Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second. Du Casse Albert

Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second - Du Casse Albert


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fut stupéfait de voir sur l'affiche du Palais-Royal l'annonce de la comédie du Misanthrope. Un mois ne s'était pas écoulé depuis sa conversation avec le directeur de la troupe, que la comédie promise faisait son apparition à la scène. Seulement, si Angelo était un homme de goût, il dut faire une différence notable entre ce qu'il avait entendu à Naples et ce qu'il entendit à Paris.

      Le sujet du Misanthrope avait frappé Molière et il s'était mis à l'œuvre. Profitant, comme il le faisait toujours, de ses observations, habile à saisir le ridicule, il introduisit dans sa pièce un trait plein d'esprit et que son ami Despréaux lui avait fourni sans s'en douter. On sait que Despréaux ne pouvait souffrir les vers de Chapelain. Molière cherchait à détourner Boileau de l'espèce d'acharnement avec lequel ce dernier abîmait, dans ses satires, un homme jouissant d'une certaine considération dans le monde, un homme bien en Cour, favorisé du ministre Colbert, ajoutant que ses railleries par trop fortes pourraient quelque jour lui attirer quelque disgrâce du ministre et même du Roi. Cette amicale mercuriale ayant mis Despréaux de fort mauvaise humeur: – «Oh! répondit-il, le Roi et M. de Colbert feront ce qu'il leur plaira; mais, à moins que le Roi ne m'ordonne expressément de trouver bons les vers de Chapelain, je soutiendrai toujours qu'un homme, après avoir fait la Pucelle, mérite d'être pendu.» Molière rit beaucoup de cette saillie et s'en empara pour son Misanthrope, où l'on trouve à la fin de la dernière scène du second acte:

PHILINTE

      Mais il faut suivre l'ordre; allons, disposez-vous.

ALCESTE

      Quel accommodement veut-on faire entre nous?

      La voix de ces Messieurs me condamnera-t-elle

      A trouver bons les vers qui font notre querelle?

      Je ne me dédis point de ce que j'en ai dit,

      Je les trouve méchants.

PHILINTE

      Mais d'un plus doux esprit…

ALCESTE

      Je n'en démordrai point, les vers sont exécrables.

PHILINTE

      Vous devez faire voir des sentiments traitables,

      Allons, venez.

ALCESTE

      J'irai, mais rien n'aura pouvoir

      De me faire dédire.

PHILINTE

      Allons nous faire voir.

ALCESTE

      Lors qu'un commandement exprès du Roi me vienne,

      De trouver bons les vers dont on se met en peine,

      Je soutiendrai toujours, morbleu! qu'ils sont mauvais

      Et qu'un homme est pendable après les avoir faits.

      On sait qu'en 1664, pendant les fêtes de Versailles, Molière avait fait représenter les trois premiers actes de son Tartuffe devant Louis XIV. Quoique le public n'eût pas été appelé à juger ces trois actes, ils avaient déjà cependant fortement impressionné les faux dévots. Un bruit sourd commençait à s'élever autour de Molière, bruit qui ne devait pas tarder à dégénérer en orage. Quelques libelles satiriques avaient paru contre l'auteur du Tartuffe; c'est à propos de ces libelles que ce dernier fit dire à Alceste, dans la première scène du cinquième acte:

      Et, non content encor du tort que l'on me fait,

      Il court parmi le monde un livre abominable

      Et de qui la lecture est même condamnable;

      Un livre à mériter la dernière rigueur, etc.

      Molière, avant de faire jouer son Misanthrope, le lut, comme il faisait habituellement, à son ami Boileau. Boileau s'en montra non seulement on ne peut plus satisfait, mais déclara qu'à ses yeux, c'était un chef-d'œuvre. Néanmoins, lorsque la pièce fut donnée à messieurs les comédiens, ces messieurs la trouvèrent froide, ennuyeuse, et ne la reçurent que par une sorte de considération pour leur directeur. Le public leur donna d'abord gain de cause; la plus belle création du grand Molière tomba tout net. On vint donner cette nouvelle à Racine, alors brouillé avec Molière, croyant lui faire un sensible plaisir. – «La pièce est à bas, lui dit un des ennemis de l'auteur, elle est froide, détestable; vous pouvez m'en croire, j'y étais. – Vous y étiez, reprit Racine, eh bien! moi je n'y étais pas, et, cependant, jamais je ne croirai que Molière ait fait une mauvaise pièce; retournez-y et examinez-la mieux.»

      Ainsi donc, deux hommes, Boileau et Racine, l'un après avoir lu et vu jouer le Misanthrope, l'autre sans l'avoir lu ni vu, soutinrent seuls en France, contre tout le public, la meilleure composition de Molière.

      Molière retira la pièce en souriant, bien décidé à faire revenir petit à petit, et par des moyens détournés, le public parisien du sot jugement qu'il avait porté et qui n'était peut-être qu'un résultat de l'amour-propre froissé. Ceci mérite explication.

      A la première représentation du Misanthrope, après la lecture du sonnet d'Oronte, le parterre applaudit beaucoup, non pas la plaisanterie consistant à faire débiter à Oronte des vers ridicules, mais le sonnet lui-même, qui lui parut charmant. Lorsqu'Alceste, à la suite de la scène, démontre clairement que les vers de ce sonnet sont:

      De ces colifichets dont le bon sens murmure,

      le parterre, alors souverain au théâtre, confus d'avoir pris le change, tourna contre la pièce la mauvaise humeur qu'il ressentait d'avoir si maladroitement jugé.

      Boileau disait partout, et à qui voulait l'entendre, que cette comédie aurait un succès prodigieux, qu'elle porterait aux nues la gloire de Molière. – «Bah! reprit un jour ce dernier, vous verrez bien autre chose.» Il voulait parler du Tartuffe, pièce à laquelle il mettait alors la dernière main, et qu'il préférait évidemment au Misanthrope.

      Afin de ramener le public à des sentiments plus justes, voici ce qu'imagina Molière. Il prit dans les petites comédies qu'il avait fait jadis représenter en province, le sujet d'une pièce fort amusante dont nous avons parlé plus haut: le Médecin malgré lui ou le Fagoteux. Il remit au théâtre le Misanthrope, précédé de ce Fagoteux, qui eut un grand succès et fut joué trois mois de suite, toujours précédant le Misanthrope. Ainsi, à l'aide de la farce et sous son abri tutélaire, le chef-d'œuvre de Molière s'insinua tout doucettement dans la faveur du parterre. D'abord on le supporta; ensuite on le demanda; puis on l'apprécia, et, comme l'avait prédit Boileau, on le comprit et on l'admira.

      Les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier, grand seigneur d'une vertu austère, qu'Alceste, c'était lui; qu'on avait voulu le mettre en scène. Le duc alla voir la pièce et dit tout haut, en sortant, qu'il voudrait bien ressembler au Misanthrope.

      Depuis le mois d'août 1665, la troupe de Molière avait reçu le titre de troupe du Roi, et Louis XIV, pour la fixer tout à fait à son service, lui avait accordé une pension de sept mille livres.

      C'est en 1667 que le Tartuffe parut en entier sur la scène du Palais-Royal. Déjà donc, depuis près de deux ans, la troupe qui avait été jadis l'Illustre Théâtre, était en possession du titre qui faisait sa gloire, lorsque le second chef-d'œuvre de son directeur vint soulever une tempête, non-seulement dans le monde littéraire de l'époque, mais encore et surtout dans le monde religieux, qui voulait voir absolument, dans le Tartuffe, la personnification des hommes jetés dans la dévotion, au lieu d'y voir la critique des hypocrites et des faux dévots.

      D'où vint à Molière la première idée du Tartuffe, c'est ce que l'on ignore, mais on connaît à quelle source il a puisé le nom singulier de cette comédie, nom qui est resté type pour la désignation des hommes vicieux, grimaçant la dévotion et se faisant de la religion un masque pour arriver à des fins peu avouables. A l'époque où Molière travaillait à ce chef-d'œuvre, il vint faire une visite au nonce du Pape, chez


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