Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second. Du Casse Albert
scène du Fâcheux Chasseur. Ce qu'il y a de plus piquant, c'est que l'auteur, n'étant pas très au fait des termes techniques usités lorsqu'on parle de chasse, se les fit apprendre par le comte de Soyecourt lui-même. Le Roi sut bon gré à Molière d'avoir suivi son conseil, et s'amusa infiniment de la scène ajoutée aux Fâcheux, scène qui, en effet, est une des meilleures de cette charmante comédie. Au troisième acte, l'un des personnages, Ormin, veut faire parvenir au Roi un grand projet, et propose de mettre toutes les côtes de France en ports de mer, afin d'arriver à des bénéfices énormes. Cette plaisanterie, imaginée par Molière, semble revivre de nos jours, mais prise au sérieux par un des grands organes de la publicité, qui a demandé, tout récemment, qu'on fasse de Paris un port de mer, en inondant une des plaines qui l'environnent. Avec deux cents millions le tour sera joué, et la capitale de la France, qui donne depuis si longtemps à notre brave armée de terre ses plus joyeux et ses plus intrépides soldats, aura le bonheur d'offrir en outre, à l'armée de mer, ses mousses les plus hardis, ses matelots les plus indomptables, ses amiraux les plus énergiques. Seulement, pour cela, il faut que nous ayons, comme le dit le Visé moderne: Paris-port. Molière a donc devancé son siècle de deux cents ans.
L'année 1662 fut une année de succès littéraires et dramatiques pour l'auteur des Fâcheux, mais elle marque fatalement dans sa vie intérieure. Molière eut la fatale pensée d'épouser une jeune fille dont il avait guidé les premiers pas, mademoiselle Béjart, et cette union le rendit malheureux pour le reste de ses jours. Il n'en continua pas moins avec ardeur ses travaux dramatiques. A chaque instant, une nouvelle comédie sortait tout armée de son fertile cerveau. Ainsi, il fournit successivement au théâtre, après les Fâcheux: l'École des femmes, la Critique de l'École des femmes, l'Impromptu de Versailles, pièces critiques qui remuèrent la Cour et la ville, et donnèrent lieu à une foule d'anecdotes.
L'idée première de l'École des femmes, fut inspirée à Molière par la lecture d'un livre intitulé: les Nuits facétieuses du seigneur Strapole. Dans une des histoires de ce livre, un individu fait confidence à son ami (qu'il ne sait pas être son rival), des faveurs obtenues près de sa maîtresse. C'est sur ce faible canevas que Molière broda, en peu de temps, la riche comédie qui devait rester à la scène et dans laquelle un rôle, celui d'Agnès, devenait un type toujours admiré. Malgré les beautés que renferme cette pièce, et peut-être aussi à cause de ses charmes, les ennemis du poëte firent tous leurs efforts pour la dénigrer. Des critiques sanglantes parurent de toutes parts. Boileau vengea Molière par une pièce de vers qui se termine ainsi:
Laisse gronder tes envieux:
Ils ont beau crier, en tous lieux,
Qu'en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n'ont rien de plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.
On s'éleva beaucoup contre l'inconvenance de la scène du deuxième acte, où Arnolphe s'enquiert de ce qui s'est passé entre Agnès et Horace:
Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses,
Ne vous faisait-il point aussi quelques caresses?
Oh tant! il me prenait et les mains et les bras,
Et de me les baiser il n'était jamais las.
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelqu'autre chose?
Ouf…
Eh! il m'a…
Quoi!
Pris…
Euh!..
Le…
Plaît-il?
Je n'ose,
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.
Non.
Si fait.
Mon Dieu, non.
Jurez donc votre foi.
Ma foi, soit!
Il m'a pris… vous serez en colère.
Non.
Si
Non, non, non, non. Diantre! Que de mystères!
Qu'est-ce qu'il vous a pris?
Il…
Je souffre en damné.
Il m'a pris le ruban que vous m'aviez donné;
A vous dire vrai, je n'ai pu m'en défendre.
Passe pour le ruban. Mais je voulais apprendre
S'il ne vous a rien fait que vous baiser les bras.
Comment! Est-ce que l'on fait d'autres choses?
Non pas.
Mais pour guérir du mal qu'il dit qui le possède,
N'a-t-il point exigé de vous d'autre remède?
Non. Vous pouvez juger, s'il en eût demandé,
Que, pour le secourir, j'aurais tout accordé.
De fait, la réticence contenue dans cette scène serait peut-être acceptée difficilement aujourd'hui, où l'on accepte cependant bien des choses, où les mots à double entente sont fort de mise sur le théâtre. Molière le sentit, puisqu'il chercha dans la critique de cette pièce, dont il fit une autre jolie comédie, à pallier ce que cette scène pouvait avoir d'inconvenant.
Lors de la première représentation de l'École des femmes, le duc de la Feuillade et quelques grands seigneurs qui n'aimaient pas Molière et croyaient montrer, par une critique fort peu intelligente, l'esprit qu'ils n'avaient pas, s'élevèrent contre cette comédie. On raconte qu'un de leurs adeptes, nommé Plapisson, s'écriait à mi-voix du théâtre où il était, en regardant le parterre, chaque fois qu'on riait et applaudissait: – «Ris donc, parterre, ris donc…» comédie dans la comédie qui amusait infiniment le public, et le faisait redoubler ses éclats de rire si désagréables pour Plapisson.
Des discussions littéraires, comme il s'en engageait beaucoup à cette époque du grand siècle, accueillirent l'École des femmes. On demandait un jour au duc de la Feuillade qui, dans le principe, s'en était déclaré l'ennemi, de formuler ses griefs. – «Ah! parbleu! s'écria le duc, voilà qui est plaisant? peut-on soutenir une pièce où l'on a mis Tarte à la crème? Tarte à la crème est détestable, n'a pas le sens commun, tarte à la crème est odieux;» et l'estimable grand seigneur ne sortit pas de là.
On sait qu'à la première scène, Arnolphe, expliquant à son frère son système d'éducation pour les femmes, s'écrie:
Je prétends que la mienne, en clartés