Les musiciens et la musique. Hallays André
cependant des morceaux entiers et de longue haleine de la plus grande beauté; entre autres, le Lacrymosa.
Cherubini a écrit quelques quatuors d'instruments à cordes d'un bon style et trop peu connus.
Son dernier opéra Ali-Baba a été éloigné de la scène de l'Opéra, après dix ou douze représentations, par une de ces raisons financières qui ont fait mettre à l'écart tant d'autres beaux ouvrages depuis que l'Opéra est devenu une entreprise particulière, une exploitation industrielle.
Rien de plus entier, de plus inaltérable que les convictions de Cherubini; en matière harmonique surtout, il n'admettait pas la possibilité d'une modification ou seulement d'une extension des règles établies. Il eut souvent, à ce sujet, des discussions très vives avec le savant professeur Reicha, avec Choron; et, un jour qu'un théoricien systématique, moins connu que ces deux maîtres, et fort entier aussi dans l'étrange doctrine de théologie musicale dont il est à la fois le disciple et le fondateur, s'obstinait à argumenter contre lui, Cherubini, bouillant de colère, ne pouvant parvenir à mettre à la porte son entêté disputeur, s'écria: «Sortez de chez moi! sortez, vous dis-je, ou je me jette par la fenêtre! et l'on dira que c'est vous qui m'avez assassiné!»
La tournure de son esprit était éminemment caustique; sa conversation abondait en traits mordants, en réparties d'un laconisme piquant et incisif.
Un jour, passant dans la cour des Menus-Plaisirs à l'heure d'un concert donné par un jeune compositeur de ma connaissance, quelqu'un voulut l'entraîner dans la salle pour entendre la symphonie nouvelle qui servait alors de texte aux controverses musicales les plus animées: «Laissez-moi, dit Cherubini, je n'ai pas besoin de savoir comment il ne faut pas faire!» Une autre fois, à une répétition de la grande messe solennelle de Beethoven, m'étant prononcé contre la fugue en ré majeur qu'elle contient46, avec une franchise que mon admiration pour l'auteur pouvait, ce me semble, excuser, un pianiste, homme de mérite sans doute, surtout à cette époque, et qui a composé beaucoup de musique, prit fait et cause pour le fracas fugué et anti-religieux de Beethoven. Cherubini entre au foyer au milieu de la discussion; malgré mes signes pour l'engager au silence, mon adversaire la continue de manière à attirer au contraire l'attention de Cherubini qui se retournant vivement: «Qu'est-ce que c'est? – C'est monsieur, répond perfidement le virtuose, qui n'aime pas la fugue. – Parce que la fugue ne l'aime pas.»
Cherubini était impitoyable même pour ses élèves, quand une saillie se présentait à son esprit. L'un d'eux allait donner un nouvel opéra, Cherubini assistait, dans une loge, à la dernière répétition. Après le second acte, le jeune compositeur, plein d'anxiété, entre dans la loge et attend inutilement quelques-unes de ces bonnes paroles dont on a tant besoin en pareil cas: «Eh bien, cher maître, dit-il enfin, vous ne me dites rien! – Que diable veux-tu que je te dise? réplique en riant Cherubini; je t'écoute depuis deux heures et tu ne me dis rien non plus!» Le mot était d'autant plus dur, qu'il manquait de justesse et de justice; l'ouvrage de l'élève eut un grand succès.
AUBER
LES DIAMANTS DE LA COURONNE
Il s'agit de diamants faux qu'on veut faire briller comme s'ils sortaient des mines de Golconde. Voici comment.
Nous sommes en Estramadure, dans un souterrain habité par une bande de malfaiteurs qui, à la fin de la pièce, se trouvent être les bienfaiteurs du Portugal. Ces braves fabriquent de la fausse monnaie, de faux billets, de faux diamants, et généralement tout ce qui concerne leur état. Les cavités de la montagne retentissent des coups de leurs balanciers; on travaille sans relâche. Ce qui prouve bien que l'oisiveté n'engendre pas tous les vices. Entre un jeune seigneur, don Henrique, neveu du ministre de la Justice espagnole. Il pleut à verse, il tonne; ses chevaux épouvantés ont pris le mors aux dents; il n'a eu que le temps de s'élancer de sa voiture au moment où, moderne Hippolyte, il allait être par ses furieux coursiers traîné de roc en roc, au fond d'un précipice. Il voit un ermitage, une espèce de couvent, et vient y demander un abri. Bien étonné de n'y trouver personne, don Henrique s'amuse, pour tuer le temps, à chanter une ballade sur les agréments des voyages, quand trois ou quatre gaillards, fort peu semblables par leurs costumes à de pieux anachorètes, s'avancent traînant la valise de l'étranger. Ils l'ouvrent sans façon et s'emparent de tout ce qu'elle contient. L'heure du repas des ouvriers a sonné; ils sortent en foule des sombres ateliers en chantant à tue-tête, non pas, comme dans Guillaume Tell, le travail, l'hymen et l'amour: mais le travail et… quelque autre chose. Rien ne dispose à la joie comme une vie active, réglée et une conscience pure. La pureté de conscience est surtout de rigueur.
A force de parcourir, dans leurs joyeux ébats, les coins et recoins du faux monastère, les faux monnayeurs finissent par apercevoir notre voyageur, qui depuis un quart d'heure se cachait de son mieux derrière une enclume. Cinquante couteaux et autant de marteaux se lèvent à l'instant sur lui, on va le mettre en pièces, le monnayer; mais une charmante jeune fille, en robe tricolore, béret en tête, et poignard à la ceinture (à la bonne heure! je ne connais rien d'ignoble comme cet usage des honnêtes femmes espagnoles de porter le poignard à la jarretière; voyez un peu le gracieux mouvement que cela les oblige de faire, quand le moment est venu de poignarder leur amant!) une délicieuse brigande, donc, la Vénus de ces cyclopes, s'élance au devant d'eux, et leur ordonne de respecter l'étranger, qu'elle prend sous sa protection. Bien plus, elle l'invite à déjeuner, et exige du chef des bandits, un gros monsieur rébarbatif, nommé Rebolledo, qu'il lui serve le chocolat. La troupe soumise, religieuse et frugale, se retire, fait le signe de la croix, et va se restaurer avec des cigaretti et quelques verres d'eau fraîche. Ce repas économique n'est pas terminé, qu'un émissaire accourt, hors d'haleine, et pâle comme s'il n'avait ni bu ni fumé depuis huit jours.
«Des soldats gravissent la montagne, gardent toutes les avenues, ils vont entourer l'ermitage; il n'y a plus moyen de leur échapper, nous sommes perdus. – Bah! répond Catarina (c'est le nom de la capitaine brigande), bah! dit-elle, en versant à don Henrique une seconde tasse de chocolat, ils ne nous tiennent pas; finissez tranquillement votre déjeuner.» Mais nos hommes n'ont plus d'appétit; la perspective des bûchers de l'inquisition l'a fait disparaître instantanément; pourtant la sécurité de Catarina est motivée; elle a son plan, la jolie scélérate. Elle vous encapuchonne tous ses industriels, les convertit en moines, les range sur deux lignes en procession, place au centre le trésor de la bande, un immense écrin qui représente en faux diamants des centaines de millions, l'enferme dans un coffre à reliques; ainsi enchâssé, le fait porter pieusement par quatre faux frères, et, armée d'un sauf-conduit qu'elle a trouvé dans la valise de don Henrique, se présente avec sa troupe devant les soldats, qui se mettent à genoux pour les laisser passer. Don Henrique, pour prix de la vie qu'on lui a laissée, s'est engagé sur sa parole à ne pas parler de son aventure avant un an.
Nous le retrouvons dans un château près de Madrid, chez son oncle le ministre, et sur le point d'épouser sa cousine Diana, qu'il aimait un peu autrefois, mais qu'il n'aime plus du tout depuis qu'il a eu l'honneur de déjeuner avec Catarina, la capa di banda. En héros de roman bien appris, pouvait-il se dispenser d'avoir une passion romantique pour la gracieuse fée qui lui sauva la vie! De son côté, Diana nourrit en secret le classique amour qu'une héritière éprouve toujours pour un autre que son futur époux. Et cet autre, c'est don Sébastien, le commandant de la troupe chargée d'arrêter les faux monnayeurs, et qui s'est agenouillée si dévotement sur leur passage. De là explication entre le cousin et la cousine, aveux mutuels, bonheur des jeunes amants en découvrant la flamme dont ils ne brûlent pas l'un pour l'autre. Diana est trop heureuse de rendre sa parole à son cousin, mais à la condition qu'au moment du contrat, c'est lui qui refusera de signer et amènera ainsi la rupture. Déjà les salons ministériels s'illuminent; une brillante assemblée vient assister à la noce de Diana; il y a bal et concert. On apporte un faux piano blanc en nougat (la couleur locale eût exigé, je crois, qu'il fût en chocolat), sur lequel un faux pianiste fait semblant de plaquer de faux accords pour accompagner la fiancée qui chante réellement juste de temps en temps. Elle commence un duo avec son cousin, la complainte des bandits
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Voir l'introduction, p. XIX.