Les grandes espérances. Чарльз Диккенс

Les grandes espérances - Чарльз Диккенс


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demanda miss Havisham à Camille.

      Nous étions alors tout près de cette dernière, et j'allais en profiter pour m'arrêter; mais miss Havisham ne le voulait pas; nous poursuivîmes donc, et je sentis que je déplaisais considérablement à Camille.

      «Merci, miss Havisham, continua-t-elle, je vais aussi bien que je puis l'espérer.

      – Comment cela?.. qu'avez-vous?.. demanda miss Havisham, avec une vivacité surprenante.

      – Rien qui vaille la peine d'être dit, répliqua Camille; je ne veux pas faire parade de mes sentiments. Mais j'ai pensé à vous toute la nuit, et cela plus que je ne l'aurais voulu.

      – Alors, ne pensez pas à moi.

      – C'est plus facile à dire qu'à faire, répondit tendrement Camille, en réprimant un soupir, tandis que sa lèvre supérieure tremblait et que ses larmes coulaient en abondance. Raymond sait de combien de gingembre et de sels j'ai été obligée de faire usage toute la nuit, et combien de mouvements nerveux j'ai éprouvés dans ma jambe. Mais tout cela n'est rien quand je pense à ceux que j'aime… Si je pouvais être moins affectueuse et moins sensible, j'aurais une digestion plus facile et des nerfs de fer. Je voudrais bien qu'il en fût ainsi; mais, quant à ne plus penser à vous pendant la nuit… ô quelle idée!»

      Ici, elle éclata en sanglots.

      Je compris que le Raymond en question n'était autre que le monsieur présent, et qu'il était en même temps M. Camille. Il vint au secours de sa femme, et lui dit en manière de consolation:

      «Camille… ma chère… c'est un fait avéré que vos sentiments de famille vous minent, au point de rendre une de vos jambes plus courte que l'autre.

      – Je ne savais pas, dit la digne dame, dont je n'avais encore entendu la voix qu'une seule fois, que penser à une personne vous donnât des droits sur cette même personne, ma chère.»

      Miss Sarah Pocket, que je contemplais alors, était une petite femme, vieille, sèche, à la peau brune et ridée; elle avait une petite tête qui semblait faite en coquille de noix et une grande bouche, comme celle d'un chat sans les moustaches. Elle répétait sans cesse:

      «Non, en vérité, ma chère… Hem!.. hem!..

      – Penser, ou ne pas penser, est chose assez facile, dit la grave dame.

      – Quoi de plus facile? appuya miss Sarah Pocket.

      – Oh! oui! oui! s'écria Camille, dont les sentiments en fermentation semblaient monter de ses jambes jusqu'à son cœur. Tout cela est bien vrai. L'affection poussée à ce point est une faiblesse, mais je n'y puis rien… Sans doute, ma santé serait bien meilleure s'il en était autrement; et cependant, si je le pouvais, je ne voudrais pas changer cette disposition de mon caractère. Elle est la cause de bien des peines, il est vrai; mais c'est aussi une consolation de sentir qu'on la possède.»

      Ici, nouvel éclat de sentiments.

      Miss Havisham et moi ne nous étions pas arrêtés une seule minute pendant tout ce temps: tantôt faisant le tour de la chambre, tantôt frôlant les vêtements des visiteurs, et tantôt encore mettant entre eux et nous toute la longueur de la lugubre pièce.

      «Voyez, Mathew! dit Camille. Il ne fraye jamais avec mes parents et s'inquiète fort peu de mes liens naturels; il ne vient jamais ici savoir des nouvelles de miss Havisham! J'en ai été si choquée, que je me suis accrochée au sofa avec le lacet de mon corset, et que je suis restée étendue pendant des heures, insensible, la tête renversée, les cheveux épars et les jambes je ne sais pas comment…

      – Bien plus hautes que votre tête, mon amour, dit M. Camille.

      – Je suis resté dans cet état des heures entières, à cause de la conduite étrange et inexpliquable de Mathew, et personne ne m'a remerciée.

      – En vérité! je dois dire que cela ne m'étonne pas, interposa la grave dame.

      – Vous voyez, ma chère, ajouta miss Sarah Pocket, une doucereuse et charmante personne, on serait tenté de vous demander de qui vous attendiez des remercîments, mon amour.

      – Sans attendre ni remercîments ni autre chose, reprit Camille, je suis restée dans cet état, pendant des heures, et Raymond est témoin de la manière dont je suffoquais, et de l'inefficacité du gingembre, à tel point qu'on m'entendait de chez l'accordeur d'en face, et que ses pauvres enfants, trompés, croyaient entendre roucouler des pigeons à distance… et, après tout cela, s'entendre dire…»

      Ici Camille porta la main à sa gorge comme si les nouvelles combinaisons chimiques qui s'y formaient l'eussent suffoquée.

      Au moment où le nom de Mathew fut prononcé, miss Havisham m'arrêta et s'arrêta aussi en levant les yeux sur l'interlocutrice. Ce changement eut quelque influence sur les mouvements nerveux de Camille et les fit cesser.

      «Mathew viendra me voir à la fin, dit miss Havisham avec tristesse, quand je serai étendue sur cette table. Ici… dit-elle en frappant la table avec sa béquille, ici sera sa place! là, à ma tête! La vôtre et celle de votre mari, là! et celle de Sarah Pocket, là! et celle de Georgiana, là! À présent, vous savez tous où vous vous mettrez quand vous viendrez me voir pour la dernière fois. Et maintenant, allez!»

      À chaque nom, elle avait frappé la table à un nouvel endroit avec sa canne, après quoi elle me dit:

      «Promène-moi!.. promène-moi!..»

      Et nous recommençâmes notre course.

      «Je suppose, dit Camille, qu'il ne nous reste plus qu'à nous retirer. C'est quelque chose d'avoir vu, même pendant si peu de temps, l'objet de mon affection. J'y penserai, en m'éveillant la nuit, avec tendresse et satisfaction. Je voudrais voir à Mathew cette consolation. Je suis résolue à ne plus faire parade de mes sensations; mais il est très dur de s'entendre dire qu'on souhaite la mort d'une de ses parentes, qu'on s'en réjouit, comme si elle était un phénix et de se voir congédiée… Quelle étrange idée!»

      M. Camille allait intervenir au moment où Mrs Camille mettait sa main sur son cœur oppressé et affectait une force de caractère qui n'était pas naturelle et devait renfermer, je le prévoyais, l'intention de tomber en pâmoison, quand elle serait dehors. Elle envoya de la main un baiser à miss Havisham et disparut.

      Sarah Pocket et Georgiana se disputaient à qui sortirait la dernière; mais Sarah était trop polie pour ne pas céder le pas; elle se glissa avec tant d'adresse derrière Georgiana, que celle-ci fut obligée de sortir la première. Sarah Pocket fit donc son effet séparé en disant ces mots:

      «Soyez bénie, chère miss Havisham!»

      Et en ayant, sur sa petite figure de coquille de noix, un sourire de pitié pour la faiblesse des autres.

      Pendant qu'Estelle les éclairait pour descendre, miss Havisham continuait de marcher, en tenant toujours sa main sur mon épaule; mais elle se ralentissait de plus en plus. À la fin, elle s'arrêta devant le feu, et dit, après l'avoir regardé pendant quelques secondes:

      «C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma naissance, Pip.»

      J'allais lui en souhaiter encore un grand nombre, quand elle leva sa canne.

      «Je ne souffre pas qu'on en parle jamais, pas plus ceux qui étaient ici tout à l'heure que les autres. Ils viennent me voir ce jour-là, mais ils n'osent pas y faire allusion.»

      Bien entendu, je n'essayai pas, moi non plus, d'y faire allusion davantage.

      «À pareil jour, bien longtemps avant ta naissance, ce monceau de ruines, qui était alors un gâteau, dit-elle en montrant du bout de sa canne, mais sans y toucher, l'amas de toiles d'araignées qui était sur la table, fut apporté ici. Lui et moi, nous nous sommes usés ensemble; les souris l'ont rongé, et moi-même j'ai été rongée par des dents plus aiguës que celles des souris.»

      Elle porta la tête de sa canne à son cœur, en s'arrêtant pour regarder la table, et contempla ses habits autrefois blancs, aujourd'hui flétris et jaunis comme elle, la nappe autrefois blanche et aujourd'hui jaunie et flétrie


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