Robinson Crusoe. II. Defoe Daniel

Robinson Crusoe. II - Defoe Daniel


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de pleurer quand il m'adressait ces paroles. Aussi lui demandai-je d'abord si sa situation lui permettait de se dépouiller de tant d'argent à la fois, et si cela ne le gênerait point. Il me répondit qu'à la vérité cela pourrait le gêner un peu, mais que ce n'en était pas moins mon argent, et que j'en avais peut-être plus besoin que lui.

      Tout ce que me disait ce galant homme était si affectueux que je pouvais à peine retenir mes larmes. Bref, je pris une centaine de MOIDORES, et lui demandai une plume et de l'encre pour lui en faire un reçu; puis je lui rendis le reste, et lui dis: « – Si jamais je rentre en possession de ma plantation, je vous remettrai toute la somme, – comme effectivement je fis plus tard; – et quant au titre de propriété de votre part sur le navire de votre fils, je ne veux en aucune façon l'accepter; si je venais à avoir besoin d'argent, je vous tiens assez honnête pour me payer; si au contraire je viens à palper celui que vous me faites espérer, je ne recevrai plus jamais un penny de vous.»

      Quand ceci fut entendu, le vieillard me demanda s'il ne pourrait pas me servir en quelque chose dans la réclamation de ma plantation. Je lui dis que je pensais aller moi-même sur les lieux. – «Vous pouvez faire ainsi, reprit-il, si cela vous plaît; mais, dans le cas contraire, il y a bien des moyens d'assurer vos droits et de recouvrer immédiatement la jouissance de vos revenus.» – Et, comme il se trouvait dans la rivière de Lisbonne des vaisseaux prêts à partir pour le Brésil, il me fit inscrire mon nom dans un registre public, avec une attestation de sa part, affirmant, sous serment, que j'étais en vie, et que j'étais bien la même personne qui avait entrepris autrefois le défrichement et la culture de ladite plantation.

      À cette déposition régulièrement légalisée par un notaire, il me conseilla d'annexer une procuration, et de l'envoyer avec une lettre de sa main à un marchand de sa connaissance qui était sur les lieux. Puis il me proposa de demeurer avec lui jusqu'à ce que j'eusse reçu réponse.

      DÉFAILLANCE

      Il ne fut jamais rien de plus honorable que les procédés dont ma procuration fut suivie: car en moins de sept mois il m'arriva de la part des survivants de mes curateurs, les marchands pour le compte desquels je m'étais embarqué, un gros paquet contenant les lettres et papiers suivants:

      1º. Il y avait un compte courant du produit de ma ferme en plantation durant dix années, depuis que leurs pères avaient réglé avec mon vieux capitaine du Portugal; la balance semblait être en ma faveur de 1174 MOIDORES.

      2º. Il y avait un compte de quatre années en sus, où les immeubles étaient restés entre leurs mains avant que le gouvernement en eût réclamé l'administration comme étant les biens d'une personne ne se retrouvant point, ce qui constitue Mort Civile. La balance de celui-ci, vu l'accroissement de la plantation, montait en cascade à la valeur de 3241 MOIDORES.

      3º Il y avait le compte du Prieur des Augustins, qui, ayant perçu mes revenus pendant plus de quatorze ans, et ne devant pas me rembourser ce dont il avait disposé en faveur de l'hôpital, déclarait très-honnêtement qu'il avait encore entre les mains 873 MOIDORES et reconnaissait me les devoir. – Quant à la part du Roi, je n'en tirai rien.

      Il y avait aussi une lettre de mon partner me félicitant très-affectueusement de ce que j'étais encore de ce monde, et me donnant des détails sur l'amélioration de ma plantation, sur ce qu'elle produisait par an, sur la quantité d'acres qu'elle contenait, sur sa culture et sur le nombre d'esclaves qui l'exploitaient. Puis, faisant vingt-deux Croix en signe de bénédiction, il m'assurait qu'il avait dit autant d'AVE MARIA pour remercier la très-SAINTE-VIERGE de ce que je jouissais encore de la vie; et m'engageait fortement à venir moi-même prendre possession de ma propriété, ou à lui faire savoir en quelles mains il devait remettre mes biens, si je ne venais pas moi-même. Il finissait par de tendres et cordiales protestations de son amitié et de celle de sa famille, et m'adressait en présent sept belles peaux de léopards, qu'il avait sans doute reçues d'Afrique par quelque autre navire qu'il y avait envoyé, et qui apparemment avaient fait un plus heureux voyage que moi. Il m'adressait aussi cinq caisses d'excellentes confitures, et une centaine de pièces d'or non monnayées, pas tout-à-fait si grandes que des MOIDORES.

      Par la même flotte mes curateurs m'expédièrent 1200 caisses de sucre, 800 rouleaux du tabac, et le solde de leur compte en or.

      Je pouvais bien dire alors avec vérité que la fin de Job était meilleure que le commencement. Il serait impossible d'exprimer les agitations de mon cœur à la lecture de ces lettres, et surtout quand je me vis entouré de touts mes biens; car les navires du Brésil venant toujours en flotte, les mêmes vaisseaux qui avaient apporté mes lettres avaient aussi apporté mes richesses, et mes marchandises étaient en sûreté dans le Tage avant que j'eusse la missive entre les mains. Bref, je devins pâle; le cœur me tourna, et si le bon vieillard n'était accouru et ne m'avait apporté un cordial, je crois que ma joie soudaine aurait excédé ma nature, et que je serais mort sur la place.

      Malgré cela, je continuai à aller fort mal pendant quelques heures, jusqu'à ce qu'on eût appelé un médecin, qui, apprenant la cause réelle de mon indisposition, ordonna de me faire saigner, après quoi je me sentis mieux et je me remis. Mais je crois véritablement que, si je n'avais été soulagé par l'air que de cette manière on donna pour ainsi dire à mes esprits, j'aurais succombé.

      J'étais alors tout d'un coup maître de plus de 50,000 livres sterling en espèces, et au Brésil d'un domaine, je peux bien l'appeler ainsi, d'environ mille livres sterling de revenu annuel, et aussi sûr que peut l'être une propriété en Angleterre. En un mot, j'étais dans une situation que je pouvais à peine concevoir, et je ne savais quelles dispositions prendre pour en jouir.

      Avant toutes choses, ce que je fis, ce fut de récompenser mon premier bienfaiteur, mon bon vieux capitaine, qui tout d'abord avait eu pour moi de la charité dans ma détresse, de la bonté au commencement de notre liaison et de la probité sur la fin. Je lui montrai ce qu'on m'envoyait, et lui dis qu'après la Providence céleste, qui dispose de toutes choses, c'était à lui que j'en étais redevable, et qu'il me restait à le récompenser, ce que je ferais au centuple. Je lui rendis donc premièrement les 100 MOIDORES que j'avais reçus de lui; puis j'envoyai chercher un tabellion et je le priai de dresser en bonne et due forme une quittance générale ou décharge des 470 MOIDORES qu'il avait reconnu me devoir. Ensuite je lui demandai de me rédiger une procuration, l'investissant receveur des revenus annuels de ma plantation, et prescrivant à mon partner de compter avec lui, et de lui faire en mon nom ses remises par les flottes ordinaires. Une clause finale lui assurait un don annuel de 100 MOIDORES sa vie durant, et à son fils, après sa mort, une rente viagère de 50 MOIDORES. C'est ainsi que je m'acquittai envers mon bon vieillard.

      Je me pris alors à considérer de quel côté je gouvernerais ma course, et ce que je ferais du domaine que la Providence avait ainsi replacé entre mes mains. En vérité j'avais plus de soucis en tête que je n'en avais eus pendant ma vie silencieuse dans l'île, où je n'avais besoin que de ce que j'avais, où je n'avais que ce dont j'avais besoin; tandis qu'à cette heure j'étais sous le poids d'un grand fardeau que je ne savais comment mettre à couvert. Je n'avais plus de caverne pour y cacher mon trésor, ni de lieu où il pût loger sans serrure et sans clef, et se ternir et se moisir avant que personne mît la main dessus. Bien au contraire, je ne savais où l'héberger, ni à qui le confier. Mon vieux patron, le capitaine, était, il est vrai, un homme intègre: ce fut lui mon seul refuge.

      Secondement, mon intérêt semblait m'appeler au Brésil; mais je ne pouvais songer à y aller avant d'avoir arrangé mes affaires, et laissé derrière moi ma fortune en mains sûres. Je pensai d'abord à ma vieille amie la veuve, que je savais honnête et ne pouvoir qu'être loyale envers moi; mais alors elle était âgée, pauvre, et, selon toute apparence, peut-être endettée. Bref, je n'avais ainsi d'autre parti à prendre que de m'en retourner en Angleterre et d'emporter mes richesses avec moi.

      Quelques mois pourtant s'écoulèrent avant que je me déterminasse à cela; et c'est pourquoi, lorsque je me fus parfaitement acquitté envers mon vieux capitaine, mon premier bienfaiteur, je pensai aussi à ma pauvre veuve, dont le mari avait été mon plus ancien patron, et elle-même, tant qu'elle l'avait pu, ma fidèle intendante et ma directrice. Mon premier soin fut de charger un


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