trente voiles turques venant du port de Mœris, de l'île de Rhodes, et apportant aux assiégés des vivres, des munitions et un renfort de troupes considérable. Ce convoi était sous l'escorte d'une caravelle et de plusieurs corvettes armées.
Bonaparte veut prévenir l'arrivée de ces secours. Il ordonne de renouveler, dans la nuit du 18 au 19, la même attaque qui avait eu lieu la nuit précédente, à dix heures du soir; les deux places d'armes de l'ennemi, son boyau de glacis et la tour de brèche sont enlevés. On parvient à se loger dans la tour et dans le boyau. Les 18e et 32e demi-brigades comblent les boyaux et les places d'armes de cadavres ennemis; elles enlèvent plusieurs drapeaux et enclouent les pièces; la résistance opiniâtre des ennemis, le feu de ses batteries, rien n'arrête leur intrépidité. Jamais on ne déploya plus d'audace et de valeur. Les généraux Bon, Vial et Rampon étaient eux-mêmes à la tête de ces demi-brigades, et donnaient l'exemple du courage et du sang-froid. Le chef de la 18e, Boyer, militaire distingué, périt dans l'attaque; cent cinquante autres braves, dont dix-sept officiers, sont tués ou blessés; mais la perte des assiégés est considérable, et leurs cadavres servent d'épaulement aux assiégeans.
On apprend dans la nuit que les poudres venant de Ghazah arriveront le lendemain. Bonaparte ordonne qu'à la pointe du jour, on batte à la fois en brèche et la courtine à la droite de la tour de brèche, et cette tour elle-même. La courtine tombe et offre une brèche qui paraît praticable; Bonaparte s'y porte et ordonne l'assaut; la division Lannes marche précédée de ses éclaireurs et de ses grenadiers que conduit le général de brigade Rambaud; les autres divisions sont disposées pour les soutenir.
On s'élance à la brèche, on s'en empare; deux cents hommes sont déjà dans la place. D'après les ordres de Bonaparte, les troupes qui étaient dans la tour devaient, au moment où l'on s'emparerait de la brèche, attaquer quelques Turcs logés dans les débris d'une seconde tour, qui dominaient la droite de la brèche; les bataillons de tranchée devaient en outre se porter dans les places d'armes extérieures de l'ennemi, pour qu'il ne pût ni en sortir, ni fusiller la brèche en revers; ces ordres importans ne sont point exécutés avec assez d'ensemble.
L'ennemi, sorti de ses places d'armes extérieures, file dans le fossé de droite et de gauche, et parvient à établir une fusillade qui prend la brèche à revers. Les Turcs qui n'avaient point été délogés de la seconde tour qui domine la droite de la brèche, font une vive fusillade, ils lancent sur les assiégeans des matières enflammées; les troupes qui escaladaient hésitent et s'arrêtent; l'incertitude est dans leurs rangs; elles ne filent plus dans les rues avec la même impétuosité. Le feu des maisons, des barricades des rues, du palais de Djezzar, qui prenait de face et à revers ceux qui descendaient de la brèche, et ceux qui étaient déjà dans la ville, occasionne un mouvement rétrograde parmi les troupes qui sont entrées dans la place et ne s'y voient point assez soutenues. Elles abandonnent deux pièces de canon et deux mortiers dont elles s'étaient déjà emparées derrière les remparts.
Le mouvement se communique bientôt à toute la colonne. Le général Lannes parvient enfin à l'arrêter et à reporter sa colonne en avant. Les guides à pied, qui étaient en réserve, s'élancent à la brèche. On se bat corps à corps avec un acharnement réciproque. Mais l'ennemi avait repris le haut de la brèche, l'effet de la première impulsion ne subsistait plus, le général Lannes était grièvement blessé; le général Rambaud avait été tué dans la place. L'ennemi avait eu le temps de se rallier. Le débarquement s'était opéré. Non seulement on avait à combattre toutes les troupes qui se trouvaient sur la flotte, mais tous les matelots turcs étaient placés à la brèche pour la défendre: on se battait depuis le point du jour, et il était nuit. Tout l'avantage était désormais du côté de l'ennemi; la retraite devenait nécessaire, et l'ordre en fut donné.
En arrivant au camp, on apprend par le contre-amiral Gantheaume, que le chef de division Pérée, en croisant devant Jaffa, avait pris deux petits bâtimens qui avaient été séparés de la flotte turque, et sur lesquels se trouvaient six pièces d'artillerie de campagne, une quantité considérable de harnais et de provisions de bouche, cent cinquante mille francs en numéraire, quatre cents hommes de troupes, et l'intendant de la flottille turque. On avait trouvé sur lui l'état des forces embarquées sur la flotte, celui des munitions et des vivres; et il résultait de ses déclarations et de ses réponses, que la flotte faisait partie d'une expédition projetée contre Alexandrie, et combinée avec une autre expédition que Djezzar devait tenter par terre; mais à la nouvelle de l'attaque inopinée de Saint-Jean-d'Acre, on avait détaché de cette expédition tout ce dont on pouvait déjà disposer pour l'envoyer au secours de cette place.
Bonaparte avait