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très-bonne et qu'elle lui avait fait beaucoup de plaisir.
L'abbé Cotin, irrité contre Despréaux qui l'avait raillé, dans sa troisième satire, sur le petit nombre d'auditeurs qu'il avait à ses sermons, fit une mauvaise satire contre lui dans laquelle on lui reprochait, comme un grand crime, d'avoir imité Horace et Juvénal. Cotin ne s'en tint pas à sa satire: il publia un autre ouvrage sous ce titre: la Critique désintéressée sur les satires du temps. Il y chargea Despréaux des injures les plus grossières, et lui imputa des crimes imaginaires, comme de ne reconnaître ni Dieu, ni foi, ni loi. Il s'avisa encore, malheureusement pour lui, de faire entrer Molière dans cette dispute, et ne l'épargna pas, non plus que Despréaux. Celui-ci ne s'en vengea que par de nouvelles railleries; mais Molière acheva de le perdre de réputation, en l'immolant sur le théâtre, à la risée publique, dans la comédie des Femmes savantes.
La scène cinquième du troisième acte de cette pièce, est l'endroit qui a fait le plus de bruit. Trissotin et Vadius y sont peints d'après nature. Car l'abbé Cotin était véritablement l'auteur du sonnet à la princesse Uranie. Il l'avait fait pour madame de Nemours, et il était allé le montrer à Mademoiselle, princesse qui se plaisait à ces sortes de petits ouvrages, et qui, d'ailleurs, considérait fort l'abbé Cotin, jusqu'à l'honorer du nom de son ami. Comme il achevait de lire ses vers, Ménage entra. Mademoiselle les fit voir à Ménage, sans lui en nommer l'auteur. Ménage les trouva, ce qu'effectivement ils étaient, détestables. Là-dessus nos deux poëtes se dirent à peu près l'un à l'autre les douceurs que Molière a si agréablement rimées.
Ce fut Despréaux, à ce qu'on prétend, qui fournit à Molière l'idée de la scène des Femmes savantes entre Trissotin et Vadius. La même scène s'était passée, a-t-on dit aussi, entre Gilles Boileau, frère du satirique, et l'abbé Cotin. Molière était en peine de trouver un mauvais ouvrage pour exercer sa critique, et Despréaux lui apporta le propre sonnet de l'abbé Cotin avec un madrigal du même auteur, dont Molière sut si bien faire son profit dans sa scène incomparable.
Molière fit acheter un des habits de Cotin pour le faire porter à celui qui faisait le personnage dans sa pièce. Molière joua d'abord Cotin sous le nom de Tricotin, que plus malicieusement, sous prétexte de mieux déguiser, il changea depuis en Trissotin, équivalant à trois fois sot. Jamais homme, excepté Montmaur, n'a tant été turlupiné que le pauvre Cotin. On fit en 1682, peu de temps après sa mort, ces quatre vers:
Savez-vous en quoi Cotin
Diffère de Trissotin?
Cotin a fini ses jours,
Trissotin vivra toujours.
A l'égard de Vadius, le public a été persuadé que c'était Ménage. Et Richelet, aux mots s'adresser et reprocher, ne l'a pas dissimulé. Ménage disait à ce sujet: «On dit que les Femmes savantes de Molière sont mesdames de… et l'on me veut faire accroire que je suis le savant qui parle d'un ton doux. Ce sont choses cependant que Molière désavouait.»
Molière a joué, dans ses Femmes savantes, l'hôtel de Rambouillet, qui était le rendez-vous de tous les beaux-esprits. Molière y eut un grand succès et y était fort bien venu; mais lui ayant été dit quelques railleries piquantes de la part de Cotin et de Ménage, il n'y mit plus le pied, et joua, comme nous l'avons dit, Cotin sous le nom de Trissotin et Ménage sous le nom de Vadius. Cotin avait introduit Ménage chez madame de Rambouillet: ce dernier allant voir cette dame après la première représentation des Femmes savantes, où elle s'était trouvée, elle ne put s'empêcher de lui dire: «Quoi! Monsieur, vous souffrirez que cet impertinent de Molière nous joue de la sorte?» Ménage ne lui fit point d'autre réponse que celle-ci: «Madame, j'ai vu la pièce, elle est parfaitement belle; on n'y peut rien trouver à redire, ni à critiquer.» Si ce récit est vrai, il fait honneur à Ménage.
Bayle a pris plaisir de peindre l'effet que la comédie des Femmes savantes produisit sur Cotin et sur ses admirateurs. Ce passage est curieux. Nous le transcrirons en entier:
«Cotin, qui n'avait été déjà que trop exposé au mépris public par les satires de M. Despréaux, tomba entre les mains de Molière qui acheva de le ruiner de réputation, en l'immolant sur le théâtre, à la risée de tout le monde. Je vous nommerais, si cela était nécessaire, deux ou trois personnes de poids qui, à leur retour de Paris, après les premières représentations des Femmes savantes, racontèrent en province qu'il fut consterné de ce coup; qu'il se regarda et qu'on le considéra comme frappé de la foudre; qu'il n'osait plus se montrer; que ses amis l'abandonnèrent; qu'ils se firent une honte de convenir qu'ils eussent eu avec lui quelques liaisons, et, qu'à l'exemple des courtisans qui tournent le dos à un favori disgracié, ils firent semblant de ne pas connaître cet ancien ministre d'Apollon et des neuf sœurs, proclamé indigne de sa charge et livré au bras séculier des satiriques. Je veux croire que c'étaient des hyperboles, mais on n'a pas vu qu'il ait donné depuis ce temps-là nul signe de vie; et il y a toute apparence que le temps de sa mort serait inconnu, si la réception de M. l'abbé Dangeau, son successeur à l'Académie française, ne l'avait notifié. Cette réception fut cause que M. de Visé, qui l'a décrite avec beaucoup d'étendue, dit en passant que M. l'abbé Cotin était mort au mois de janvier 1682. Il ne joignit à cela aucun mot d'éloge, et vous savez que ce n'est pas sa coutume. Les extraits qu'il donna amplement de la harangue de M. l'abbé Dangeau, nous font juger qu'on s'arrêta peu sur le mérite du prédécesseur, et qu'il semblait qu'on marchait sur la braise à cet endroit-là. Rien n'est plus contre l'usage que cette conduite. La réponse du directeur de l'Académie, si nous en jugeons par les extraits, fut entièrement muette, par rapport au pauvre défunt. Autre inobservation de l'usage. Je suis sûr que vous voudriez que M. Despréaux eût succédé à Cotin? L'embarras qu'il aurait senti en composant sa harangue, aurait produit une scène fort curieuse.4 Mais que direz-vous du sieur Richelet qui a publié que l'on enterra l'abbé Cotin à Saint-Méry, l'an 1673. Il lui ôte huit ou neuf années de sa vie, et ils demeuraient l'un et l'autre dans Paris. M. Baillet le croyait encore vivant en 1684: voilà une grande marque d'abandon et d'obscurité. Quelle révolution dans la fortune d'un homme de lettres! Il avait été loué par des écrivains illustres. Il était de l'Académie française depuis quinze ans. Il s'était signalé à l'hôtel de Luxembourg et à l'hôtel de Rohan. Il y exerçait la charge de bel-esprit juré et comme en titre d'office; et personne n'ignore que les nymphes qui y présidaient n'étaient pas dupes. Ses Œuvres galantes avaient eu un si prompt débit, et il n'y avait pas fort longtemps qu'il avait fallu que la deuxième édition suivît de près la première, et voilà que tout d'un coup il devient l'objet de la risée publique, et qu'il ne se peut jamais relever de cette funeste chute.» (Réponse aux questions d'un provincial, tome 1er, chap. 29, page 245, 250.)
Boileau corrigea deux vers de la première scène des Femmes savantes, que le poëte comique avait faits ainsi:
Quand sur une personne on prétend s'ajuster,
C'est par les beaux côtés qu'il la faut imiter.
Despréaux trouva du jargon dans ces deux vers, et les rétablit de cette façon:
Quand sur une personne on prétend se régler,
C'est par ses beaux endroits qu'il lui faut ressembler.
Le Malade imaginaire est la dernière production de Molière. Le matin du jour de la troisième représentation, il se sentit plus souffrant de sa maladie de poitrine. Il déclara qu'il ne pourrait jouer si on n'avançait pas le spectacle et si on ne commençait pas à quatre heures précises. Sa femme et Baron le pressèrent de prendre du repos, et de ne pas jouer; «Hé! que feraient, répondit-il, tant de pauvres ouvriers? Je me reprocherais d'avoir négligé, un seul jour, de leur donner du pain.» Les efforts qu'il fit pour achever son rôle, augmentèrent son mal, et l'on s'aperçut qu'en prononçant le mot juro, dans le divertissement du troisième acte, il lui prit une convulsion. On le porta chez lui, dans sa maison, rue de Richelieu, où il fut suffoqué d'un vomissement de sang, le 17 février 1673.
Molière étant mort, les comédiens se disposaient à
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L'auteur du