Les Forestiers du Michigan. Jules Berlioz d'Auriac

Les Forestiers du Michigan - Jules Berlioz d'Auriac


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reposa donc avec un soupir de satisfaction orgueilleuse; jamais écolier lauréat, jamais mathématicien venant à bout d'un problème ardu, ne se sentirent plus triomphants et plus joyeux que l'innocent forestier quand il fut arrivé à cette ingénieuse solution.

      Il se sourit à lui-même et jeta un regard sur la jeune Indienne: celle-ci, toujours muette et immobile, tenait ses yeux noirs dirigés sur lui avec une fixité farouche dont l'étrange expression le mit mal à l'aise.

      – Parlez-vous anglais? lui demanda-t-il. S'il en était ainsi, je serais bien aise de vous adresser quelques questions. Hein, parlez-vous?..

      Un coup d'œil plus fixe encore s'il était possible, fut son unique réponse.

      – Allons! parlez-vous?.. ou bien je vous tire les oreilles! fit-il en allongeant le bras vers elle.

      L'excellent homme se serait brûlé les deux mains plutôt que de toucher à un cheveu de la jeune fille. Mais cette dernière, au geste qu'il fit, répondit par un regard de reproche et d'épouvante qui lui alla jusqu'au cœur. C'était le coup d'œil suprême et lamentable de la biche immolée par le chasseur.

      – Dieu me bénisse! s'écria-t-il; vous avez pu croire que je voudrais faire du mal à une pauvre infortunée créature comme vous! N'avez-vous pas compris que je plaisantais?

      La jeune fille fit un brusque mouvement pour repousser le forestier; une expression d'embarras courroucé se peignit sur son visage, comme pour réprimander Basil de cette familiarité irréfléchie.

      Il se trouva tout interdit, la replaça auprès du feu, et impressionné par la fixité étrange de ces yeux plus noirs, plus sombres que la nuit, il se prit à souhaiter d'être à cent lieues de là, au fond de quelque épaisse forêt, bien loin de cette fille extraordinaire.

      Tout à coup elle lui dit avec une énergie soudaine qui le fit tressaillir;

      – Allez-vous-en!

      La surprise de Veghte fut telle qu'il ne put répondre tout d'abord.

      – M'en aller! répliqua-t-il enfin: et pourquoi?.. vous voulez donc que je vous abandonne?

      – Allez-vous-en, répéta-t-elle avec une énergie croissante.

      – Oui, n'est-ce pas? pour vous laisser geler à mort?

      – Allez-vous-en!

      – Eh, non! que je sois pendu si je fais un pas!

      Un sentiment de méfiance s'éleva de nouveau dans l'esprit de Basil; il trouvait une expression offensante et suspecte dans les allures de cette fille, à laquelle il venait de sauver la vie. Tous ses soupçons lui revinrent, il enveloppa sa protégée d'un regard rude et investigateur destiné à la fouiller d'outre en outre.

      Mais celle-ci, s'apercevant que les recommandations étaient inutiles, se renferma dans son silence, et lui lança un coup d'œil presque suppliant et si expressif que Basil en fut touché; ses méfiances s'évanouirent, il comprit qu'elle cherchait à lui faire éviter un danger sérieux.

      Néanmoins ses aventures de la nuit l'avaient prédisposé à l'imprévu tout extraordinaire qu'il pût être; et, en résumé, Veghte ne connaissait pas la peur.

      Il se pencha donc très près de l'Indienne et lui demanda à l'oreille:

      – Parlez, mon enfant, dites sans crainte vos pensées. Il y a par ici des Peaux-Rouges sur ma piste. Quoique vous soyez de leur race, vous ne pouvez désirer ma perte, moi qui viens de vous sauver?..

      – Allez-vous-en! allez-vous-en! reprit-elle en le regardant dans les yeux.

      Mais, soit ignorance, soit obstination, elle ne dit pas d'autre parole.

      – Vous laisserai-je donc là?

      Apparemment elle ne comprit pas cette question: sans quoi elle y aurait répondu.

      – Eh! bien! je pars, mais je vous emmène! dit-il soudain, en s'enfonçant avec elle dans les ténèbres.

      Le feu, pendant ce temps, s'était presque éteint, et les derniers tisons ne jetaient plus qu'une fumée rougeâtre: tout disparut au milieu des sombres obscurités de la tempête.

      Quand il vit que tout était noir autour de lui, Basil éprouva une certaine satisfaction: quels que fussent ses ennemis, Blancs ou Rouges, il se trouvait dans des conditions égales vis-à-vis d'eux; la nuit, l'ouragan, le désert étaient pour lui comme pour d'autres.

      Tout en cheminant à pas précipités, il repassait et commentait dans son esprit les événements inouïs dont il était le héros. On peut croire que la question était au moins aussi grave et perplexe que son précédent problème sur les femmes. Mais ici, Basil était sur son terrain, il examina les choses sur toutes leurs faces avec une grande facilité d'esprit. – Une jeune Indienne se mourant de froid, au cœur du grand désert américain, par cette nuit d'horrible tempête; – cette même Indienne cherchant obstinément à éloigner son sauveur!

      Veghte eut beau tourner et retourner cette énigme complexe; il n'y put rien comprendre.

      Une préoccupation détourna l'honnête forestier de ses spéculations métaphysiques; il s'aperçut qu'il marchait parfaitement à l'aventure. Toute sa perspicacité sauvage lui devenait inutile au milieu des ténèbres palpables qui l'entouraient. A cette observation désobligeante s'en joignait une autre: Johnson n'avait nullement fait retentir sa carabine, ainsi qu'il avait été convenu entre eux. Et pourtant, l'excursion de Basil avait duré assez longtemps, pour que son mystérieux compagnon s'inquiétât de lui, et songeât à donner quelque signal.

      A la fin, se sentant mal à l'aise, il prit le parti de faire feu, lui-même, à trois reprises différentes.

      Rien ne lui répondit.

      Cependant, comme il avait marché avec une précaution extrême, il se croyait certain de n'être pas loin de son premier campement.

      – Ce coquin là doit pourtant m'avoir entendu! grommela-t-il; c'est un singulier compagnon, celui-là! et sa conduite me paraît louche. Je ne me fie que tout juste à son amitié, et si nous devons faire route ensemble, il faudra que je le fasse marcher. Impossible qu'il se soit endormi comme une brute!

      Comme il parlait encore, une lueur fugitive, ou plutôt une ombre de lueur frappa ses yeux vigilants.

      C'était son bienheureux foyer, dont il ne s'était guère détourné, dans sa course à tâtons.

      Quelques secondes lui suffirent pour y arriver; il s'installa en jetant à Johnson un regard de travers.

      CHAPITRE IV

      PROBLÈME INSOLUBLE

      – Pourquoi n'avez-vous pas tiré des coups de fusil, comme je vous l'avais recommandé? demanda Veghte, assez aigrement, à Johnson qui s'était mis debout pour le recevoir.

      – Au nom du ciel qu'amenez-vous là? riposta ce dernier.

      – Eh! une créature qui s'en allait mourant de froid si je ne lui avais porté secours, malgré vos bons conseils.

      – Tiens! tiens! une femme! s'écria Johnson au comble de l'étonnement: que je sois pendu si ce n'en est pas une!.. et vivante, encore!

      – Eh bien! oui, vivante! qu'y a-t-il là d'extraordinaire?

      A ce moment, la jeune fille se débattit si fort dans ses couvertures qu'elle les fit tomber et bondit comme une biche effarouchée.

      – Là! là! doucement! fit Basil; reprenez vos couvertures et ne faites pas de sottises! Enfant! ou bien!.. mais non; je vous ai effrayée une fois déjà; je n'y veux plus revenir. Allons! voyons! soyez sage! remettez votre manteau, sans quoi vous mourrez de froid. – Vous! ajouta-t-il en s'adressant à Horace; parlez-moi un peu ici: n'avez-vous pas entendu mes coups de feu?

      – Il m'a bien semblé ouïr quelque chose; mais je n'ai pas trop su ce que c'était.

      – Pas-trop-su-ce-que-c'é-tait!.. reprit Basil avec humeur, et contrefaisant la parole nonchalante de son interlocuteur. Vous allez peut-être me faire croire que


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