Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste

Aux glaces polaires - Duchaussois Pierre Jean Baptiste


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c’en était fait de la foi. Si, en effet, les Peaux-Rouges n’ont pu émigrer d’un autre continent, ils sont autochtones. S’ils sont autochtones, la révélation de l’unité de notre espèce est un mensonge, et la Bible s’écroule tout entière sur les ruines de sa première page!

      Cette conclusion venait d’être formulée dans la salle des Cerfs du palais ducal de Nancy, au mois de juillet 1875, en l’Assemblée internationale des savants «américanistes» de l’univers. Le baron de Rosny, professeur de langue japonaise, présentait, en une brillante conférence, ce fruit désiré des travaux du Congrès; et il répétait, triomphant, avec Voltaire, «qu’on peut citer partout et toujours», disait-il: «Du moment que Dieu a pu créer des mouches en Amérique, pourquoi n’aurait-il pas pu y créer des hommes?»

      La joie des libres-penseurs et l’humiliation des catholiques étaient à leur comble. A ce moment, le Père Petitot, qui se trouvait dans l’assemblée, avec le Père Grouard, se lève, invoque son titre de missionnaire des Dénés et des Esquimaux du Cercle polaire, parmi lesquels il vient de passer quinze années, et demande modestement qu’on veuille bien suspendre jusqu’au lendemain la conclusion du débat. Les applaudissements firent comprendre au Comité qu’il devait accepter la requête du missionnaire.

      Quelle nuit pour le Père Petitot, et pour les jeunes novices de Nancy, qu’il constitua ses secrétaires! On s’en souvient encore dans la congrégation des Oblats de Marie Immaculée.

      Le lendemain, il était prêt.

      Il parla, au milieu de la sympathie croissante de l’auditoire; mais il ne put finir. Le jour suivant, il poursuivit sa thèse, devant une salle que sa réputation faisait déjà déborder. Les libres-penseurs semblaient cloués dans leur silence, et la foule applaudissait toujours. Aucune des nombreuses célébrités de la science, venues de tous les points du globe, ne fut en état de répondre au Père Petitot. Le Comité, sentant le terrain manquer à la cause de l’impiété, voulut interrompre l’orateur, dans son troisième discours; mais l’assistance protesta, et force fut à M. de Rosny d’enregistrer cette proposition dûment prouvée, et désormais inattaquable:

      Il est établi, par la communauté de leurs croyances, de leurs usages, de leurs coutumes, de leurs langues, de leurs armes, avec les races asiatiques et océaniennes; par leurs souvenirs d’autres terres, dont ils décrivent les animaux inconnus aux leurs, que les Esquimaux, les Dénés et les autres Peaux-Rouges sont incontestablement d’origine asiatique.

      Ce fut, pour la libre-pensée, un échec sensible.

      Le Père Petitot, venu tout simplement en France pour faire imprimer ses dictionnaires Déné et Esquimau, se vit, à sa grande confusion, mis en renommée par cette victoire, ainsi que par d’autres travaux auxquels l’invita ensuite la Société de Géographie; il fut nommé membre des Sociétés d’Anthropologie et de Philologie, reçut une médaille d’argent, en récompense d’une carte de ses découvertes polaires, tracée de sa main, que la Société de Géographie s’engageait à faire graver à ses frais, et retourna à ses sauvages de Good-Hope, portant à la boutonnière de sa pauvre soutane le ruban violet d’officier d’Académie.

      Depuis 1875, l’origine asiatique des Peaux-Rouges s’est de plus en plus confirmée. Les Dénés et les Esquimaux ne sont pas loin d’être déclarés les frères des Chinois et Japonais, tandis que les autres familles se rattacheraient plutôt aux branches tartaro-finnoises du même tronc mongolique.

      La conversion des Dénés est un fait presque accompli. Celle des Esquimaux n’en est encore qu’à la semence des martyrs.

      La différence entre les caractères de ces deux familles est singulièrement profonde. Séparons-les, dès maintenant. Un chapitre sera consacré aux Esquimaux. Aux Dénés et à leur missionnaires revient la plus grande part.

      Les Dénés de l’Athabaska-Mackenzie se partagent en huit grandes tribus: les Montagnais, les Mangeurs de Caribous, les Castors, les Couteaux-Jaunes, les Plats-Côtés-de-Chiens, les Esclaves, les Peaux-de-Lièvres, les Loucheux. Les trois premières occupent principalement l’Athabaska, et les cinq autres le Mackenzie4.

      Les Indiens de ces tribus ont conservé les traits physiques que nous ont décrits les premiers explorateurs. Mieux préservés, par leur éloignement et leur rude climat, de la contamination étrangère, ils demeurent les moins dégénérés des Peaux-Rouges, les moins affligés de la scrofule, du rachitisme, des difformités qui dévorent les restes des nations Iroquoise et Algonquine.

      On peut les peindre bien découplés, dépassant la moyenne de notre taille, la tête plutôt conique, les pommettes saillantes, les yeux brun foncé et d’un luisant huileux, les cheveux noirs jusque dans la vieillesse, ce qui n’empêche pas les vétérans de la vie, à couronne d’ébène, de commencer leurs discours par ces mots: «Tu vois, les hivers ont neigé sur ma tête; j’ai les cheveux tout blancs…» Cette chevelure drue, épaisse, défiant notre calvitie pitoyable, est la gloire naturelle de l’Indien: c’est pourquoi le scalp de l’ennemi fut, de tout temps, le beau trophée de guerre. Et cependant, comme ils la négligent sur leurs personnes! Abandonnée à sa croissance, elle tombe, à la gauloise, sur les oreilles et le cou jusqu’aux épaules, qu’elle ne dépasse guère, tant chez l’homme que chez la femme. Est-il besoin de mentionner qu’elle est, dès le bas-âge, le château-fort de la vermine? Le Déné pur sang est imberbe. Ses dents blanches et richement émaillées forment une armature qui s’usera sur les durs aliments séchés, mais qui ne pâtira ni ne s’ébréchera jamais.

      Les hommes marchent, les jambes arquées, à la manière bancale, la pointe des pieds projetée en dedans. Cette tournure est le résultat voulu d’une pratique, plus facile à décrire par la parole que par la plume, à laquelle on les a soumis, petits garçons: elle donne aux membres inférieurs une élasticité infatigable pour les courses à la raquette, et une souplesse féline pour traquer les fauves.

      Les vêtements primitifs étaient en peaux de renne, d’orignal, ou de lièvre. Les hommes s’affublaient de blouses velues, arrondies par le bas, échancrées sur les côtés. Les jambes s’engageaient, jusqu’à mi-hauteur seulement, dans des tubes appelés mitasses, que retenaient des lanières assujetties à la ceinture. Une sorte de pagne sauvegardait la décence. Le reste des membres était laissé aux morsures du climat. Nos habits européens n’eurent point de sitôt raison de la coupe ancestrale: il est encore des sauvages qui s’empressent de faire sauter le fond des pantalons neufs qu’ils achètent, afin de n’en garder que les jambes, en guise de mitasses.

      Les femmes portaient la même blouse que les hommes, mais très longue. La femme dénée, modèle de modestie, trouverait honteusement sauvages certaines modes de la dernière civilisation.

      A l’arrivée des commerçants, les Dénés, comme les autres Indiens, abandonnèrent peu à peu leurs habits légers, chauds et imperméables pour nos lourdes étoffes tissées. Progrès déplorable. Un sauvage ne sait ni laver ni rapiécer. Ses hardes, qu’il déchire à sa première course à travers le bois, son lainage, qu’il empâte de sueur et de graisse, ne le défendent plus contre le rhumatisme, les congestions, les inflammations meurtrières.

      Ce n’est pas pourtant que la vanité ait oublié tout à fait ce coin désolé de son empire, et que notre Indien ne tienne à faire toilette aux grandes occasions. La femme ajoutera une ligne de perles et de verroteries à la bordure de sa robe. L’homme fera l’emplette d’une chemise, qu’il passera simplement sur celles qu’il portait déjà: et les pavillons nouveaux de battre avec les vieux, par-dessus le pantalon, aux vents du ciel. Tel est le sort de tout habit qu’il ne quittera plus son maître qu’avec les années, en tombant de lui-même jusqu’au dernier lambeau.

      Les sauvages les plus voisins des forts-de-traite se rangent, d’ailleurs, peu à peu, aux soins de l’hygiène et de la propreté. La tenue de quelques-uns devient irréprochable.

      Une seule pièce de l’ancien complet a survécu partout, tant chez


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Trois autres grandes tribus dénées se trouvent dans la Colombie Britannique: les Porteurs, les Chilcotines, les Babines. Ils ont été évangélisés, eux aussi, par les Oblats de Marie Immaculée. Le R. P. Morice, O. M. I., en a savamment traité en divers ouvrages: Au Pays de l’Ours Noir, Essai sur l’Origine des Dénés, Histoire de l’Eglise catholique dans l’Ouest Canadien (4 vol.), etc…