Les Forestiers du Michigan. Jules Berlioz d'Auriac

Les Forestiers du Michigan - Jules Berlioz d'Auriac


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chute m'avait très-bien réveillé, je bondis comme un ressort, et je saisis dans le foyer un tison demi-mort pour m'en faire une arme. Je le rallumai en le faisant tournoyer au-dessus de ma tête, et j'attendis de pied ferme mon noir ennemi.

      «L'animal ne bougea pas et ne souffla mot. Après avoir attendu une ou deux minutes je m'approchai; il était mort, raide, froid comme une pierre. Je pris mon fusil avec une satisfaction facile à concevoir, je renouvelai ma provision de bois, je rallumai mon feu, et je pus enfin examiner l'animal à mon aise. Il avait été touché au cœur; positivement, il était blessé mortellement; je ne comprends pas comment il avait pu courir aussi longtemps. Il me semble…»

      Le narrateur s'interrompit en voyant Basil lui faire un signe de la main: il s'assit aussitôt et se tut, en prêtant l'oreille. Durant quelques secondes tous deux écoutèrent, retenant même leur souffle pour mieux entendre.

      – Un son a frappé mes oreilles pendant que vous parliez; dit Basil en reprenant avec soin sa position.

      – Bah! c'est le vent, et rien de plus.

      – Ç'a été ma première pensée, mais le son s'est répété; je ne pouvais m'y tromper.

      – Eh bien! qu'est-ce que c'était?

      – Quelque chose comme un cri de détresse. Il venait des profondeurs du bois, à environ un quart de mille.

      Johnson regarda son compagnon d'un air significatif.

      – Savez-vous quel animal fait entendre cette voix, Basil? Ne l'avez-vous jamais remarqué…?

      – Je sais ce que vous voulez dire. Le cri de la panthère ne m'est pas inconnu, je ne m'y trompe pas; c'est un rauquement furibond: mais cette fois il n'y a rien de semblable.

      – Mais, l'éloignement peut l'avoir modifié en l'affaiblissant.

      Veghte secoua la tête d'un air de supériorité dédaigneuse.

      – Pensez-vous que j'aie vécu trente ans dans les bois, pour commettre une pareille erreur? Ah! le voilà encore…! interrompit brusquement Basil en se levant pour sonder du regard les ténèbres environnantes.

      Il était impossible de rien voir dans l'infernale obscurité de cette sombre nuit: Basil se retourna vers Johnson qui, demi-couché, fumait imperturbablement sa pipe.

      – L'avez-vous entendu, cette fois?..

      – Oui… oui… quelque chose; un murmure; mais je n'oserais dire que ce n'est pas le vent. Justement! entendez-le hurler dans les cimes des arbres.

      Veghte lui lança un coup d'œil presque irrité: il ne pouvait lui pardonner sa froide apathie.

      – Je vous dis, Horace Johnson, qu'il y a un être vivant près de nous dans le bois et cet être, quel qu'il soit, est en souffrance.

      – Pshaw!.. répliqua l'autre en riant: vous êtes fou, ami Basil! qui, diable! peut avoir à faire dehors, par une semblable nuit?

      – Eh! qu'avons-nous à faire, nous?..

      – Ah! nous, c'est autre chose: nous sommes dans les bois parce que ça nous convient; nous suivons notre idée.

      – Enfin! à vous entendre, on croirait que nous sommes les deux seuls personnages, au sud du lac Érié, qui ayons quelque chose à faire. Je ne conçois pas votre insouciance! dit Basil d'un ton de reproche.

      Johnson pinça dédaigneusement les lèvres.

      – Bon! j'admets qu'il y a par ici une âme en peine. Qu'est-ce que ça nous fait?

      – Ce que ça nous fait! Qu'est-ce que ça me faisait de vous donner asile auprès de mon feu?

      – C'est tout différent! Si quelqu'un vient nous demander l'hospitalité, nous le recevrons, nous lui donnerons part au foyer, part à la pipe; mais si ce quelqu'un est à un quart de mille, en quoi ça peut-il nous concerner?

      – Nous devons lui porter secours.

      – Vous le pouvez si ça vous convient: moi, non! c'est réglé!

      – Si, pourtant, il y avait par là quelque pauvre malheureux, massacré par les Peaux-Rouges, et laissé mourant sous la neige?..

      – Il subira son sort, si ses forces ne peuvent le soutenir jusqu'au jour! Basil, avez-vous perdu le sens commun? Voyez quelle furie nouvelle a la neige! Et vous voudriez quitter ce bon feu alors que vous n'y verriez pas à mettre un pied devant l'autre! Quelle obligation trouvez-vous donc à courir le risque certain de vous perdre pour secourir je ne sais qui, sans savoir même si vous pourrez lui être utile?

      – Je ne regarde pas tout ça; je ne me perds pas si facilement. J'ai trop couru les bois pour ne point savoir retrouver le campement à mon retour.

      – Enfin! vous n'y songez pas; au milieu d'une telle nuit!

      – Aussi bien celle-ci qu'une autre.

      – Ah! mon Dieu! neige, tempête, nuit partout! sous vos pieds! sur votre tête!

      – Vous tirerez quelques coups de fusil pour m'aider à m'orienter.

      – Oui, je peux le faire… répliqua Johnson après quelques instants de méditation.

      – Bien! n'y manquez point: me voilà parti. Adieu.

      Au même instant on entendit dans le lointain une clameur tremblante et plaintive, lamentable comme un cri d'agonie.

      – D'où ça arrive-t-il? demanda Veghte.

      – De là-bas: répondit Johnson en indiquant une direction précisément opposée à celle que Basil aurait désignée.

      – Impossible! observa ce dernier étonné: je l'ai entendu par ici.

      – Vous vous êtes trompé, fit Johnson avec une assurance qui fit hésiter le forestier.

      Il s'arrêta un moment, indécis. Au bout de quelques secondes le même cri étrange se fit entendre.

      – C'était bien la direction que je pensais, dit Veghte: je parierais que c'est la voix d'une femme. Adieu! n'oubliez pas de tirer quelques coups de feu pour me remettre dans la bonne route.

      Les dernières paroles du brave forestier se perdirent dans l'éloignement: il marchait droit au but de sa courageuse expédition.

      CHAPITRE III

      DÉCOUVERTE ÉTRANGE

      Il fallait vraiment ton courage et bon cœur à l'intrépide chasseur, pour affronter cette noire profondeur du désert, cette sinistre tempête, cette neige mortelle amoncelée en menaçantes avalanches.

      Quand il eut fait une centaine de pas, il se retourna pour voir s'il apercevrait son feu. Plus rien n'apparaissait.

      – Un beau noir! un joli sombre! murmura-t-il en reprenant sa marche: ma foi! il tombe de la neige de façon à épuiser toutes les provisions d'en haut. Brrrrt! ce n'est pas un badinage de se promener à cette heure!

      Au même instant, en dépit de toute sa précaution, il se cogna rudement contre un arbre; en se détournant pour l'éviter, il en heurta un autre avec la même violence.

      – Il n'y a rien d'agréable à se renfoncer ainsi le nez contre les arbres, se dit-il avec un sang-froid que rien ne pouvait déconcerter.

      Et il poussa en avant. Soudain le cri se fit entendre, mais si près de lui, que, malgré toute son assurance, il ne put réprimer un frisson et un ressaut en arrière. Il resta immobile, écoutant toujours.

      – C'est la voix d'une femme, pensa-t-il; aussi sûr que mon nom est Basil Veghte; c'est un peu fort! que fait-elle là?

      Bien des gens auraient poussé un cri d'appel en forme de signal; assurément il eût été entendu. Mais le forestier était trop avisé pour commettre une telle imprudence. Son oreille exercée avait reconnu la voix d'une squaw indienne.

      Mille pensées inquiètes se pressèrent tumultueusement dans son esprit. Toutes ces aventures ne cachaient-elles pas quelque artifice perfide


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