Les grandes espérances. Чарльз Диккенс

Les grandes espérances - Чарльз Диккенс


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trouvai dans une chambre assez vaste, éclairée par des bougies, car pas le moindre rayon de soleil n'y pénétrait. C'était un cabinet de toilette, à en juger par les meubles, quoique la forme et l'usage de la plupart d'entre eux me fussent inconnus; mais je remarquai surtout une table drapée, surmontée d'un miroir doré, que je pensai, à première vue devoir être la toilette d'une grande dame.

      Je n'aurais peut-être pas fait cette réflexion sitôt, si dès en entrant, je n'avais vu, en effet, une belle dame assise à cette toilette, mais je ne saurais le dire. Dans un fauteuil, le coude appuyé sur cette table et la tête penchée sur sa main, était assise la femme la plus singulière que j'eusse jamais vue et que je verrai jamais.

      Elle portait de riches atours, dentelles, satins et soies, le tout blanc; ses souliers mêmes étaient blancs. Un long voile blanc tombait de ses cheveux; elle avait sur la tête une couronne de mariée; mais ses cheveux étaient tout blancs. De beaux diamants étincelaient à ses mains et autour de son cou et quelques autres étaient restés sur la table. Des habits moins somptueux que ceux qu'elle portait étaient à demi sortis d'un coffre et éparpillés alentour. Elle n'avait pas entièrement terminé sa toilette, car elle n'avait chaussé qu'un soulier; l'autre était sur la table près de sa main, son voile n'était posé qu'à demi; elle n'avait encore ni sa montre ni sa chaîne, et quelques dentelles, qui devaient orner son sein, étaient avec ses bijoux, son mouchoir, ses gants, quelques fleurs et un livre de prières, confusément entassées autour du miroir.

      Ce ne fut pas dans le premier moment que je vis toutes ces choses, quoique j'en visse plus au premier abord qu'on ne pourrait le supposer. Mais je vis bien vite que tout ce qui me paraissait d'une blancheur extrême, ne l'était plus depuis longtemps; cela avait perdu tout son lustre, et était fané et jauni. Je vis que dans sa robe nuptiale, la fiancée était flétrie, comme ses vêtements, comme ses fleurs, et qu'elle n'avait conservé rien de brillant que ses yeux caves. On voyait que ces vêtements avaient autrefois recouvert les formes gracieuses d'une jeune femme, et que le corps sur lequel ils flottaient maintenant s'était réduit, et n'avait plus que la peau et les os. J'avais vu autrefois à la foire une figure de cire représentant je ne sais plus quel personnage impassible, exposé après sa mort. Dans une autre occasion, j'avais été voir, à la vieille église de nos marais, un squelette couvert de riches vêtements qu'on venait de découvrir sous le pavé de l'église. En ce moment, la figure de cire et le squelette me semblaient avoir des yeux noirs qu'ils remuaient en me regardant. J'aurais crié si j'avais pu.

      Qui est la? demanda la dame assise à la table de toilette.

      – Pip, madame.

      – Pip?

      – Le jeune homme de M. Pumblechook, madame, qui vient… pour jouer.

      – Approche, que je te voie… approche… plus près… plus près…»

      Ce fut lorsque je me trouvai devant elle et que je tâchai d'éviter son regard, que je pris une note détaillée des objets qui l'entouraient. Je remarquai que sa montre était arrêtée à neuf heures moins vingt minutes, et que la pendule de la chambre était aussi arrêtée à la même heure.

      «Regarde-moi, dit miss Havisham, tu n'as pas peur d'une femme qui n'a pas vu la lumière du soleil depuis que tu es au monde?»

      Je regrette d'être obligé de constater que je ne reculai pas devant l'énorme mensonge, contenu dans ma réponse négative.

      «Sais-tu ce que je touche là, dit-elle en appuyant ses deux mains sur son côté gauche.

      – Oui, madame.»

      Cela me fit penser au jeune homme qui avait dû me manger le cœur.

      «Qu'est-ce?

      – Votre cœur.

      – Oui, il est mort!»

      Elle murmura ces mots avec un regard étrange et en sourire de Parque, qui renfermait une espèce de vanité. Puis, ayant tenu ses mains sur son cœur pendant quelques moments, elle les ôta lentement, comme si elles eussent pressé trop fortement sa poitrine.

      «Je suis fatiguée, dit miss Havisham; j'ai besoin de distraction… je suis lasse des hommes et des femmes… Joue.»

      Je pense que le lecteur le plus exigeant voudra bien convenir que, dans les circonstances présentes, il eût été difficile de me donner un ordre plus embarrassant à remplir.

      «J'ai de singulières idées quelquefois, continua-t-elle, et j'ai aujourd'hui la fantaisie de voir quelqu'un jouer. Là! là!.. fit-elle en agitant avec impatience les doigts de sa main droite; joue!.. joue!.. joue!..»

      Un moment la crainte de voir venir ma sœur m'aider, comme elle l'avait promis, me donna l'idée de courir tout autour de la chambre, en galopant comme la jument de M. Pumblechook, mais je sentis mon incapacité de remplir convenablement ce rôle, et je n'en fis rien. Je continuai à regarder miss Havisham d'une façon qu'elle trouva sans doute peu aimable, car elle me dit:

      «Es-tu donc maussade et obstiné?

      – Non madame, je suis bien fâché de ne pouvoir jouer en ce moment. Oui, très fâché pour vous. Si vous vous plaignez de moi, j'aurai des désagréments avec ma sœur, et je jouerais, je vous l'assure, si je le pouvais, mais tout ici est si nouveau, si étrange, si beau… si triste!..»

      Je m'arrêtai, craignant d'en dire trop, si ce n'était déjà fait, et nous nous regardâmes encore tous les deux.

      Avant de me parler, elle jeta un coup d'œil sur les habits qu'elle portait, sur la table de toilette, et enfin sur elle-même dans la glace.

      «Si nouveau pour lui, murmura-t-elle; si vieux pour moi; si étrange pour lui; si familier pour moi; si triste pour tous les deux! Appelle Estelle.»

      Comme elle continuait à se regarder dans la glace, je pensai qu'elle se parlait à elle-même et je me tins tranquille.

      «Appelle Estelle, répéta-t-elle en lançant sur moi un éclair de ses yeux. Tu peux bien faire cela, j'espère? Vas à la porte et appelle Estelle.»

      Aller dans le sombre et mystérieux couloir d'une maison inconnue, crier: «Estelle!» à une jeune et méprisante petite créature que je ne pouvais ni voir ni entendre, et avoir le sentiment de la terrible liberté que j'allais prendre, en lui criant son nom, était presque aussi effrayant que de jouer par ordre. Mais elle répondit enfin, une étoile brilla au fond du long et sombre corridor… et Estelle s'avança, une chandelle à la main.

      Miss Havisham la pria d'approcher, et prenant un bijou sur la table, elle l'essaya sur son joli cou et sur ses beaux cheveux bruns.

      «Ce sera pour vous un jour, dit-elle, et vous en ferez bon usage. Jouez aux cartes avec ce garçon.

      – Avec ce garçon! Pourquoi?.. ce n'est qu'un simple ouvrier!»

      Il me sembla entendre miss Havisham répondre, mais cela me paraissait si peu vraisemblable:

      «Eh bien! vous pouvez lui briser le cœur!

      – À quoi sais-tu jouer, mon garçon? me demanda Estelle avec le plus grand dédain.

      Je ne joue qu'à la bataille, mademoiselle.

      Eh bien! battez-le,» dit miss Havisham à Estelle.

      Nous nous assîmes donc en face l'un de l'autre.

      C'est alors que je commençai à comprendre que tout, dans cette chambre, s'était arrêté depuis longtemps, comme la montre et la pendule. Je remarquai que miss Havisham remit le bijou exactement à la place où elle l'avait pris. Pendant qu'Estelle battait les cartes, je regardai de nouveau sur la table de toilette et vis que le soulier, autrefois blanc, aujourd'hui jauni, n'avait jamais été porté. Je baissai les yeux sur le pied non chaussé, et je vis que le bas de soie, autrefois blanc et jaune à présent, était complètement usé. Sans cet arrêt dans toutes choses, sans la durée de tous ces pâles objets à moitié détruits, cette toilette nuptiale sur ce corps affaissé m'eût semblé un vêtement de mort, et ce long voile un suaire.

      Miss Havisham se tenait immobile comme un cadavre pendant que nous jouions aux cartes; et les garnitures


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