La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac


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Une femme sans cœur serait devenue dame et maîtresse après la scène du bateau, moi, je me suis reperdue. D'après votre système, plus je deviens femme, plus je me fais fille, car je suis affreusement lâche avec le bonheur, je ne tiens pas contre un regard de mon seigneur. Non! je ne m'abandonne pas à son amour, je m'y attache comme une mère presse son enfant contre son sein en craignant quelque malheur.»

      III

      DE LA MÊME A LA MÊME

Juillet, Guérande.

      «Ah! chère maman, au bout de trois mois connaître la jalousie! Voilà mon cœur bien complet, j'y sens une haine profonde et un profond amour! Je suis plus que trahie, je ne suis pas aimée!.. Suis-je heureuse d'avoir une mère, un cœur où je puisse crier à mon aise!.. Nous autres femmes, qui sommes encore un peu jeunes filles, il suffit qu'on nous dise: «Voici une clef tachée de sang, au milieu de toutes celles de votre palais, entrez partout, jouissez de tout, mais gardez-vous d'aller aux Touches!» pour que nous entrions là, les pieds chauds, les yeux allumés de la curiosité d'Ève. Quelle irritation mademoiselle des Touches avait mise dans mon amour! Mais aussi pourquoi m'interdire les Touches? Qu'est-ce qu'un bonheur comme le mien qui dépendrait d'une promenade, d'un séjour dans un bouge de Bretagne? Et qu'ai-je à craindre? Enfin, joignez aux raisons de madame Barbe-Bleue le désir qui mord toutes les femmes de savoir si leur pouvoir est précaire ou solide, et vous comprendrez comment un jour j'ai demandé d'un petit air indifférent: « – Qu'est-ce que les Touches? – Les Touches sont à vous, m'a dit ma divine belle-mère. – Si Calyste n'avait jamais mis le pied aux Touches!.. s'écria ma tante Zéphirine en hochant la tête. – Mais il ne serait pas mon mari, dis-je à ma tante. – Vous savez donc ce qui s'y est passé? m'a répliqué finement ma belle-mère. – C'est un lieu de perdition, a dit mademoiselle de Pen-Hoël, mademoiselle des Touches y a fait bien des péchés dont elle demande maintenant pardon à Dieu. – Cela n'a-t-il pas sauvé l'âme de cette noble fille, et fait la fortune d'un couvent? s'est écrié le chevalier du Halga; l'abbé Grimont m'a dit qu'elle avait donné cent mille francs aux dames de la Visitation. – Voulez-vous aller aux Touches? m'a demandé ma belle-mère, ça vaut la peine d'être vu. – Non! non,» ai-je dit vivement. Cette petite scène ne vous semble-t-elle pas une page de quelque drame diabolique? elle est revenue sous vingt prétextes. Enfin, ma belle-mère m'a dit: « – Je comprends pourquoi vous n'allez pas aux Touches, vous avez raison.» Oh! vous avouerez, maman, que ce coup de poignard involontairement donné vous aurait décidée à savoir si votre bonheur reposait sur des bases si frêles, qu'il dût périr sous tel ou tel lambris. Il faut rendre justice à Calyste, il ne m'a jamais proposé de visiter cette chartreuse devenue son bien. Nous sommes des créatures dénuées de sens, dès que nous aimons; car ce silence, cette réserve m'ont piquée, et je lui ai dit un jour: « – Que crains-tu donc de voir aux Touches que toi seul n'en parles pas? – Allons-y,» dit-il.

      »J'ai donc été prise comme toutes les femmes qui veulent se laisser prendre, et qui s'en remettent au hasard pour dénouer le nœud gordien de leur indécision. Et nous sommes allés aux Touches. C'est charmant, c'est d'un goût profondément artiste, et je me plais dans cet abîme où mademoiselle des Touches m'avait tant défendu d'aller. Toutes les fleurs vénéneuses sont charmantes, Satan les a semées, car il y a les fleurs du diable et les fleurs de Dieu! nous n'avons qu'à rentrer en nous-mêmes pour voir qu'ils ont créé le monde de moitié. Quelles âcres délices dans cette situation où je jouais non pas avec le feu, mais avec les cendres!.. J'étudiais Calyste, il s'agissait de savoir si tout était bien éteint, et je veillais aux courants d'air, croyez-moi! J'épiais son visage en allant de pièce en pièce, de meuble en meuble, absolument comme les enfants qui cherchent un objet caché. Calyste m'a paru pensif, mais j'ai cru d'abord avoir vaincu. Je me suis sentie assez forte pour parler de madame de Rochefide que, depuis l'aventure du rocher au Croisic, l'appelle Rocheperfide. Enfin, nous sommes allés voir le fameux buis où s'est arrêtée Béatrix quand il l'a jetée à la mer pour qu'elle ne fût à personne. – «Elle doit être bien légère pour être restée là, ai-je dit en riant. Calyste a gardé le silence. – Respectons les morts, ai-je dit en continuant. Calyste est resté silencieux. – T'ai-je déplu? – Non, mais cesse de galvaniser cette passion, a-t-il répondu.» Quel mot!.. Calyste, qui m'en a vue triste, a redoublé de soins et de tendresse pour moi.

Août.

      »J'étais, hélas! au fond de l'abîme, et je m'amusais, comme les innocentes de tous les mélodrames, à y cueillir des fleurs. Tout à coup une pensée horrible a chevauché dans mon bonheur, comme le cheval de la ballade allemande. J'ai cru deviner que l'amour de Calyste s'agrandissait de ses réminiscences, qu'il reportait sur moi les orages que je ravivais, en lui rappelant les coquetteries de cette affreuse Béatrix. Cette nature malsaine et froide, persistante et molle, qui tient du mollusque et du corail, ose s'appeler Béatrix!.. Déjà, ma chère mère, me voilà forcée d'avoir l'œil à un soupçon quand mon cœur est tout à Calyste, et n'est-ce pas une grande catastrophe que l'œil l'ait emporté sur le cœur, que le soupçon enfin se soit trouvé justifié? Voici comment. – «Ce lieu m'est cher, ai-je dit à Calyste un matin, car je lui dois mon bonheur, aussi te pardonné-je de me prendre quelquefois pour une autre…» Ce loyal Breton a rougi, je lui ai sauté au cou, mais j'ai quitté les Touches, et je n'y reviendrai jamais.

      »A la force de la haine qui me fait souhaiter la mort de madame de Rochefide, oh! mon Dieu naturellement d'une fluxion de poitrine, d'un accident quelconque, j'ai reconnu l'étendue, la puissance de mon amour pour Calyste. Cette femme est venue troubler mon sommeil, je la vois en rêve, dois-je donc la rencontrer?.. Ah! la postulante de la Visitation avait raison!.. Les Touches sont un lieu fatal, Calyste y a retrouvé ses impressions, elles sont plus fortes que les délices de notre amour. Sachez, ma chère mère, si madame de Rochefide est à Paris, car alors je resterai dans nos terres de Bretagne. Pauvre mademoiselle des Touches qui se repent maintenant de m'avoir fait habiller en Béatrix pour le jour du contrat, afin de faire réussir son plan, si elle apprenait jusqu'à quel point je viens d'être prise pour notre odieuse rivale!.. que dirait-elle? Mais c'est une prostitution! je ne suis plus moi, j'ai honte. Je suis en proie à une envie furieuse de fuir Guérande et les sables du Croisic.

25 août.

      »Décidément, je retourne aux ruines du Guénic. Calyste, assez inquiet de mon inquiétude, m'emmène. Ou il connaît peu le monde s'il ne devine rien, ou s'il sait la cause de ma fuite, il ne m'aime pas. Je tremble tant de trouver une affreuse certitude si je la cherche, que je me mets, comme les enfants, les mains devant les yeux pour ne pas entendre une détonation. Oh! ma mère, je ne suis pas aimée du même amour que je me sens au cœur. Calyste est charmant, c'est vrai; mais quel homme, à moins d'être un monstre, ne serait pas, comme Calyste, aimable et gracieux, en recevant toutes les fleurs écloses dans l'âme d'une jeune fille de vingt ans, élevée par vous, pure comme je le suis, aimante, et que bien des femmes vous ont dit être belle…

Au Guénic, 18 septembre.

      »L'a-t-il oubliée? Voilà l'unique pensée qui retentit comme un remords dans mon âme! Ah! chère maman, toutes les femmes ont-elles eu comme moi des souvenirs à combattre?.. On ne devrait marier que des jeunes gens innocents à des jeunes filles pures! Mais c'est une décevante utopie, il vaut mieux avoir sa rivale dans le passé que dans l'avenir. Ah! plaignez-moi, ma mère, quoiqu'en ce moment je sois heureuse, heureuse comme une femme qui a peur de perdre son bonheur et qui s'y accroche!.. Une manière de le tuer quelquefois, dit Clotilde.

      »Je m'aperçois que depuis cinq mois je ne pense qu'à moi, c'est-à-dire à Calyste. Dites à ma sœur Clotilde que ses tristes sagesses me reviennent parfois; elle est bien heureuse d'être fidèle à un mort, elle ne craint plus de rivale. J'embrasse ma chère Athénaïs, je vois que Juste en est fou. D'après ce que vous m'en dites dans votre dernière lettre, il a peur qu'on ne la lui donne pas. Cultivez cette crainte comme une fleur précieuse. Athénaïs sera la maîtresse, et moi qui tremblais de ne pas obtenir Calyste de lui-même, je serai servante. Mille tendresses, chère maman. Ah! si mes terreurs n'étaient pas vaines, Camille Maupin m'aurait vendu sa fortune bien cher. Mes affectueux respects à mon père.»

      Ces lettres expliquent parfaitement la situation secrète de la femme et du mari. Si pour Sabine


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