Le crime et la débauche à Paris. Charles Desmaze

Le crime et la débauche à Paris - Charles Desmaze


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été frappé, n'avait pas ici le droit de gracier des meurtriers étrangers, qui avaient, dans un guet-apens, fait couler le sang de citoyens Français; cet avis prévalut.

      Le nombre des condamnations à mort augmente dans tous les départements, comme pour en témoigner ici hautement la situation effrayée. Le jury veut31, espère une répression nécessaire, attendue. En même temps, les grâces suivent plus nombreuses, presque toujours inexplicables et toujours inexpliquées (Assises du Rhône [parricide], de la Seine, du Nord, de la Gironde, de la Haute-Vienne). Empoisonnements, assassinats ayant suivi ou précédé d'autres crimes, commis par des repris de justice, dans des circonstances horribles, toujours graciés. Pourquoi? Mystère?

      Il paraît qu'il n'y a plus de Pyrénées, car, en Espagne, le nombre incessant des grâces accordées en 1880, aux condamnés à mort, inquiète aussi les populations.

      Les bandits y puisent un encouragement croissant, dans cette indulgente faiblesse du gouvernement débile.

      La loi d'amnistie, récemment votée et exécutée, a été une mesure essentiellement politique, et le gouvernement, qui l'a présentée, avec ce caractère, a pu, à peine jusqu'à présent, bien apprécier si les effets ont été en rapport avec le but, par lui rapidement poursuivi et obtenu des Chambres.

      S'il nous faut parler du régime cellulaire, appliqué chez des nations voisines, en Angleterre, en Belgique, notamment dans les Prisons de Louvain, nous devons dire que l'élévation des dépenses qu'il entraînerait (4000 fr. en moyenne par cellule), n'a pas jusqu'ici permis de l'étendre en France, à beaucoup de prisons, bien que la durée des peines ainsi subies, dans l'isolement, ait été diminuée dans une certaine proportion. Des colonies agricoles, tentées en Corse, n'y ont pas réussi, pour diverses causes, dans lesquelles l'insalubrité du sol a été invoquée. Sur le continent, malgré les intelligents efforts de l'administration, il faut reconnaître que l'enfant de Paris, fait plutôt pour la vie de l'atelier, se plie difficilement à la vie des champs32 plus salubre pourtant.

      Là aussi les sociétés de patronage, pour les libérés, doivent être d'un précieux et continuel secours, afin de surveiller, d'employer et de ramener au bien des natures mobiles et ignorantes.

      Dans cette tâche immense et bien complexe, parce qu'elle comprend l'humanité, avec ses faiblesses, il faut que tous se mettent résolument à l'œuvre, parce qu'il s'agit de conjurer un péril commun et menaçant.

      LA DÉBAUCHE A PARIS

      I

      ANTIQUITÉ DE LA DÉBAUCHE. – CHARLEMAGNE. – ORDONNANCES SOMPTUAIRES. – ORDONNANCE DE SAINT-LOUIS (1259) CANTONNANT LES PROSTITUÉES. – (1242) ORDONNANCE PERMETTANT AU ROI DES RIBAUDS DE PRÉLEVER UNE DIME SUR LES FILLES.

Nulla fèrè causa est in quâ non femina litemMoverit… xxxxxxxxx(Juvénal, satire v.)Où est la femme? (Un juge d'instruction.)

      La débauche est vieille comme le monde33; elle se trouve au berceau, comme au déclin de toutes les sociétés humaines; les religions, comme les histoires et les législations en font foi34.

      En Grèce, vingt-deux classes de courtisanes desservaient, en leurs groupes sympathiques, les vingt-deux branches de la volupté; elles étaient les prêtresses35 inspirées de la Vénus impudique. C'étaient la Fellatrice, coquette, trompant le désir, pour en prolonger les brûlants accès; la Tractatrice, venant de l'Orient parfumé où les plaisirs, qui font rêver, sont en honneur; la Subagitatrice, fille de Lesbos; la Lémane, avec les voluptés, douces et chatouilleuses; la Corinthienne, qui pourrait les remplacer toutes; l'agaçante Phicidisseuse, aux dents dévorantes et lutines, dont l'émail semble intelligent; enfin, la brillante et fougueuse Propétide, qui montre, en fuyant, les trésors qu'elle ignore elle-même, et qu'elle offre aux autres de contempler d'un œil enivré, de flatter d'une main caressante.

      Paris, la grande Babylone, possède et exhibe encore les mêmes variétés, cultivées avec un art singulier, comme toutes les primeurs du vice36.

      Remontons à la législation ancienne. La débauche est donc bien vieille; mais elle sait cacher ses rides sous le fard, se noircir les yeux, sourire, et raccoler force victimes. Elle suit une route parallèle à la marche progressive, qui pousse en avant les peuples; dans les sociétés, l'importance qu'elle acquiert, est de plus en plus grande, et lassée pour ainsi dire de régner sur les hommes, elle veut étendre son empire sur les arts. La peinture consacre ses toiles à ses scènes de volupté, la littérature lui donne grandes et petites entrées dans les journaux, dans les romans, dans les théâtres, la voilà qui étend sur tout ses mains avides; il faut compter avec elle. Aussi ne peut-il pas être sans intérêt de suivre cette course, de marquer ces étapes, de voir quels moyens ont été, tour à tour, et toujours inutilement employés, pour placer, devant elle, des barrières, sans cesse renversées.

      Nous avons pensé qu'il serait curieux de passer en revue les défenses, essayées dans le dessein d'arrêter la luxure, l'amour de la débauche; et, fouillant dans l'arsenal où sont déposées les armes émoussées, nous avons voulu arriver jusqu'au temps présent.

      Lointain est le moment où les rois frappaient les courtisanes d'une main, non gantée de velours.

      En comparant les anciennes ordonnances aux règlements nouveaux, on ne peut manquer de trouver intéressantes ces recherches et d'en tirer peut-être plus d'un enseignement.

      Que de chemin parcouru depuis le temps où le Lévitique flétrissait, comme une infamie, digne du dernier supplice, les crimes contre nature, chantés à Rome et à Athènes par les poètes. Aujourd'hui, moins sévères qu'aux jours primitifs, moins indulgents qu'Horace et Virgile, nous prenons en main le Code pénal et disons: Art. 330 et suivants: Ce délit est réprimé lorsqu'il est accompagné de violence, de publicité, qu'il est exercé sur des mineurs de treize ans; ou par un ascendant sur un mineur de plus de treize ans, non émancipé par le mariage, on lorsqu'il y a enfin habitude de proxénétisme, pluralité de victimes et d'actes impudiques. Oui, le vice persiste, le mal grandit; que faire? à l'histoire à prendre la parole!

      Sans chercher des exemples aux époques où les règlements, les ordonnances se suivent sans ordre et se contredisent, ouvrons cette instructive série de documents à l'heure où véritablement tout s'organise.

      Charlemagne, ajoutant aux peines, prononcées par ses prédécesseurs, ordonna (800) que: le propriétaire, chez lequel, se prostitueront des filles de mauvaise vie, les portera l'une après l'autre, sur la place du Marché, pour y être fustigées. S'il refuse, il sera lui-même frappé de la même peine.

      Les guerres augmentèrent les débauches et saint Louis les réprima par la sévérité de son ordonnance de 1254.

      Les ordonnances royales alors cantonnent les prostituées, dans certains quartiers de Paris, leur défendant de résider ailleurs, sous peine de confiscation, ni louer maisons et défendant à tous propriétaires de les recevoir ou loger en autres quartiers.

      Défense de se trouver dans leur bordel ou clapier, après sept heures sonnées, sous peine de prison et d'amende arbitraire.

      Défense de porter sur leurs habits, de l'or, de l'argent, des perles, du jais, des broderies, des fourrures, des collets renversés, des robes à queues traînantes, des ceintures dorées et autres ornements, que pourraient porter les femmes d'honneur, à peine de confiscation desdits habits et d'amende arbitraire.

      Défense à toutes personnes de produire des femmes prostituées, à peine du pilori, d'être marquées d'un fer chaud et bannies (Ordonnances de 1395, de 1415, 1420, 1426, 1480; Delamare, 21 825, Fr.; Bibl. Nat. manuscrits).

      Marguerite de Provence, la reine de France, digne femme de saint Louis, allant à l'offrande, après avoir touché de ses lèvres la patène


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<p>31</p>

Afin d'augmenter les chances d'impunité, on veut effacer les sages et tutélaires dispositions de l'article 336 du Code d'instruction criminelle. Tout dans l'intérêt des malfaiteurs, est le projet de suppression du résumé. (Chambre des députés, 30 novembre 1880.)

<p>32</p>

Voir les fondations dues à l'initiative privée, et notamment celle que vient d'inaugurer à Orgeville, M. Georges Bon-jean, pour l'enfance abandonnée.

<p>33</p>

Rapport sur l'instruction primaire et l'instruction secondaire, due à la plume si savante, si compétente de M. O. Gréard, vice-recteur de l'Académie de Paris.

<p>34</p>

Histoire de la médecine légale, d'après les arrêts criminels. Paris, 1880.

<p>35</p>

Honoré de Balzac.

<p>36</p>

Lecour, La prostitution à Paris et à Londres.