La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac


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frappa Calyste qui, tout effrayé, sortit précipitamment. Dès que Sabine entendit la porte cochère se fermant, elle se leva comme une biche effrayée, elle tourna dans son salon comme une folle en criant: – Mon Dieu! mon Dieu! mon Dieu! Ces deux mots tenaient lieu de toutes ses idées. La crise qu'elle avait annoncée comme prétexte eut lieu. Ses cheveux devinrent dans sa tête autant d'aiguilles rougies au feu des névroses. Son sang bouillonnant lui parut à la fois se mêler à ses nerfs et vouloir sortir par ses pores! Elle fut aveugle pendant un moment. Elle cria: – Je meurs!

      Quand à ce terrible cri de mère et de femme attaquée, sa femme de chambre entra; quand prise et portée au lit, elle eut recouvré la vue et l'esprit, le premier éclair de son intelligence fut pour envoyer cette fille chez son amie, madame de Portenduère. Sabine sentit ses idées tourbillonnant dans sa tête comme des fétus emportés par une trombe. – J'en ai vu, disait-elle plus tard, des myriades à la fois. Elle sonna le valet de chambre, et, dans le transport de la fièvre, elle eut la force d'écrire la lettre suivante, car elle était dominée par une rage, celle d'avoir une certitude!..

A MADAME LA BARONNE DU GUÉNIC

      «Chère maman, quand vous viendrez à Paris, comme vous nous l'avez fait espérer, je vous remercierai moi-même du beau présent par lequel vous avez voulu, vous, ma tante Zéphirine et Calyste, me remercier d'avoir accompli mes devoirs. J'étais déjà bien payée par mon propre bonheur!.. Je renonce à vous exprimer le plaisir que m'a fait cette charmante toilette, c'est quand vous serez près de moi que je vous le dirai. Croyez qu'en me parant devant ce bijou, je penserai toujours, comme la dame romaine, que ma plus belle parure est notre cher petit ange, etc.»

      Elle fit mettre à la poste pour Guérande cette lettre par sa femme de chambre. Quand la vicomtesse de Portenduère entra, le frisson d'une fièvre épouvantable succédait chez Sabine à ce premier paroxysme de folie.

      – Ursule, il me semble que je vais mourir, lui dit-elle.

      – Qu'avez-vous, ma chère?

      – Qu'est-ce que Savinien et Calyste ont donc fait hier après avoir dîné chez vous?

      – Quel dîner? repartit Ursule, à qui son mari n'avait encore rien dit en ne croyant pas à une enquête immédiate. Savinien et moi, nous avons dîné hier ensemble et nous sommes allés aux Italiens, sans Calyste.

      – Ursule, ma chère petite, au nom de votre amour pour Savinien, gardez-moi le secret sur ce que tu viens de me dire et sur ce que je te dirai de plus. Toi seule sauras de quoi je meurs… Je suis trahie, au bout de la troisième année, à vingt-deux ans et demi!..

      Ses dents claquaient, elle avait les yeux gelés, ternes, son visage prenait des teintes verdâtres et l'apparence d'une vieille glace de Venise.

      – Vous, si belle!.. Et pour qui?..

      – Je ne sais pas! Mais Calyste m'a fait deux mensonges… Pas un mot! Ne me plains pas, ne te courrouce pas, fais l'ignorante; tu sauras peut-être qui par Savinien. Oh! la lettre d'hier!..

      Et grelottant, et en chemise, elle s'élança vers un petit meuble et y prit la lettre…

      – Une couronne de marquise! dit-elle en se remettant au lit. Sache si madame de Rochefide est à Paris?.. J'aurai donc un cœur où pleurer, où gémir!.. Oh! ma petite, voir ses croyances, sa poésie, son idole, sa vertu, son bonheur, tout, tout en pièces, flétri, perdu!.. Plus de Dieu dans le ciel! plus d'amour sur terre, plus de vie au cœur, plus rien… Je ne sais s'il fait jour, je doute du soleil… Enfin, j'ai tant de douleur au cœur que je ne sens presque pas les atroces souffrances qui me labourent le sein et la figure. Heureusement le petit est sevré, mon lait l'eût empoisonné!

      A cette idée, un torrent de larmes jaillit des yeux de Sabine, jusque-là secs.

      La jolie madame de Portenduère, tenant à la main la lettre fatale que Sabine avait une dernière fois flairée, restait comme hébétée devant cette vraie douleur, saisie par cette agonie de l'amour, sans se l'expliquer, malgré les récits incohérents par lesquels Sabine essaya de tout raconter. Tout à coup Ursule fut illuminée par une de ces idées qui ne viennent qu'aux amies sincères.

      – Il faut la sauver! se dit-elle. – Attends-moi, Sabine, lui cria-t-elle, je vais savoir la vérité.

      – Ah! dans ma tombe, je t'aimerai, toi!.. cria Sabine.

      La vicomtesse alla chez la duchesse de Grandlieu, lui demanda le plus profond silence et la mit au courant de la situation de Sabine.

      – Madame, dit la vicomtesse en terminant, n'êtes-vous pas d'avis que pour éviter une affreuse maladie, et, peut-être, que sais-je? la folie!.. nous devons tout confier au médecin, et inventer au profit de cet affreux Calyste des fables qui pour le moment le rendent innocent.

      – Ma chère petite, dit la duchesse, à qui cette confidence avait donné froid au cœur, l'amitié vous a prêté pour un moment l'expérience d'une femme de mon âge. Je sais comment Sabine aime son mari, vous avez raison, elle peut devenir folle.

      – Mais elle peut, ce qui serait pis, perdre sa beauté! dit la vicomtesse.

      – Courons! cria la duchesse.

      La vicomtesse et la duchesse gagnèrent fort heureusement quelques instants sur le fameux accoucheur Dommanget, le seul des deux savants que Calyste eût rencontrés.

      – Ursule m'a tout confié, dit la duchesse à sa fille, et tu te trompes… D'abord Béatrix n'est pas à Paris… Quant à ce que ton mari, mon ange, a fait hier, il a perdu beaucoup d'argent, et il ne sait où en prendre pour payer ta toilette…

      – Et cela?.. dit-elle à sa mère en tendant la lettre.

      – Cela! s'écria la duchesse en riant, c'est le papier du Jockey-club, tout le monde écrit sur du papier à couronne, bientôt nos épiciers seront titrés…

      La prudente mère lança dans le feu le papier malencontreux. Quand Calyste et Dommanget arrivèrent, la duchesse, qui venait de donner des instructions aux gens, en fut avertie; elle laissa Sabine aux soins de madame de Portenduère, et arrêta dans le salon l'accoucheur et Calyste.

      – Il s'agit de la vie de Sabine, monsieur, dit-elle à Calyste, vous l'avez trahie pour madame de Rochefide…

      Calyste rougit comme une jeune fille encore honnête prise en faute.

      – Et, dit la duchesse en continuant, comme vous ne savez pas tromper, vous avez fait tant de gaucheries que Sabine a tout deviné; mais j'ai tout réparé. Vous ne voulez pas la mort de ma fille, n'est-ce pas?.. Tout ceci, monsieur Dommanget, vous met sur la voie de la vraie maladie et de sa cause… Quant à vous, Calyste, une vieille femme comme moi conçoit votre erreur, mais sans la pardonner. De tels pardons s'achètent par toute une vie de bonheur. Si vous voulez que je vous estime, sauvez d'abord ma fille; puis oubliez madame de Rochefide, elle n'est bonne à avoir qu'une fois!.. sachez mentir, ayez le courage du criminel et son impudence. J'ai bien menti, moi, qui serai forcée de faire de rudes pénitences pour ce péché mortel!..

      Et elle le mit au fait des mensonges qu'elle venait d'inventer. L'habile accoucheur, assis au chevet de la malade, étudiait déjà dans les symptômes les moyens de parer au mal. Pendant qu'il ordonnait des mesures dont le succès dépendait de la plus grande rapidité dans l'exécution, Calyste, assis au pied du lit, tint ses yeux sur Sabine en essayant de donner une vive expression de tendresse à son regard.

      – C'est donc le jeu qui vous a cerné les yeux comme ça?.. dit-elle d'une voix faible.

      Cette phrase fit frémir le médecin, la mère et la vicomtesse, qui s'entre-regardèrent à la dérobée. Calyste devint rouge comme une cerise.

      – Voilà ce que c'est que de nourrir, dit spirituellement et brutalement Dommanget. Les maris s'ennuient d'être séparés de leurs femmes, ils vont au club, et ils jouent… Mais ne regrettez pas les trente mille francs que monsieur le baron a perdus cette nuit-ci.

      – Trente mille francs!.. s'écria niaisement Ursule.

      – Oui, je le sais, répliqua Dommanget. On m'a dit ce matin chez la


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