Le Bossu Volume 5. Féval Paul

Le Bossu Volume 5 - Féval Paul


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gros petit traitant Oriol, Montaubert, Taranne et les autres criaient comme des aigles. Avoir besoin d'être sans péché pour jeter la première pierre, c'était bon du temps de Notre-Seigneur!

      On amena le pauvre malheureux terrifié, à demi mort, devant Gonzague. Son crime était d'avoir passé au bleu une action blanche pour bénéficier de la petite prime affectée temporairement aux titres à la mode.

      – Pitié! pitié! criait-il; je n'avais pas compris toute l'énormité de mon crime!

      – Monseigneur! dit Peyrolles, on ne voit ici que des faussaires.

      – Monseigneur, ajouta Montaubert, il faut un exemple!

      Et la foule:

      – Horreur! Infamie! Un faux! Ah! le scélérat! point de pardon!

      – Qu'on le jette dehors! décida Gonzague en détournant les yeux.

      La foule s'empara aussitôt du pauvre diable, en criant:

      – A la rivière! à la rivière!

      Il était cinq heures du soir. Le premier son de la cloche de fermeture tinta dans la rue Quincampoix. Les terribles accidents qui chaque jour se renouvelaient avaient déterminé l'autorité à défendre les négociations des actions après la brume tombée. C'était toujours à ce dernier moment que le délire du jeu arrivait à son comble. Vous eussiez dit une mêlée. On se prenait au collet, les clameurs se croisaient si drues qu'on n'entendait plus qu'un seul et même hurlement.

      Dieu sait si le bossu avait de la besogne! mais son regard ne quittait point M. de Gonzague.

      Il avait entendu ce nom de Chaverny.

      – On va fermer!.. on ferme! criait la cohue. Dépêchons! dépêchons!

      Si Ésope II, dit Jonas, avait eu plusieurs douzaines de bosses, quelle fortune!

      – Que vouliez-vous me dire du marquis de Chaverny, monseigneur? demanda Peyrolles.

      Gonzague était en train de rendre un signe de tête protecteur et hautain au salut de ses affidés.

      Il avait réellement grandi depuis la veille, par rapport à ceux qui s'étaient rapetissés.

      – Chaverny, répéta-t-il d'un air distrait; ah oui… Chaverny… Fais-moi penser tout à l'heure qu'il faut que je parle à ce bossu.

      – Et la jeune fille? n'est-il pas dangereux de la laisser au pavillon?

      – Très-dangereux… Elle n'y restera pas longtemps… Pendant que j'y songe, ami Peyrolles, nous soupons chez dona Cruz… une réunion d'intimes… que tout soit prêt…

      Il ajouta quelques mots à son oreille. Peyrolles s'inclina et dit:

      – Monseigneur, il suffit.

      – Bossu! s'écria un endosseur mécontent, tu trépignes comme un petit fou!.. tu ne sais plus ton métier… Messieurs, il nous faudra reprendre la Baleine!

      Peyrolles s'éloignait; M. de Gonzague le rappela.

      – Et trouvez-moi Chaverny! dit-il, mort ou vif, je veux Chaverny.

      Le bossu secoua son dos sur lequel on était en train de signer.

      – Je suis las, dit-il, voici la cloche, j'ai besoin de repos.

      La cloche tintait en effet et les concierges passaient en faisant sonner leurs grosses clefs.

      Quelques minutes après, on n'entendait plus d'autre bruit que celui des cadenas que l'on fermait. Chaque locataire avait sa serrure, et les marchandises non vendues ou échangées restaient dans les loges. Les gardiens pressaient vivement les retardataires.

      Nos spéculateurs associés, Navailles, Taranne, Oriol, etc., s'étaient approchés de Gonzague qu'ils entouraient chapeau bas.

      Gonzague avait les yeux fixés sur le bossu qui, assis sur un pavé à la porte de sa niche, n'avait point l'air de se disposer à sortir. Il comptait paisiblement le contenu de son grand sac de cuir et avait, en apparence du moins, beaucoup de plaisir à cette besogne.

      – Nous sommes venus ce matin savoir des nouvelles de votre santé, monsieur mon cousin, dit Navailles.

      – Et nous avons été heureux, ajouta Nocé, d'apprendre que vous ne vous étiez point trop ressenti des fatigues de la fête d'hier.

      – Il y a quelque chose qui fatigue plus que le plaisir, messieurs, répondit Gonzague, c'est l'inquiétude.

      – Le fait est, dit Oriol qui voulait à tout prix placer son mot; le fait est que l'inquiétude… moi, je suis comme cela… quand on est inquiet…

      Ordinairement, Gonzague était bon prince et venait au secours de ses courtisans qui se noyaient, mais cette fois, il laissa Oriol perdre plante.

      Le bossu riait sur son pavé.

      Quand il eut achevé de compter son argent, il tordit le cou à son sac de cuir et l'attacha soigneusement avec une corde. – Puis, il se disposa à rentrer dans sa cabane.

      – Allons, Jonas! lui dit un gardien; est-ce que tu comptes coucher ici?

      – Oui, mon ami, répondit le bossu; j'ai apporté ce qu'il me faut pour cela.

      Le gardien éclata de rire. Ces messieurs l'imitèrent, sauf le prince de Gonzague qui garda son grand sérieux.

      – Voyons! voyons! fit le gardien; pas de plaisanteries, mon petit homme! Déguerpissons… et vite!

      Le bossu lui ferma la porte au nez.

      Comme le gardien frappait à grands coups de pied dans la niche, le bossu montra sa tête pâlotte au petit œil de bœuf qui était sous le toit.

      – Justice! monseigneur! s'écria-t-il.

      – Justice! répétèrent joyeusement ces messieurs.

      – C'est dommage que Chaverny ne soit pas ici, ajouta Navailles; on l'aurait chargé de rendre cette importante et grave sentence.

      Gonzague réclama le silence d'un geste:

      – Chacun doit sortir au son de cloche, dit-il, c'est le règlement.

      – Monseigneur, répliqua Ésope II dit Jonas du ton bref et précis d'un avocat qui pose ses conclusions; je vous prie de vouloir bien considérer que je ne suis pas dans la position de tout le monde… tout le monde n'a pas loué la loge de votre chien…

      – Bien trouvé! crièrent les uns.

      Les autres dirent:

      – Que prouve cela?

      – Médor, répondit le bossu, avait-il coutume, oui ou non, de coucher dans sa niche?

      – Bien trouvé! bien trouvé!

      – Si Médor avait, comme je puis le prouver, l'habitude de coucher dans sa niche, moi qui suis substitué, moyennant trente mille livres, aux droits et priviléges de Médor, je prétends faire comme lui et je ne sortirai d'ici que si on m'expulse par la violence.

      Gonzague sourit cette fois. Il exprima son approbation par un signe de tête. Le gardien se retira.

      – Viens ça, dit le prince.

      Jonas sortit aussitôt de sa niche.

      Il s'approcha et salua en homme de bonne compagnie.

      – Pourquoi veux-tu demeurer là dedans? lui demanda Gonzague.

      – Parce que la place est sûre et que j'ai de l'argent.

      – Penses-tu avoir fait une bonne affaire avec ta niche?

      – Une affaire d'or, monseigneur… je le savais d'avance.

      Gonzague lui mit la main sur l'épaule. – Le bossu poussa un petit cri de douleur.

      Cela lui était arrivé déjà cette nuit dans le vestibule des appartements du régent.

      – Qu'as-tu donc? demanda le prince étonné.

      – Un


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