Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste
voilà transportés, avec les Dénés et les Esquimaux, à plus de 3.000 lieues de la France, parmi des sauvages découverts par les coureurs-des-bois, guides de la Compagnie du Nord-Ouest, vers 1780; par l’Eglise Catholique en 1844; et vivant encore maintenant dans l’état de nature, qui fut celui des Algonquins, Hurons et Iroquois, au XVIe siècle.
Les Dénés et les Esquimaux ne sont point confinés dans des réserves. Personne ne leur a contesté encore l’immensité de leur pays, parce qu’il est trop froid, trop inculte, trop inabordable. Seuls, les commerçants de pelleteries et les missionnaires s’y coudoient, se conformant à la vie sauvage, sevrés de toutes les commodités, comme de tous les malaises, de la civilisation moderne. C’est pourquoi l’histoire des Dénés et des Esquimaux doit être, par elle-même, la plus simple et la plus intéressante du Nouveau-Monde.
Le domaine principal des Dénés et des Esquimaux est la région qui fut longtemps connue sous le nom d’Athabaska-Mackenzie. Quelques mots de description sont ici indispensables.
Un coup d’œil jeté sur l’ensemble de la carte murale montre le Canada découpé en pièces géographiques, alignées de l’Atlantique au Pacifique: neuf provinces, dont sept se dédoubleraient en des espaces suffisants à plusieurs royaumes.
Les provinces du premier groupe: Nouvelle-Ecosse, Ile du Prince-Edouard, Nouveau-Brunswick, Québec et Ontario, suivent les rives du Saint-Laurent, golfe et fleuve, puis les courbes des Grands Lacs Ontario, Erié, Huron et Supérieur, pour s’arrêter au méridien le plus occidental de la baie d’Hudson. Les milliers de rivières qui baignent les gracieuses Laurentides, les collines odorantes, les bois pleins de ramages, les champs épanouis, le firmament qui mire son azur dans les lacs de cristal, l’harmonie infinie des paysages font de ces provinces de l’Est canadien, à notre sens, l’un des plus pittoresques et des plus agréables Edens que l’on puisse rêver.
De l’Ontario aux montagnes Rocheuses, se juxtaposent, séparées par le droit méridien conventionnel, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta: les trois provinces de la prairie (the prairie provinces). La prairie, qui constitue leur partie sud, s’y déroule, dans un horizon sans fin, pendant les trois jours que la vapeur met à la parcourir, sur ses 500 lieues de large. Elle a pourtant ses rivières, ses ruisseaux et ses lacs, ses coulées profondes, et, de loin en loin, ses îlots boisés; mais son niveau général donne au regard l’impression d’une plaine continue. Les géologues la considèrent comme le fond desséché de deux mers, rentrées, l’une dans l’océan Glacial, l’autre dans la baie d’Hudson. Le charbon, trouvé dès les premières couches du sol, atteste que des forêts l’ont couverte depuis. Les chaussées de castors, qui la zèbrent en tous sens, rappellent qu’elle fut ensuite marécageuse. Aujourd’hui, la terre féconde émerge partout, n’implorant que le soc de la charrue et le grain du semeur.
Des montagnes Rocheuses à l’Océan Pacifique, nous traversons la Colombie Britannique, «océan pétrifié de montagnes», «Suisse du Canada», réservoir d’incalculables richesses poissonneuses, minérales et forestières.
Quant aux noms d’Athabaska et de Mackenzie, on les chercherait en vain sur les cartes récentes du Canada. Ils ne sont conservés que par la Compagnie de la Baie d’Hudson, pour désigner ses districts de fourrures, et par l’Eglise Catholique, pour désigner ses vicariats apostoliques.
Un seul vicariat réunit d’abord les deux territoires: le vicariat d’Athabaska-Mackenzie. Il exista, comme tel, pendant 40 ans, de 1862 à 1901, sous Mgr Faraud et Mgr Grouard, son successeur. En 1901, il fut scindé, à cause de son immensité et des progrès de l’évangélisation.
L’Athabaska, au sud, resta à Mgr Grouard. Le Mackenzie, au nord, échut à Mgr Breynat.
Le vicariat d’Athabaska comprend la partie nord de la province de l’Alberta, du 55e degré de latitude au 60e, et l’angle nord-ouest de la province de la Saskatchewan, dans lequel se prolonge et finit le lac Athabaska. Si l’on décompte la partie du bassin de la rivière la Paix, comprise entre le fort Vermillon et les montagnes Rocheuses, et dont les grasses prairies, à l’humus profond, se voient envahies par un flot de population blanche, l’on remarque que les trois quarts du vicariat d’Athabaska font corps avec la partie boisée du vicariat du Mackenzie. La lisière sud des bois de l’Athabaska donne asile à quelques rameaux de la tribu des Cris, de la nation Algonquine, et à quelques rares colons de race blanche. Quant à l’intérieur de la forêt, il est encore, comme à l’origine, le terrain vague et libre des sauvages Dénés. Là, commence le champ arctique, exclusivement exploité par le commerce des fourrures et l’apostolat des âmes.
Le vicariat du Mackenzie se partage, avec le vicariat du Keewatin, son parallèle, l’espace géographique désigné par Les territoires du Nord-Ouest (North-West Territories). Il prend le versant de l’océan Glacial, et laisse au Keewatin presque tout le versant de la baie d’Hudson.
En 1901, date de sa séparation d’avec le vicariat d’Athabaska, le vicariat du Mackenzie traversait les montagnes Rocheuses et englobait le Youkon.
Mais le Youkon s’érigea à son tour en préfecture indépendante en 1908, et en vicariat apostolique en 1917.
Le vicariat actuel du Mackenzie s’enferme donc entre les montagnes Rocheuses et le 100e degré de longitude (Greenwich), de l’ouest à l’est; et entre le 60e degré de latitude et l’océan Glacial, du sud au nord. Sa largeur du sud, qui est la plus étroite, est assise, à la fois, sur les provinces de la Colombie Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan. Au nord, il s’agrège chaque année de nouveaux territoires, à mesure qu’ils se découvrent et se précisent. Le pôle nord est la limite de sa juridiction. Son étendue continentale est coupée, vers les deux tiers de sa superficie, par le Cercle polaire.
Jusqu’au Cercle polaire se continuent les forêts vierges de l’Athabaska: forêts, non pas de chênes, de hêtres, de frênes, de noyers, d’érables, ou de pins (les moins frileuses de ces espèces ne dépassent guère le 55e degré de latitude nord), mais de cyprès, de sapins (épinettes en langage du pays), de trembles, de peupliers-liards, de bouleaux, de saules. «Le bouleau et l’épinette sont les pionniers de la végétation du côté de la mer Glaciale.»
Passé le Cercle polaire, ces arbres, qui étaient allés s’amaigrissant insensiblement, se rabougrissent tout à fait, et s’effacent bientôt, pour laisser aux vents de l’océan Arctique une large zone complètement nue, éternellement glacée, appelée par les Français la Terre Stérile, et par les Anglais The Barren Land. Sur le seuil de cette vaste avenue de la mer polaire, on peut écrire: ubi nullus ordo, sed sempiternus horror inhabitat: Ici est le séjour du chaos et de l’horreur éternelle. C’est la patrie des Esquimaux; c’est la tombe de leurs premiers missionnaires, les Pères Rouvière et Le Roux, qu’ils ont massacrés en 1913.
Les Dénés habitent les bois de l’Athabaska et du Mackenzie, et les Esquimaux les déserts de la Terre Stérile.
A laquelle des races humaines appartiennent les Dénés et les Esquimaux?
L’ancienne classification de l’humanité en cinq races diverses les rangeait dans la rouge; mais l’anthropologie rattachait naguère tous les rameaux de l’espèce humaine à trois troncs: le tronc blanc ou caucasique (Japhet), le tronc jaune ou mongolique (Sem), le tronc noir ou éthiopien (Cham).
C’est indubitablement au tronc jaune, mongolique, sémitique qu’il faut rapporter tous nos Peaux-Rouges et Esquimaux.
L’honneur d’avoir mis cette vérité en évidence revient à un humble missionnaire du Mackenzie, le Père Petitot. Les circonstances en furent presque théâtrales.
C’était en 1875, époque de la poussée rationaliste qui s’efforçait de submerger dans la négation et le sarcasme l’autorité des Livres Saints, touchant l’unité de la création de l’homme. Le fait des migrations Scandinaves qui colonisèrent le Groenland, le Labrador et Terre-Neuve, aux IXe et Xe siècles, n’était pas établi alors; la facilité du passage de