Les grandes espérances. Чарльз Диккенс

Les grandes espérances - Чарльз Диккенс


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Un peu oppressé par l'obscurité, je me tins à l'entrée, et je la vis passer au milieu des feux éteints, monter un petit escalier en fer, puis disparaître dans une galerie supérieure, comme dans les nuages.

      Ce fut dans cet endroit et à ce moment, qu'une chose très étrange se présenta à mon imagination. Si je la trouvai étrange alors, plus tard je l'ai considérée comme bien plus étrange encore. Je portai mes yeux un peu éblouis par la lumière du jour sur une grosse poutre placée à ma droite, dans un coin, et j'y vis un corps pendu par le cou; ce corps était habillé tout en blanc jauni, et n'avait qu'un seul soulier aux pieds. Il me sembla que toutes les garnitures fanées de ses vêtements étaient en papier, et je crus reconnaître le visage de miss Havisham, se balançant, en faisant des efforts pour m'appeler. Dans ma terreur de voir cette figure que j'étais certain de ne pas avoir vue un moment auparavant, je m'en éloignai d'abord, puis je m'en approchai ensuite, et ma terreur s'accrut au plus haut degré, quand je vis qu'il n'y avait pas de figure du tout.

      Il ne fallut rien moins, pour me rappeler à moi, que l'air frais et la lumière bienfaisante du jour, la vue des personnes passant derrière les barreaux de la grille et l'influence fortifiante du pain, de la viande et de la bière qui me restaient. Et encore, malgré cela, ne serais-je peut-être pas revenu à moi aussitôt que je le fis, sans l'approche d'Estelle, qui, ses clefs à la main, venait me faire sortir. Je pensai qu'elle serait enchantée, si elle s'apercevait que j'avais eu peur, et je résolus de ne pas lui procurer ce plaisir.

      Elle me lança un regard triomphant en passant à côté de moi, comme si elle se fût réjouie de ce que mes mains étaient si rudes et mes chaussures si grossières, et elle m'ouvrit la porte et se tint de façon à ce que je devais passer devant elle. J'allais sortir sans lever les yeux sur elle, quand elle me toucha à l'épaule.

      «Pourquoi ne pleures-tu pas?

      – Parce que je n'en ai pas envie.

      – Mais si, dit-elle, tu as pleuré; tu as les yeux bouffis, et tu es sur le point de pleurer encore.»

      Elle se mit à rire d'une façon tout à fait méprisante, me poussa dehors et ferma la porte sur moi. Je rendis tout droit chez M. Pumblechook. J'éprouvai un immense soulagement en ne le trouvant pas chez lui. Après avoir dit au garçon de boutique quel jour je reviendrais chez miss Havisham, je me mis en route pour regagner notre forge, songeant en marchant à tout ce que j'avais vu, et repassant dans mon esprit: que je n'étais qu'un vulgaire ouvrier; que mes mains étaient rudes et mes souliers épais; que j'avais contracté la déplorable habitude d'appeler les valets des Jeannots; que j'étais bien plus ignorant que je ne l'avais cru la veille, et qu'en général, je ne valais pas grand'chose.

      CHAPITRE IX

      Quand j'arrivai à la maison, ma sœur se montra fort en peine de savoir ce qui se passait chez miss Havisham, et m'accabla de questions. Je me sentis bientôt lourdement secoué par derrière, et je reçus plus d'un coup dans la partie inférieure du dos; puis elle frotta ignominieusement mon visage contre le mur de la cuisine, parce que je ne répondais pas avec assez de prestesse aux questions qu'elle m'adressait.

      Si la crainte de n'être pas compris existe chez les autres petits garçons au même degré qu'elle existait chez moi, chose que je considère comme vraisemblable, car je n'ai pas de raison pour me croire une monstruosité, c'est la clef de bien des réserves. J'étais convaincu que si je décrivais miss Havisham comme mes yeux l'avaient vue, je ne serais pas compris, et bien que je ne la comprisse moi-même qu'imparfaitement, j'avais l'idée qu'il y aurait de ma part quelque chose de méchant et de fourbe à la présenter aux yeux de Mrs Joe telle qu'elle était en réalité. La même suite d'idées m'amena à penser que je ne devais pas parler de miss Estelle. En conséquence, j'en dis le moins possible, et ma pauvre tête dut essuyer à plusieurs reprises les murs de la cuisine.

      Le pire de tout, c'est que cette vieille brute de Pumblechook, attiré par une dévorante curiosité de savoir tout ce que j'avais vu et entendu, arriva au grand trot de sa jument, au moment de prendre le thé, pour tâcher de se faire donner toutes sortes de détails; et la simple vue de cet imbécile, avec ses yeux de poisson, sa bouche ouverte, ses cheveux d'un blond ardent, dressés par une attente curieuse, et son gilet, soulevé par sa respiration mathématique, ne firent que renforcer mes réticences.

      «Eh bien! mon garçon, commença l'oncle Pumblechook, dès qu'il fut assis près du feu, dans le fauteuil d'honneur, comment t'en es-tu tiré là-bas.

      – Assez bien, monsieur,» répondis-je.

      Ma sœur me montra son poing crispé.

      «Assez bien? répéta Pumblechook; assez bien n'est pas une réponse. Dis-nous ce que tu entends par assez bien, mon garçon.»

      Peut-être le blanc de chaux endurcit-il le cerveau jusqu'à l'obstination: ce qu'il y a de certain, c'est qu'avec le blanc de chaux du mur qui était resté sur mon front, mon obstination s'était durcie à l'égal du diamant. Je réfléchis un instant, puis je répondis, comme frappé d'une nouvelle idée:

      «Je veux dire assez bien…»

      Ma sœur eut une exclamation d'impatience et allait s'élancer sur moi. Je n'avais aucun moyen de défense, car Joe était occupé dans la forge, quand M. Pumblechook intervint.

      «Non! calmez-vous… laissez-moi faire, ma nièce… laissez-moi faire.»

      Et M. Pumblechook se tourna vers moi, comme s'il eût voulu me couper les cheveux, et dit:

      «D'abord, pour mettre de l'ordre dans nos idées, combien font quarante-trois pence?»

      Je calculai les conséquences qui pourraient résulter, si je répondais: «Quatre cents livres,» et les trouvant contre moi, j'en retranchai quelque chose comme huit pence. M. Pumblechook me fit alors suivre après lui la table de multiplication des pence et dit:

      «Douze pence font un shilling, donc quarante pence font trois shillings et quatre pence.»

      Puis il me demanda triomphalement:

      «Eh bien! maintenant, combien font quarante-trois pence?»

      Ce à quoi je répondis après une mûre réflexion:

      «Je ne sais pas.»

      M. Pumblechook me secoua alors la tête comme un marteau pour m'enfoncer de force le nombre dans la cervelle et dit:

      «Quarante-trois pence font-ils sept shillings, six pence trois liards, par hasard?

      – Oui, dis-je.

      – Mon garçon, recommença M. Pumblechook en revenant à lui et se croisant les bras sur la poitrine, comment est miss Havisham?

      – Elle est grande et noire, dis-je.

      – Est-ce vrai, mon oncle?» demanda ma sœur.

      M. Pumblechook fit un signe d'assentiment, duquel je conclus qu'il n'avait jamais vu miss Havisham, car elle n'était ni grande ni noire.

      «Bien! fit M. Pumblechook, c'est le moyen de le prendre; nous allons savoir ce que nous désirons.

      – Je voudrais bien, mon oncle, dit ma sœur, que vous le preniez avec vous; vous savez si bien en faire ce que vous voulez.

      – Maintenant, mon garçon, que faisait-elle, quand tu es entré?

      – Elle était assise dans une voiture de velours noir,» répondis-je.

      M. Pumblechook et ma sœur se regardèrent tout étonnés, comme ils en avaient le droit, et répétant tous deux:

      «Dans une voiture de velours noir?

      – Oui, répondis-je. Et miss Estelle, sa nièce, je pense, lui tendait des gâteaux et du vin par la portière, sur un plateau d'or, et nous eûmes tous du vin et des gâteaux sur des plats d'or, et je suis monté sur le siège de derrière pour manger ma part, parce qu'elle me l'avait dit.

      – Y avait-il là d'autres personnes? demanda mon oncle.

      – Quatre chiens, dis-je.

      – Gros ou petits?

      – Énormes!


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