La Liberté et le Déterminisme. Fouillée Alfred
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La Liberté et le Déterminisme
PRÉFACE
La méthode de conciliation, dans l'ordre philosophique, nous paraît supérieure à la méthode de réfutation, comme le libéralisme dans l'ordre social est supérieur aux voies répressives. La vérité, plus large que nos systèmes, accorde une place dans son sein aux choses les plus opposées: elle ne divise pas, elle unit pour régner. Notre pensée ne pourrait-elle, à son image, se faire conciliante et libérale? Mieux vaut compléter les doctrines que les réfuter; mieux vaut accepter des autres et faire accepter de soi le plus possible. Reste-t-il, malgré cela, en dehors du cercle de nos idées, quelque grande doctrine qui semble inconciliable avec la nôtre et cependant vivace, par cela même plausible; traçons encore, sans nous décourager, à partir de ce centre qui est notre point de vue personnel, des rayons de plus en plus grands, pour voir si nous ne pourrions pas enfin embrasser l'opinion de nos adversaires dans notre doctrine élargie.
Le système du déterminisme et celui de la liberté, n'ayant pu se détruire depuis une lutte de tant de siècles, doivent marquer deux directions de l'esprit en partie légitimes, qui, si elles étaient poussées assez loin, finiraient par converger. C'est cette direction convergente que nous allons essayer de découvrir, d'abord dans la pratique, où l'accord sera plus facile, puis dans la théorie. Nous ne prétendons pas arriver jusqu'au point final où se révélerait une coïncidence parfaite: la série des moyens-termes qu'il faudrait intercaler pour obtenir une entière conciliation des vérités, et par conséquent une entière explication des choses, est probablement infinie; tout ce qu'on peut faire, c'est d'ajouter, s'il est possible, quelques anneaux de plus à la chaîne des raisons.
En donnant cette nouvelle édition, nous devons insister sur la méthode et sur la théorie fondamentale du livre. Notre méthode consistera à compléter d'abord et à rectifier chacun des systèmes adverses, en élargissant les fondements positifs qui sont comme sa base propre d'opération. Puis, nous chercherons les parties communes aux systèmes ainsi complétés, conséquemment leurs convergences et coïncidences. Enfin, nous essaierons d'intercaler entre eux des moyens-termes, qu'ils seront également forcés d'admettre et par lesquels se produiront de nouvelles harmonies. A cette méthode, qu'on a mal à propos confondue avec d'autres bien différentes, nous ne croyons pas qu'on ait adressé aucune objection vraiment sérieuse. Quant aux moyens-termes entre les systèmes, il en est un, croyons-nous, dont l'introduction est d'une haute importance dans le problème qui nous occupe: c'est l'idée de la liberté, avec le désir qui en est inséparable et l'action directrice qui en résulte. Le livre qu'on va lire a pour but de montrer l'influence de cette idée. Il renferme ainsi une partie entièrement scientifique et par cela même, si nous ne nous trompons, au-dessus de toute contestation en son ensemble. Nous y avons joint des spéculations métaphysiques d'un caractère nécessairement conjectural; il importe de ne pas les confondre avec les résultats positifs de notre analyse et de notre synthèse. L'action directrice qui appartient à l'idée de liberté demeure aussi incontestable pour les partisans du déterminisme que pour ses adversaires. D'une part, si c'est le déterminisme qui, dans le fond des choses, est le vrai, du moins a-t-il besoin de faire une place en son sein à l'idée de liberté et à son efficacité pratique. L'oubli de cet élément essentiel est un vice qui se retrouve dans tous les systèmes déterministes et qui les rend incomplets, inadéquats à l'observation, contraires à la conscience de l'humanité. Il faut donc rectifier le déterminisme par l'introduction de cette donnée capitale: la pensée se réfléchissant sur soi et se concevant directrice; car ici la réflexion même devient une force nouvelle qui s'ajoute aux forces antécédentes. D'autre part, si c'est la liberté qui est le vrai et dernier fond des choses, encore n'agit-elle qu'en se faisant idée, qu'en prenant conscience de soi, qu'en produisant par cela même un déterminisme de pensées et de désirs, soumis à une pensée et à un désir dominateurs: pensée de la liberté, désir de la liberté. Nous avons donc là un terrain commun aux deux doctrines, et un terrain proprement scientifique; elles peuvent s'y réconcilier alors même qu'elles demeurent encore divisées dans leurs hypothèses sur le mystère métaphysique, sur le dernier mot de l'existence, sur le fond absolu du vouloir. Ce mystère métaphysique subsistera toujours au bout de tous nos efforts, dans la direction du déterminisme comme dans celle de l'indéterminisme: c'est une leçon de modestie et de modération également utile aux théories adverses et qui a, dans la pratique même, son importance morale; car le doute métaphysique est, à nos yeux, une des conditions de la moralité1.
Le problème que nous allons aborder n'est pas seulement un problème philosophique; il est, par excellence, le problème philosophique. Toutes les autres questions viennent se rattacher à celle-là. Aussi ne croirons-nous point avoir perdu notre peine en contribuant à produire l'accord des esprits, sinon sur l'essence de l'activité morale, du moins sur les idées par lesquelles elle se manifeste et sur celle qui constitue sa fin même, sa loi, son moyen de progrès: l'idée libératrice de la liberté.
L'importance et la perpétuelle actualité du problème nous a été montrée, comme sur le fait, par la discussion passionnée à laquelle la première publication de notre travail donna lieu, il y a dix ans, dans le monde philosophique et même non philosophique. Nous avons essayé, dans cette nouvelle édition, de rectifier ou de compléter notre pensée et de répondre, directement ou indirectement, à toutes les objections sérieuses et sincères qui nous ont été adressées.
Depuis la première publication de ce livre, nos idées à nous-même, sous l'influence d'une recherche incessante, se sont sur plus d'un point développées et même modifiées; nous faisons moins de part aujourd'hui, aux spéculations transcendantes et métaphysiques, plus de part au point de vue immanent et aux hypothèses d'un caractère scientifique. Mais les théories fondamentales de ce livre nous paraissent toujours vraies, et les spéculations métaphysiques elles-mêmes, où se retrouve quelque peu de l'enthousiasme propre à la jeunesse, nous ont semblé contenir des parties très plausibles, que nous avons conservées. Nous n'avons retranché que ce qui nous paraissait inexact ou erroné; nous avons laissé ce qui nous paraissait vrai, ou probable, ou même simplement possible. Notre but a été de condenser ainsi dans notre livre tout ce qu'on peut, à tous les points de vue, dire en faveur de la liberté sans se mettre en contradiction avec la science et avec la logique. Nous avons d'ailleurs pris soin de marquer, mieux que dans la première édition, la différence du certain et de l'hypothétique, du vrai et du vraisemblable, de la science positive et de la métaphysique.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
L'IDÉE DE LIBERTÉ, MOYEN TERME PRATIQUE ENTRE LES DOCTRINES CONTRAIRES. – GENÈSE DE L'IDÉE DE LIBERTÉ
I. Genèse de l'idée de liberté.
II. Puissance pratique créée en nous par l'idée de liberté et par la persuasion que nous sommes pratiquement libres. – Evolution à laquelle le déterminisme est ainsi amené dans la pratique.
Puisque nous essayons de rapprocher d'abord dans la pratique le déterminisme et la liberté, ou même, s'il est possible, de les faire coïncider pratiquement dans quelque moyen terme, nous devons, selon la méthode que nous avons adoptée, pousser le déterminisme rectifié aussi loin que nous le pourrons dans l'ordre scientifique. Nous verrons ainsi jusqu'à quel point sa direction vraie le rapproche du système de la liberté. Je dis sa direction vraie, car nous ne devons considérer le déterminisme que dans ce qu'il a de légitime, de scientifique et de conforme au témoignage de l'expérience.
Le problème est le suivant: – Trouver dans les lois mêmes de notre dépendance ce qui supplée pratiquement à notre indépendance et en produit en nous le sentiment pratique; produire ainsi au sein même de la nécessité un progrès vers la liberté.
Ce que le déterminisme renferme de plus solide et de vraiment scientifique, c'est l'explication des actes sous le rapport de leurs antécédents chronologiques, de leurs motifs et de leurs mobiles. Cette explication n'est peut-être pas la seule, elle n'est peut-être pas l'explication radicale et métaphysique; mais, dans ce qu'elle a de légitime, elle doit être poussée méthodiquement aussi avant qu'il est possible. Or, parmi les motifs conscients
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