La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac


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ne la lis-tu pas?..

      – Je sais ce qu'on me veut.

      La jeune femme s'assit. Elle n'eut plus la fièvre, elle ne pleura plus, mais elle eut une de ces rages qui, chez ces faibles créatures, enfantent les miracles du crime, qui leur mettent l'arsenic à la main, ou pour elle ou pour leurs rivales. On amena le petit Calyste, elle le prit pour le dodiner. L'enfant, nouvellement sevré, chercha le sein à travers la robe.

      – Il se souvient, lui!.. dit-elle tout bas.

      Calyste alla lire sa lettre chez lui. Quand il ne fut plus là, la pauvre jeune femme fondit en larmes, mais comme les femmes pleurent quand elles sont seules.

      La douleur, de même que le plaisir, a son initiation. La première crise, comme celle à laquelle Sabine avait failli succomber, ne revient pas plus que ne reviennent les prémices en toute chose. C'est le premier coin de la question du cœur, les autres sont attendus, le brisement des nerfs est connu, le capital de nos forces a fait son versement pour une énergique résistance. Aussi Sabine, sûre de la trahison, passa-t-elle trois heures avec son fils dans les bras, au coin de son feu, de manière à s'étonner, quand Gasselin, devenu valet de chambre, vint dire: – Madame est servie.

      – Avertissez monsieur.

      – Monsieur ne dîne pas ici, madame la baronne.

      Sait-on tout ce qu'il y a de tortures pour une jeune femme de vingt-trois ans, dans le supplice de se trouver seule au milieu de l'immense salle à manger d'un hôtel antique, servie par de silencieux domestiques, en de pareilles circonstances?

      – Attelez, dit-elle tout à coup, je vais aux Italiens.

      Elle fit une toilette splendide, elle voulut se montrer seule et souriant comme une femme heureuse. Au milieu des remords causés par l'apostille mise sur la lettre, elle avait résolu de vaincre, de ramener Calyste par une excessive douleur, par les vertus de l'épouse, par une tendresse d'agneau pascal. Elle voulut mentir à tout Paris. Elle aimait, elle aimait comme aiment les courtisanes et les anges, avec orgueil, avec humilité. Mais on donnait Otello! Quand Rubini chanta: Il mio cor si divide, elle se sauva. La musique est souvent plus puissante que le poëte et que l'acteur, les deux plus formidables natures réunies. Savinien de Portenduère accompagna Sabine jusqu'au péristyle et la mit en voiture, sans pouvoir s'expliquer cette fuite précipitée.

      Madame du Guénic entra dès lors dans une période de souffrances particulière à l'aristocratie. Envieux, pauvres, souffrants, quand vous voyez aux bras des femmes ces serpents d'or à têtes de diamant, ces colliers, ces agrafes, dites-vous que ces vipères mordent, que ces colliers ont des pointes venimeuses, que ces liens si légers entrent au vif dans ces chairs délicates. Tout ce luxe se paie. Dans la situation de Sabine les femmes maudissent les plaisirs de la richesse, elles n'aperçoivent plus les dorures de leurs salons, la soie des divans est de l'étoupe, les fleurs exotiques sont des orties, les parfums puent, les miracles de la cuisine grattent le gosier comme du pain d'orge, et la vie prend l'amertume de la mer Morte.

      Deux ou trois exemples peindront cette réaction d'un salon ou d'une femme sur un bonheur, de manière que toutes celles qui l'ont subie y retrouvent leurs impressions de ménage.

      Prévenue de cette affreuse rivalité, Sabine étudia son mari quand il sortait pour deviner l'avenir de la journée. Et avec quelle fureur contenue une femme ne se jette-t-elle pas sur les pointes rouges de ces supplices de sauvage?.. Quelle joie délirante s'il n'allait pas rue de Chartres! Calyste rentrait-il? l'observation du front, de la coiffure, des yeux, de la physionomie et du maintien prêtait un horrible intérêt à des riens, à des remarques poursuivies jusque dans les profondeurs de la toilette, et qui font alors perdre à une femme sa noblesse et sa dignité. Ces funestes investigations, gardées au fond du cœur, s'y aigrissaient et y corrompaient les racines délicates d'où s'épanouissent les fleurs bleues de la sainte confiance, les étoiles d'or de l'amour unique.

      Un jour, Calyste regarda tout chez lui de mauvaise humeur, il y restait! Sabine se fit chatte et humble, gaie et spirituelle.

      – Tu me boudes, Calyste, je ne suis donc pas une bonne femme?.. Qu'y a-t-il ici qui te déplaise? demanda-t-elle.

      – Tous ces appartements sont froids et nus, dit-il, vous ne vous entendez pas à ces choses-là.

      – Que manque-t-il?

      – Des fleurs.

      – Bien, se dit en elle-même Sabine, il paraît que madame de Rochefide aime les fleurs.

      Deux jours après, les appartements avaient changé de face à l'hôtel du Guénic, personne à Paris ne pouvait se flatter d'avoir de plus belles fleurs que celles qui les ornaient.

      Quelque temps après, Calyste, un soir après dîner, se plaignit du froid. Il se tordait sur sa causeuse en regardant d'où venait l'air, en cherchant quelque chose autour de lui. Sabine fut pendant un certain temps à deviner ce que signifiait cette nouvelle fantaisie, elle dont l'hôtel avait un calorifère qui chauffait les escaliers, les antichambres et les couloirs. Enfin, après trois jours de méditations, elle trouva que sa rivale devait être entourée d'un paravent pour obtenir le demi-jour si favorable à la décadence de son visage, et elle eut un paravent, mais en glaces et d'une richesse israélite.

      – D'où soufflera l'orage maintenant? se disait-elle.

      Elle n'était pas au bout des critiques indirectes de la maîtresse. Calyste mangea chez lui d'une façon à rendre Sabine folle, il rendait au domestique ses assiettes après y avoir chipoté deux ou trois bouchées.

      – Ce n'est donc pas bon? demanda Sabine, au désespoir de voir ainsi perdus tous les soins auxquels elle descendait en conférant avec son cuisinier.

      – Je ne dis pas cela, mon ange, répondit Calyste sans se fâcher, je n'ai pas faim! voilà tout.

      Une femme dévorée d'une passion légitime, et qui lutte ainsi, se livre à une sorte de rage pour l'emporter sur sa rivale, et dépasse souvent le but, jusque dans les régions secrètes du mariage. Ce combat si cruel, ardent, incessant dans les choses apercevables et pour ainsi dire extérieures du ménage, se poursuivait tout aussi acharné dans les choses du cœur. Sabine étudiait ses poses, sa toilette, elle se surveillait dans les infiniment petits de l'amour.

      L'affaire de la cuisine dura près d'un mois. Sabine, secourue par Mariotte et Gasselin, inventa des ruses de vaudeville pour savoir quels étaient les plats que madame de Rochefide servait à Calyste. Gasselin remplaça le cocher de Calyste, tombé malade par ordre, Gasselin put alors camarader avec la cuisinière de Béatrix, et Sabine finit par donner à Calyste la même chère et meilleure, mais elle lui vit faire de nouvelles façons.

      – Que manque-t-il donc?.. demanda-t-elle.

      – Rien, répondit-il en cherchant sur la table un objet qui ne s'y trouvait pas.

      – Ah! s'écria Sabine le lendemain en s'éveillant, Calyste voulait de ces hannetons pilés, de ces ingrédients anglais qui se servent dans des pharmacies en forme d'huiliers; madame de Rochefide l'accoutume à toutes sortes de piments!

      Elle acheta l'huilier anglais et ses flacons ardents; mais elle ne pouvait pas poursuivre de telles découvertes jusque dans toutes les préparations conjugales.

      Cette période dura pendant quelques mois, l'on ne s'en étonnera pas si l'on songe aux attraits que présente une lutte. C'est la vie, elle est préférable avec ses blessures et ses douleurs aux noires ténèbres du dégoût, au poison du mépris, au néant de l'abdication, à cette mort du cœur qui s'appelle l'indifférence. Tout son courage abandonna néanmoins Sabine un soir qu'elle se montra dans une toilette comme en inspire aux femmes le désir de l'emporter sur une autre, et que Calyste lui dit en riant: – Tu auras beau faire, Sabine, tu ne seras jamais qu'une belle Andalouse!

      – Hélas! répondit-elle en tombant sur sa causeuse, je ne pourrai jamais être blonde; mais je sais, si cela continue, que j'aurai bientôt trente-cinq ans.

      Elle refusa d'aller aux Italiens, elle voulut rester chez elle pendant toute la soirée. Seule, elle arracha les fleurs de ses


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