Histoire de Édouard Manet et de son oeuvre. Duret Théodore
ne pensant réellement pas un mot de ce qu'il écrivait. Olympia et son chat noir avaient suscité une telle réprobation, que la moindre défense en paraissait monstrueuse. Non content de la publicité que ses articles avaient reçue dans l'Evénement et dans la Revue du XIXe siècle, Zola, pour leur assurer la durée, les reproduisit en brochures. Après cette obstination, dans ce qu'on prenait pour une erreur perverse, il fut décidément considéré comme un homme dangereux et la presse entière resta fermée à sa critique d'art.
Manet, sur le moment, ne se trouva avoir rien gagné au plaidoyer de Zola, puisqu'en définitive le public, dans sa colère, les mettait tous les deux au même rang de réprouvés. Mais cette défense retentissante ne l'avait pas moins sorti de l'isolement absolu où il s'était un moment trouvé. Elle allait encourager à venir vers lui les jeunes gens qui déjà se sentaient certaines affinités et, cherchant des voies nouvelles, le prendraient pour porte-drapeau. Il n'était plus seul, Zola était venu comme le premier d'un groupe de combattants qui allait se recruter.
Manet s'était vu interdire le Salon de 1866. En 1867 devait se tenir une exposition universelle où, à côté des produits de l'industrie, on ferait une place aux œuvres d'art. Cette exposition dépassait en importance le Salon annuel. Les artistes de toutes nations mis à côté les uns des autres et destinés à être jugés, outre le public parisien, par des spectateurs du monde entier, devaient éprouver un intérêt particulier à s'y montrer. Manet essaya donc de s'y faire recevoir. Mais le jury appelé à désigner les œuvres admissibles le repoussa. En 1867 comme en 1866, il allait ainsi être étouffé. Il ne lui restait plus, dans cette extrémité, qu'à se produire quand même, en recourant à une exposition particulière.
Il avait du reste déjà pratiqué une exposition de ce genre au commencement de 1863. Elle avait eu lieu sur le boulevard des Italiens, dans un local que l'on appelait Chez Martinet, du nom de son propriétaire, un homme d'initiative, qui soutenait les jeunes artistes inconnus ou discutés et prenait leurs tableaux pour les mettre sous les yeux du public. Manet avait groupé chez lui quatorze toiles, parmi lesquelles se voyaient la Musique aux Tuileries, le Vieux musicien, le Ballet espagnol, la Chanteuse des rues, Lola de Valence. Cet ensemble n'avait eu d'ailleurs aucun succès. Les visiteurs n'y avaient découvert que du «bariolage», selon l'expression employée à cette occasion par Paul Mantz dans la Gazette des Beaux-Arts. On peut même dire que cette exposition, en indisposant les esprits, avait contribué au refus que le jury du Salon faisait quelques semaines après du Déjeuner sur l'herbe.
Mais Manet ne devait jamais se laisser rebuter; sa persistance à vouloir exposer en tout lieu et à montrer ses tableaux en toute circonstance devait être inébranlable. Il était convaincu que le public, par habitude, arriverait à se familiariser avec ses formes et ses procédés et qu'après s'en être d'abord offensé, il finirait par les trouver bons. Il avait raison au fond; seulement ce changement qu'il attendait tous les jours comme un accident heureux, susceptible de le favoriser à chaque nouvelle exposition, ne devait réellement avoir lieu qu'après une très longue bataille, continuée pendant des années, et ne serait obtenu que par ses œuvres accumulées tout entières. Toujours est-il qu'avec la détermination de se montrer en toutes circonstances, il ne pouvait se résigner à perdre l'occasion d'une exposition universelle qui s'offrait en 1867, en se laissant étouffer par le refus d'un jury. Il se résolut à montrer l'ensemble de ses œuvres et, à cet effet, il fit élever une construction en bois, une sorte de baraque, près du pont de l'Alma. Il avait obtenu l'autorisation de la placer sur une contre-allée de l'avenue qui longe les Champs-Elysées, sur le bord de l'eau. L'autorisation d'en élever une semblable avait été accordée à Courbet qui, de même que Manet, s'était vu fermer les portes de l'Exposition universelle. Placés l'un près de l'autre, ils allaient donc tous les deux soumettre leurs œuvres au public dans un local particulier.
L'exposition au pont de l'Alma s'ouvrit en mai 1867. Elle comptait cinquante numéros, à peu près toute l'œuvre de l'auteur. C'était un magnifique ensemble de tableaux, qui sont pour la plupart maintenant entrés dans les musées ou ont pris place dans les grandes collections d'Europe ou d'Amérique. Mais le public ne voulut y voir qu'une réunion de choses grossières. Il y retrouvait surtout le Déjeuner sur l'herbe et l'Olympia, qui l'avaient si profondément offensé, et le temps écoulé depuis leur apparition était trop court pour qu'il pût être amené à modifier son opinion. On ne faisait du reste aucun tri entre les œuvres, on les condamnait en bloc, comme conçues et exécutées en dehors de toutes les règles du beau. La presse, la caricature s'acharnèrent de nouveau contre Manet et son exposition ne recueillit que railleries et réprobation.
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