Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste

Aux glaces polaires - Duchaussois Pierre Jean Baptiste


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extrêmes. Lorsqu’il veut s’abriter, quelques branchages, jetés sur des aunes penchés, lui servent de maison. Ou bien il applique des peaux de renne, d’orignal, de phoque, sur des perches disposées en large cercle à la base et se rencontrant en faisceau au sommet: c’est la loge, la résidence régulière. Le lit consistera en une simple toison de bœuf musqué, d’élan ou de loup. Le foyer tiendra en quelques tisons allumés au milieu de la loge. Pour mobilier: un chaudron, quelques tasses en zinc ou en écorce de bouleau, dans lesquelles on boit le thé – nectar du sauvage – , un fusil, une hache, deux pipes: l’une pour l’homme, l’autre pour la femme.

      En un quart d’heure, la maison sera pliée, empaquetée sur le canot si c’est l’été, sur le traîneau si c’est l’hiver. Un autre quart d’heure la rebâtira pour le campement du soir.

      C’est dans ce palais mobile que naquit le roi des forêts glacées; là qu’il se repose entre ses chasses; là qu’il fait sa prière à Dieu; là qu’il lui rendra son âme, sans regretter ni une richesse, ni un bien-être qu’il n’aura point soupçonnés, et qui auront coûté tant de sang et de larmes à ses frères inconnus, les autres mortels.

      La langue des Dénés5, inépuisable en mots concrets, à peu près dépourvue d’expressions abstraites, représente assez fidèlement l’état psychologique de ces hommes des bois, qui ne connurent, avant les missionnaires, que des nécessités grossièrement sensibles. Les sens, la vue et l’ouïe surtout, la mémoire des lieux et des personnes semblent absorber les forces de l’âme et alourdir l’essor des facultés supérieures vers les pensées élevées et les sentiments exquis. Un sauvage apercevra l’objet invisible aux plus perçants de nos regards. Il orientera sa marche sur les constellations de la nuit, sur les teintes du feuillage, sur la forme des bancs de neige martelés par les vents. Il connaîtra, avant ses douze ans, l’anatomie détaillée des animaux et des plantes, et nommera chacune de leurs fibres. Il n’oubliera jamais ce qu’il aura une fois remarqué. Il se guidera, vieillard, dans les dédales d’une forêt, où il n’aura passé qu’au hasard, dans son enfance. Mais la flamme de son intelligence, parmi tant d’organes en éveil, paraît dormir sous la cendre d’une ignorance séculaire. Non que cette noble faculté soit absente ni impuissante. La logique parfaite qui a bâti sa langue est là pour le prouver. Mais de quelle laborieuse éducation le développement complet de ces esprits sera-t-il le fruit? L’abstraction pure, si simple qu’elle nous paraisse, comme le nom d’une vertu, comme un coup d’œil d’ensemble sur les explications d’une vérité, leur échappe presque toujours. Même le sens des familières comparaisons, avec lesquelles nous commençons à instruire les enfants de nos pays, leur est souvent un mystère. Racontez à un Indien de culture moyenne les paraboles, limpides et suaves, que Notre-Seigneur daigna proposer à notre entendement: vous constaterez combien il ressemble encore aux Juifs «lents à comprendre». Lorsque vous aurez fini de lui expliquer l’histoire de la brebis perdue, attendez-vous à la question: «Cette brebis-là, ou mieux ce renne-là, était-il bien gras?.. Est-ce que l’homme l’a mangé, après l’avoir attrapé?»

      Le Père Roure, missionnaire des Plats-Côtés-de-Chiens, avait longuement exposé l’histoire de Lazare et du mauvais riche à une sauvagesse qu’il estimait des plus éveillées. L’image du catéchisme de la Bonne Presse avait même servi d’illustration:

      – Voyons! As-tu compris comme il faut?

      – Ah! oui, Père, j’ai bien compris, répondit-elle en montrant tour à tour le personnage du ciel et celui de l’enfer: Lazare, c’est moi; le riche, c’est toi. Ton hangar est plein de provisions, et moi souvent je n’ai rien à manger!

      Cherchera-t-on ensuite le sens poétique, artistique, chez le sauvage?

      Pour lui, beauté égale utilité. Une belle forêt sera une futaie de troncs à demi-calcinés par l’incendie, à travers lesquels son traîneau pourra facilement passer, et qu’il abattra, à peu d’effort, pour se chauffer. Un alignement de cuissots de rennes, nombreux, entrelardés, serait une décoration sans pareille dans son église.

      Le sauvage est un positif.

      Sans la négliger tout à fait, les missionnaires laissèrent au second plan la formation artistique de l’Indien. Ils s’appliquèrent à approfondir les idiomes sauvages, afin de bouleverser leur génie matériel et de les forcer à exprimer à l’âme païenne la réalité des vertus, des mystères et des commandements de notre sainte religion. Après quoi, ils se mirent à enseigner. Ils y réussirent. Ce fut une tâche de géants.

      Nous appelons les Dénés, d’après la propre dénomination que toutes les tribus de la nation se donnent elles-mêmes.

      Déné veut dire l’homme, l’homme par excellence.

      Les voisins des Dénés, Esquimaux au nord, Cris au sud, recourent, pour se qualifier, aux expressions correspondantes de leurs langues.

      Tous animent ces mots: Déné, Innoït, Eniwok, de l’orgueil d’une race qui se croit la seule humaine, et qui méprise ce qui n’est pas elle-même, apportant ce naïf tribut de confirmation au phénomène, consigné sans exception par l’histoire, que tout peuple, ancien ou moderne, grand ou petit, blanc, noir ou jaune, s’estima toujours le premier des peuples.

      Dans quel état l’Evangile trouva-t-il les Dénés, ces hommes supérieurs, ces uniques raisonnables, lorsque sa lumière se projeta sur leurs déserts?

      Ils étaient assis dans les ténèbres de la mort.

      Ils étaient ce que nous fûmes dans les Germains, qui sacrifiaient à Thor et Friga; dans les antropophages de Bretagne et d’Irlande; dans les Druides, prêtres des immolations humaines; dans les Gaulois, adorateurs de Bellone et de Mars, et qui buvaient le sang dans le crâne de leurs ennemis. Ils étaient ce que nous serions encore bientôt, si leurs conditions de vie redevenaient les nôtres. «Laissez une paroisse sans prêtre pendant vingt ans, disait le saint curé Vianney; on y adorera les bêtes.» Après une moins longue absence, Moïse ne trouva-t-il pas son peuple aux pieds du Veau d’Or? Retournant au paganisme des sauvages, nous finirions comme eux, de même que nous commençâmes avec la barbarie de nos aïeux, s’il est vrai que «le barbare est le premier élément de la civilisation», et que «le sauvage en est le dernier déchet».

      Tous les peuples que n’a point illuminés la Révélation divine, ou qui en ont dédaigné les bienfaits, sont idolâtres. Le démon ne fait que revêtir des formes adaptées aux passions de ses esclaves, pour décevoir les raisons livrées à elles-mêmes et corrompre les cœurs qui ne sont point à Dieu. S’il rencontre des instincts féroces, il les met en action dans des sacrifices sanglants et des pratiques de vengeance belliqueuse: ce fut le cas des Algonquins de la prairie. Si, au contraire, la nation sauvage, tombée sous sa puissance, possède une âme naturellement religieuse, de tempérament pacifique, il la rassure touchant la débonnaireté du vrai Dieu qu’elle cherche, et exploite sa faiblesse en lui découvrant des génies appliqués à sa perte, et dont il lui importe d’apaiser la méchanceté, en les honorant: ce fut le cas des Dénés du Nord.

      Les Dénés avaient eu leur temps de guerre contre les Algonquins et les Esquimaux. Puis, ils s’étaient entretués de tribu à tribu. Trop décimés enfin, ils avaient renoncé aux combats ouverts, et étaient devenus les poltrons fuyards, que nous trouvâmes.

      Leur imagination leur forge sans cesse des ennemis qui les poursuivent. Tous les missionnaires du Mackenzie ont assisté à ces scènes de folles paniques, qui seraient des plus risibles, si elles n’inspiraient la compassion. Le Père prêchera paisiblement, au milieu d’un camp sauvage; tout à coup un cri retentira dans la feuillée: dénédjéré! Séance tenante, les Indiens se précipitent sur les loges, les abattent, s’embarquent, et tous les bras poussent au large les pirogues. Qu’est-ce donc? Une femme, un enfant, quelque idiot a cru entendre le déclic d’un chien de fusil, ou bien il aura remarqué une herbe froissée. La peur l’empoigne. Il jette l’alarme: «dénédjéré! ennaslini! C’est l’ennemi!» Rien ne retiendrait


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Nous transcrivons quelques observations du Père Petitot:

Les divisions les plus considérables – en nombre, mais non en qualité – de la race dénée sont «dans le sud des Etats-Unis, où elles sont connues sous le nom de Navajos et d’Apaches. Ces tribus ont dû être séparées de celles de l’Extrême-Nord, à l’époque des guerres générales entre les Indiens.»

Outre les tribus que nous avons énumérées, il y a, dans le Mackenzie, les Sékanais, les Mauvais-Monde, les Gens de la Montagne, etc. Nous les rencontrerons plus tard; mais ce ne sont que des fragments, distincts de nom plus que de réalité, des tribus sus-mentionnées.

«Chaque tribu dénée parle son dialecte; mais la souche mère n’a point été trouvée en Amérique. Les dialectes sont à cette souche perdue ce que sont à notre latin le français, l’italien, l’espagnol, le provençal.

«Les langues dénées rentrent évidemment par leur caractère général dans les idiomes américains dont la tendance est d’accumuler une multitude d’idées dans un seul mot. C’est ce que de Humboldt a appelé agglutination, et Duponceau polysynthétisme. Le Déné, en effet, n’analyse point ses impressions, il les groupe en idées complexes. Il n’a point du tout conscience d’une analyse logique. La synthèse gouverne tellement toutes les formes du langage qu’elle se reflète même dans son écriture: toutes les lettres ne présentent qu’une enfilade de caractères placés à la suite les uns des autres, sans solution de continuité. Le discours revêt même cette forme, et les idées les plus incompatibles y sont liées entre elles sans aucune transition. C’est comme le jeu d’une navette qui ne s’arrête pas pour tisser une étoffe multicolore… Même agglutination dans les mots que dans les phrases, agglutination qui comporte des élisions très embarrassantes lorsqu’il s’agit de distinguer la racine de ce qui n’est qu’accidentel.

«La langue des Dénés présente cependant cette particularité qu’elle est, en partie, monosyllabique ou inorganique, comme l’est par exemple le chinois, et probablement toute langue primitive. Tous les mots racines ne sont que des monosyllabes. J’en ai déjà réuni 745 (en 1867), dont 233 sont dépouillés de toute particule. De ces monosyllabes dériveront tous les autres mots.

«Comme dans la langue chinoise encore, le ton, l’inflexion de la voix changeront du tout au tout la signification de certains mots dénés, qui s’écrivent de la même manière. La prononciation de ces mots et d’une infinité d’autres exige une grande délicatesse d’articulation, une grande précision dans l’intonation et dans l’observance de la quantité prosodique.

«Cette prononciation comporte, en outre, presque toutes les difficultés des langues connues. Elle a des chuintantes, des clappantes, des dentales et des hiatus qui ont fait le désespoir de bien des gens.

«Chose remarquable aussi, il y a peu d’emploi des labiales: le jeu des lèvres est presque nul. Un Déné, les lèvres légèrement entr’ouvertes et sans desserrer les dents, parlera avec une vélocité étonnante et fera entendre les sons les plus heurtés.»

Les langues du Nord, comme les autres, furent apprises par les premiers missionnaires, au seul moyen de leurs observations personnelles. Ils en ont rédigés les dictionnaires et les grammaires. Parmi les maîtres en langues dénées, il faut citer Mgr Grouard, Mgr Breynat, les Pères Petitot, Laurent Legoff, Morice.

Un ministre protestant, M. Evans, inventa, pour l’écriture du langage, un système de caractères syllabiques, hiéroglyphiques, qui fut universellement adopté.

Spécimen d’écriture Syllabique

AVE MARIA EN LANGUE MONTAGNAISE

Traduction littérale

Par toi je laisse aller mon esprit (à la joie) Marie, très-bien Celui qui-a-fait-la-terre t’aime, ton cœur près-de il est, toutes femmes par dessus tu-es grande, et Jésus, il-a-été dans-ton-sein. Lui seul est grand.

Sainte Marie, Le-Puissant sa mère tu es, nous-sommes-mauvais, quand même pour nous prie maintenant et quand nous mourrons à la veille.

Très bien c’est ainsi si c’était.