Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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tête, le regarda de ses yeux mourants.

      – Quoi? dit-elle, qu'attendez-vous? Je ne comprends pas.

      – J'attends que vous me disiez où vous demeurez, afin que je vous fasse reconduire chez vous.

      Elle se redressa sur un genou, et, se reprenant à la fois à la douleur et à la vie:

      – Et moi, je t'ai dit que je ne demeurais nulle part, répliqua-t-elle; je t'ai dit que je ne demandais que le cercueil des suicidés dans la fosse commune, avec les derniers misérables, ou une botte de paille à tes pieds pour y vivre de pain et d'eau, et pour y mourir de faim en te regardant; ce chien, ce malheureux chien enragé qui avait mordu des hommes, tu n'as pas voulu qu'on le tuât, tu l'as emmené avec toi, tu lui as permis de t'aimer; je suis donc pour toi moins que ce chien!

      Jacques ne répondit point, mais essaya de se débarrasser des liens dont l'enveloppait Éva.

      Elle sentit l'effort qu'il faisait pour l'éloigner.

      – Soit, dit-elle en se détachant de lui. Puisque tu as une telle horreur de moi, te voilà libre; mais tu ne peux pas m'empêcher de te suivre, n'est-ce pas? Eh bien! je te jure, par la paille où tu m'as trouvée et que je te redemande inutilement, je te jure que, à défaut d'arme, je pose ma tête sous la roue de la première voiture qui passera.

      – Venez donc, dit Jacques Mérey, j'oubliais d'ailleurs que j'ai une lettre de votre père à vous remettre.

      Et il lui tendit le bras.

      Mais, à son accent, Éva sentit bien que ce n'était pas un pardon, mais une pitié, peut-être même un simple devoir. N'avait-il pas dit qu'il ne l'emmenait que parce qu'il avait une lettre de son père à lui donner?

      – Non, dit-elle en secouant la tête, je ne veux pas abuser de votre bonté; marchez devant, je vous suivrai.

      Jacques Mérey marcha devant, Éva le suivit, un mouchoir sur les yeux.

      Jacques fit approcher une voiture, et montra de la main à la jeune femme la portière ouverte.

      Éva y monta.

      – Une dernière fois, vous ne voulez pas me dire votre adresse? demanda Jacques.

      Éva fit un cri de profonde douleur, un mouvement pour se précipiter hors de la voiture.

      – Ah! dit-elle, je croyais que vous en aviez fini avec cette torture.

      Jacques l'arrêta.

      – Place du Carrousel, hôtel de Nantes! dit-il au cocher.

      Il monta dans le fiacre, qui s'ébranla et roula dans la direction indiquée, et s'assit sur la banquette de devant.

      Éva se laissa glisser des coussins où elle était assise, et, tombant sur ses genoux, embrassa en pleurant ceux de Jacques Mérey.

      Elle ne quitta point cette humble position dans le trajet, assez court du reste, de la place Louvois à la place du Carrousel, où le fiacre s'arrêta.

      VI

      LA LETTRE DE M. DE CHAZELAY

      Jacques Mérey était philosophe, mais en amour il n'y a pas de philosophie.

      Le cœur de l'homme est ainsi fait. Lorsqu'il souffre par la femme qu'il aime, plus il l'aime, plus il éprouve le besoin de la faire souffrir à son tour; et dans cette souffrance qu'il lui impose il trouve une amère et inépuisable douceur.

      Jacques Mérey eût été désespéré qu'Éva lui donnât cette adresse qu'il lui demandait.

      Qu'aurait-il fait, que serait-il devenu quand elle n'aurait plus été là pour qu'il enfonçât dans son cœur les griffes de fer de sa jalousie?

      Il aurait passé la nuit à errer comme un insensé dans les rues de Paris.

      À qui eût-il été dire la rage qui le dévorait?

      Tous ceux qu'il aimait d'amitié étaient morts; toutes les têtes aux joues desquels il avait appuyé ses lèvres étaient tombées.

      Danton était mort, Camille Desmoulins était mort, Vergniaud était mort.

      Il n'y avait point jusqu'au père Sanson, à qui il avait demandé un asile et qui l'avait sauvé, il n'y avait pas jusqu'à ce brave royaliste qui était mort du douleur d'avoir été forcé de tuer le roi.

      Jacques Mérey s'était réfugié en Amérique, de l'autre côté de l'Océan. Il avait suivi les événements qui se passaient en France; il avait vu Marat frappé dans sa baignoire; il avait vu Danton, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine, Hérault de Séchelles, marcher à l'échafaud; il avait vu la chute de Robespierre au 9 thermidor; il avait vu les progrès de la réaction; il avait vu les députés proscrits comme lui revenir prendre leur place sur les bancs de la Convention; enfin il avait vu le 13 vendémiaire constituer un nouveau gouvernement; alors, sans avoir aucune certitude pour sa sûreté personnelle, il était parti, emporté par son désir de revoir Éva.

      Les vents contraires, la mer mauvaise l'avaient jeté sur les bancs de Terre-Neuve et lui avaient fait une traversée de quarante-neuf jours. Enfin il était arrivé le matin même du Havre, était descendu à l'hôtel de Nantes, tout naturellement, comme le lièvre revient à son lancer. Et le soir, ayant entendu parler de la solennité théâtrale qui s'accomplissait rue Louvois, il s'y était rendu dans l'espoir de trouver quelqu'un de connaissance qu'il pût interroger.

      Le hasard l'avait servi au delà de ses souhaits.

      Nous l'avons vu tout à la fois faible courage et méchant cœur, ne pouvant échapper à sa misérable condition d'homme, ramener chez lui Éva, heureuse d'y venir, sous le prétexte de lui donner la lettre de son père, mais en réalité pour la torturer plus longtemps.

      Plus grand il voyait son amour, plus grand était son besoin de la faire souffrir.

      Il rentra chez lui, et tandis que le garçon de l'hôtel, en allumant les bougies, regardait avec étonnement cette belle créature, mise avec une suprême élégance, qui restait anéantie sur le fauteuil où elle était tombée, il alla droit au secrétaire et y prit le portefeuille qui renfermait tous les souvenirs chers à son cœur.

      Il revint alors s'asseoir près d'un guéridon de marbre sur lequel était posé un candélabre, et tira du portefeuille plusieurs papiers.

      Le garçon était sorti et avait refermé la porte.

      Son plan de douleur était dressé.

      Il semblait que, non pas au point de l'amour, mais au point de vue humain, ce qu'il faisait était mal, mais une incroyable puissance le poussait à chercher dans ce cœur en lambeaux une preuve d'amour plus grande que les plaintes, les larmes et les sanglots.

      – Puis-je parler, demanda-t-il d'une voix ferme à force de volonté, et m'écoutez-vous?

      Éva joignit les mains, tourna ses beaux yeux baignés de larmes vers Jacques.

      – Oh oui! je t'écoute, dit-elle, comme j'écouterais l'ange du jugement dernier.

      – Je ne suis pas votre juge, dit Jacques, mais seulement le messager chargé de vous faire connaître quelques détails qu'il est important que vous connaissiez.

      – Sois pour moi ce que tu voudras être dit-elle, j'écoute.

      – Inutile de vous dire que j'ignorais où ceux qui vous avaient enlevée à moi vous avaient conduite. J'appris en même temps l'émigration et la mort de votre père, que, dans une nuit de combat, au feu de la mousqueterie, j'avais cru reconnaître dans la forêt d'Argonne.

      Espérant apprendre quelque chose de vous dans les papiers laissés par votre père, je me fis autoriser à visiter ces papiers, et je partis pour Mayence dans ce but. Le quartier général français était à Francfort. Je poussai jusqu'à Francfort. Là je trouvai un aide de camp du général Custine; j'ai eu l'ingratitude d'oublier son nom.

      – Le citoyen André Simon, murmura Éva.

      – Oui, c'est cela.

      – Je m'en


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