Le Bossu Volume 5. Féval Paul

Le Bossu Volume 5 - Féval Paul


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Associons-nous!

      – En suis-je? demanda une petite voix aigrelette, qui semblait sortir de la poche du grand baron de Batz.

      On se retourna. Le bossu était là prêtant son dos à un marchand de faïence qui donnait le fond de son magasin pour une douzaine de chiffons, et qui était heureux.

      – Au diable! fit Navailles en reculant, je n'aime pas cette créature!

      – Va plus loin! ordonna brutalement Gironne.

      – Messieurs, je suis votre serviteur, repartit le bossu avec politesse; j'ai loué une place et le jardin est à moi comme à vous.

      – Quand je pense, dit Oriol, que ce démon qui nous a tant intrigués cette nuit, n'est qu'un méchant pupitre ambulant…

      – Pensant… écoutant… parlant… prononça le bossu en piquant chacun de ces trois mots.

      Il salua, sourit et alla à ses affaires.

      Navailles le suivit du regard.

      – Hier, je n'avais pas peur de ce petit homme… murmura-t-il.

      – C'est qu'hier, dit Montaubert à voix basse, nous pouvions encore choisir notre chemin!

      – Ton idée, Albret, ton idée! s'écrièrent plusieurs voix.

      On se serra autour d'Albret qui parla pendant quelques minutes avec vivacité.

      – C'est superbe! dit Gironne; je comprends.

      – C'est ziberpe! répéta le baron de Batz; ché gombrends… mais egsbliguez-moi engore!

      – Eh! fit Nocé, c'est inutile!.. à l'œuvre!.. Il faut que dans une heure la rafle soit faite!

      Ils se dispersèrent aussitôt. La moitié environ sortit par la cour et la rue Saint-Magloire, pour se rendre rue Quincampoix par le grand tour. Les autres allèrent seuls ou par petits groupes, causant çà et là bonnement des affaires du temps.

      Au bout d'un quart d'heure, environ, Taranne et Choisy rentrèrent par la porte qui donnait rue Quincampoix. Ils firent une percée à grands coups de coude, et interpellant Oriol qui causait avec Gironne:

      – Une fureur! s'écrièrent-ils, – une folie!.. Elles font trente et trente-cinq au cabaret de Venise… quarante et jusqu'à cinquante chez Foulon… Dans une heure, elles feront cent… Achetez! achetez!

      Le bossu riait dans son coin.

      – On te donnera un os à ronger, petit, lui dit Nocé à l'oreille, sois sage.

      – Merci, mon digne monsieur, répondit Ésope II humblement, c'est tout ce qu'il me faut.

      Le bruit s'était cependant répandu en un clin d'œil que les bleues allaient faire cent avant la fin de la journée. Les acheteurs se présentaient en foule. Albret, qui avait toutes les actions de l'association dans son portefeuille, vendit en masse à cinquante, au comptant; il se fit fort en outre pour une quantité considérable à livrer au même taux sur le coup de deux heures.

      Alors, débouchèrent, par la même porte donnant sur la rue Quincampoix, Oriol et Montaubert, avec des visages de deux aunes.

      – Messieurs, dit Oriol à ceux qui lui demandaient pourquoi cet air consterné, je ne crois pas qu'il faille volontiers répéter ces fatales nouvelles… cela ferait baisser les fonds…

      – Et quoi que nous en ayons, ajouta Montaubert avec un profond soupir, la chose se fera toujours assez vite!

      – Manœuvre! manœuvre! cria un gros marchand qui avait ses poches gonflées de petites filles.

      – La paix, Oriol! fit Montaubert, vous voyez à quoi vous nous exposez!

      Mais le cercle avide et compact de curieux se massait déjà autour d'eux.

      – Parlez, messieurs, dites ce que vous savez! s'écria-t-on; c'est un devoir d'honnête homme!

      Oriol et Montaubert restèrent muets comme des poissons.

      – Ché fais fus le tire, moi, dit le baron de Batz qui arrivait, tépâcle! tépâcle! tépâcle!

      – Débâcle? pourquoi?

      – Manœuvre, vous dit-on!

      – Silence, vous, le gros homme!.. Pourquoi débâcle?

      – Ché sais bas! répondit gravement le baron; Zinguande bur zen te paisse!

      – Cinquante pour cent de baisse!

      – En tix minides!

      – En dix minutes! mais c'est une dégringolade!

      – Ia! c'est eine técrincolate!.. ein tésasdre!.. eine banigue!..

      – Messieurs! messieurs! dit Montaubert, tout beau!.. n'exagérons rien!..

      – Vingt bleues, quinze de prime! criait-on déjà aux alentours.

      – Quinze bleues, quinze!.. à dix de prime et du temps…

      – Vingt-cinq au pair!..

      – Messieurs, messieurs! c'est de la folie!.. l'enlèvement du jeune roi n'est pas encore un fait officiel…

      – Rien ne prouve, ajouta Oriol, que M. Law ait pris la fuite…

      – Et que M. le régent soit prisonnier au palais royal! acheva Montaubert d'un air profondément désolé.

      Il y eut un silence de stupeur, puis une grande clameur, composée de mille cris.

      – Le jeune roi enlevé! M. Law en fuite! Le régent prisonnier!

      – Trente actions à cinquante de perte!

      – Quatre-vingts bleues à soixante!

      – A cent!.. à cent cinquante…

      – Messieurs! messieurs! faisait Oriol, ne vous pressez pas.

      – Moi, je vends toutes les miennes à trois cents de perte! s'écria Navailles qui n'en avait plus une seule, les prenez-vous?

      Oriol fit un geste d'énergique refus.

      Les bleues firent aussitôt quatre cents de perte.

      Montaubert continuait:

      – On ne surveillait pas assez les du Maine… ils avaient des partisans… M. le chancelier d'Aguesseau était du coup, M. le cardinal de Bissy, M. de Villeroy et le maréchal de Villars… ils ont eu de l'argent par M. le prince de Cellamare… Judicaël de Malestroit, marquis de Pontcallec, le plus riche gentilhomme de Bretagne, a pris le jeune roi sur la route de Versailles et l'a emmené à Nantes… le roi d'Espagne passe en ce moment les Pyrénées avec une armée de trois cent mille hommes: c'est là un fait malheureusement avéré!

      Soixante bleues à cinq cents de perte! cria-t-on dans la foule toujours croissante.

      – Messieurs, messieurs, ne vous pressez pas… il faut du temps pour amener une armée des monts Pyrénéens jusqu'à Paris!.. D'ailleurs, ce sont des on dit… rien que des on dit!..

      – Tes on tit!.. tes on tit!.. répéta le baron de Batz; ch'ai engore eine action… ché la tonne pur zing zents vrancs!.. foilà!

      Personne ne voulut de l'action du baron de Batz, et les offres recommencèrent à grands cris.

      – Au pis aller, reprit Oriol, si M. Law n'était pas en fuite…

      – Mais, demanda-t-on, qui détient le régent prisonnier?

      – Bon Dieu! répondit Montaubert, vous m'en demandez plus que je n'en sais, mes bonnes gens! moi je n'achète ni ne vends, Dieu merci!.. M. le duc de Bourbon était mécontent, à ce qu'il paraît… on parle aussi du clergé pour l'affaire de la constitution… il y en a qui prétendent que le czar est mêlé à tout cela et veut se faire proclamer roi de France.

      Ce fut un cri d'horreur. Le baron de Batz proposa son action pour cent écus.

      A ce moment de panique universelle, Albret,


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